dimanche 24 février 2008

Fiche du TD 3 sur le C.I.J.


Séance 3 : La Cour internationale de Justice


Bibliographie indicative :
LANG Caroline, L'affaire Nicaragua-Etats-Unis devant la Cour Internationale de Justice, Paris, LGDJ, 1990, 301 p.
HARRISSON Pierre, Etats Unis contra Nicaragua, Genève, Centre Europe-Tiers Monde, 1988, 265 p.
Collectif, La Cour internationale de justice, La Haye, CIJ, 4e éd., 1996, 233 p.
DABENE Olivier, L’Amérique latine à l’époque contemporaine, Paris, Armand Colin, Coll. « Cursus », 2003, 245 p.
Et … visitez le site de la Cour, qui est très instructif : http://www.icj-cij.org/homepage/index.php?lang=fr


Plan de la fiche :
I. Extraits de l’arrêt de la C.I.J. activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
II. Statut de la Cour Internationale de Justice
III. Extraits de la Charte des Nations Unies


Direction d’études :
1. Définissez (du point de vue du droit international public) :
· Agression armée
· Légitime défense
· Souveraineté
· Terrorisme et terrorisme d’Etat

2. Répondez aux questions suivantes :
· Quelles sont la (les) compétence(s) de la Cour internationale de Justice ? Quels en sont les fondements juridiques ?
· Quels sont les Etats admis à ester devant la Cour ?
· Quels sont les pouvoirs de la Cour ?
· L’arrêt de la C.I.J. peut-il faire l’objet d’une exécution forcée ?

3. Lisez attentivement les décisions reproduites dans la fiche de TD, et faites ensuite une fiche de synthèse comprenant : les faits de l’affaire, le problème posé et la solution donnée par la Cour.



I. Extraits de l’arrêt de la C.I.J. « Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci », arrêt du 27 juin 1986


A. Les faits de l’affaire :

« 18. Le différend entre le Nicaragua et les Etats-Unis dont la Cour est saisie concerne les événements qui se sont déroulés au Nicaragua après la chute du gouvernement du président Anastasio Somoza Debayle en juillet 1979 et les activités du Gouvernement des Etats-Unis a l'égard du Nicaragua depuis lors. Après le départ du président Somoza, une junte de reconstruction nationale et un gouvernement de dix-huit membres furent mis en place par l'organe qui avait dirigé l'opposition armée au président Somoza, le Frente Sandinista de Liberacion Nacional (FSLN). Celui-ci occupait au départ une position importante dans ce gouvernement, dit de coalition nationale, mais, à la suite de démissions et de remaniements ultérieurs, il en devint la composante presque exclusive. Certains opposants au nouveau régime, en premier lieu des partisans de l'ancien gouvernement Somoza, et notamment des membres de la garde nationale, se constituèrent en forces militaires irrégulières et déclenchèrent une campagne d'opposition armée d'une ampleur initialement modeste.

19. L'attitude du Gouvernement des Etats-Unis à l'égard du gouvernement de coalition démocratique était initialement favorable ; et un programme d'assistance économique au Nicaragua fut adopté. Dès 1981 cependant la situation changea. L'assistance accordée par les Etats-Unis au Nicaragua fut suspendue en janvier 1981 et supprimée en avril de la même année. Les Etats-Unis disent avoir modifié leur attitude à la suite d'informations suivant lesquelles le Gouvernement du Nicaragua aurait accordé un appui logistique et fourni des armes à la guérilla au Salvador. Il n'y a pas eu, cependant, rupture des relations diplomatiques, qui restent établies jusqu'à ce jour. C'est en septembre 1981 que fut prise la décision d'organiser et d'entreprendre certaines activités contre le Nicaragua d'après des témoins cités par celui-ci.

20. L'opposition armée au nouveau Gouvernement du Nicaragua, qui comprenait à l'origine diverses tendances, fut organisée par la suite en deux groupes principaux : la Fuerza Democratica Nicaragüense (FDN) et 1'Alianza Revolucionaria Democratica (ARDE). Le premier se développa à partir de 1981 et s'organisa en unités combattantes bien entraînées opérant le long de la frontière avec le Honduras ; le second, formé en 1982, opérait le long de la frontière avec le Costa Rica. La question de savoir dans quelle mesure et de quelle manière précise le Gouvernement des Etats-Unis contribua à cette transformation sera examinée plus loin. Après une période initiale au cours de laquelle le public fut tenu dans l'ignorance des opérations clandestines d'agents des Etats-Unis et de personnes rétribuées par eux, il devint patent, non seulement dans la presse des Etats- Unis, mais aussi au Congrès et dans des déclarations officielles du Président et de hauts responsables de ce pays, que le Gouvernement des Etats- Unis appuyait les contras, terme employé pour désigner ceux qui luttent contre le présent Gouvernement nicaraguayen. Des crédits furent expressément inscrits au budget des Etats-Unis en 1983 pour permettre aux services de renseignements de ce pays de soutenir directement ou indirectement les opérations militaires ou paramilitaires au Nicaragua . D'après le Nicaragua les contras ont causé des dégâts matériels considérables et provoqué de nombreuses pertes en vies humaines ; ils auraient aussi commis des actes tels que l'exécution de prisonniers, le meurtre de civils pris au hasard, des tortures, des viols et des enlèvements. Le Nicaragua affirme que le Gouvernement des Etats-Unis exerce une autorité effective sur les contras, qu'il a mis au point leur stratégie et dirigé leur tactique et que son objectif était, dès l'origine, le renversement du Gouvernement nicaraguayen.

21. Le Nicaragua soutient d'autre part qu'il serait apparu après coup que certaines opérations militaires ou paramilitaires avaient été effectuées, non pas par les contras qui, à l'époque, en revendiquèrent la responsabilité, mais par des individus à la solde du Gouvernement des Etats-Unis et placés sous le commandement direct de ressortissants des Etats-Unis qui, dans une certaine mesure, participaient aussi aux opérations. Celles-ci feront ultérieurement l'objet d'un examen plus approfondi, destiné à en rechercher les conséquences juridiques et à établir les responsabilités qu'elles mettent enjeu ; elles comprennent le minage, au début de 1984, de certains ports nicaraguayens, ainsi que des attaques lancées contre des ports, des installations pétrolières, une base navale, etc. Le Nicaragua s'est également plaint de ce que des aéronefs des Etats-Unis survolaient son territoire, afin non seulement de recueillir des renseignements et d'approvisionner les contras en campagne mais encore d'effrayer la population.

22. Sur le plan économique, le Nicaragua déclare que les Etats-Unis ont suspendu leur assistance au Nicaragua, réduit radicalement leurs importations de sucre en provenance du Nicaragua et imposé un embargo commercial ; ils auraient en outre usé de leur influence auprès de la Banque interaméricaine de développement et de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement pour bloquer l'ouverture de crédits au Nicaragua.

23. Sur le plan juridique le Nicaragua soutient entre autres que par leurs actions les Etats-Unis violent l'article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies ainsi que l'obligation de droit international coutumier de ne pas recourir à la menace ou à l'emploi de la force ; que les actions des Etats-Unis constituent une intervention dans les affaires intérieures du Nicaragua, en violation de la charte de l'organisation des Etats américains et des règles du droit international coutumier prohibant l'intervention ; et que les Etats-Unis violent la souveraineté du Nicaragua et diverses autres obligations reconnues en droit international coutumier général et dans le système interaméricain. Le Nicaragua affirme en outre que les actions des Etats-Unis sont de nature à priver de son but et de son objet le traité d'amitié, de commerce et de navigation conclu en 1956 entre les Parties, et à en violer les dispositions.

24. Comme il a été indiqué précédemment, les Etats-Unis n'ont pas déposé de pièce écrite sur le fond et ne se sont pas fait représenter aux audiences consacrées à celui-ci. Ils ont cependant précisé dans leur contre-mémoire sur la compétence et la recevabilité que, en fournissant une aide proportionnée et appropriée à des Etats tiers qui la leur ont demandée et qui ne sont pas parties à l'instance », ils usaient du droit naturel de légitime défense garanti ... par l'article 51 de la Charte des Nations Unies , autrement dit du droit de légitime défense collective.

25. Divers aspects du présent différend ont été soumis au Conseil de sécurité à plusieurs reprises - notamment par le Nicaragua en avril 1984, ainsi que la Cour a eu l'occasion de le rappeler dans son ordonnance du 10 mai 1984 et dans son arrêt sur la compétence et la recevabilité du 26 novembre 1984 (C.I.J. Recueil 1984, p. 432, par. 91). L'objet du litige fait en outre partie des problèmes plus larges de l'Amérique centrale, examinés à présent à l'échelle régionale dans le cadre de ce qu'on appelle les consultations de Contadora.

B. Procédure :
1. Le 9 avril 1984 l'ambassadeur de la République du Nicaragua aux Pays-Bas a déposé au Greffe de la Cour une requête introduisant une instance contre les Etats-Unis d'Amérique au sujet d'un différend relatif à la responsabilité encourue du fait d'activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci. La requête indiquait, comme fondement de la compétence de la Cour, les déclarations des Parties acceptant la juridiction obligatoire de celle-ci en application de l'article 36 de son Statut.

2. Conformément à l'article 40, paragraphe 2, du Statut, la requête a été immédiatement communiquée au Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique et les autres Etats admis à ester devant la Cour en ont été informés comme prévu au paragraphe 3 du même article.

3. En même temps que sa requête la République du Nicaragua a déposé une demande en indication de mesures conservatoires en vertu de l'article 41 du Statut. Par ordonnance prise le 10 mai 1984 la Cour a rejeté une demande formulée par les Etats-Unis d'Amérique et tendant à ce que l'affaire soit rayée du rôle, indiqué certaines mesures conservatoires et décidé que, jusqu'à ce qu'elle rende son arrêt définitif en l'espèce, elle demeurerait saisie des questions faisant l'objet de l'ordonnance.

4. La Cour a décidé en outre par cette même ordonnance du 10 mai 1984 que les pièces écrites porteraient d'abord sur la question de la compétence de la Cour pour connaître du différend et sur celle de la recevabilité de la requête. Par ordonnance du 14 mai 1984 le Président de la Cour a fixé au 30 juin et au 17 août 1984, respectivement, les dates d'expiration des délais pour le dépôt d'un mémoire de la République du Nicaragua et d'un contre-mémoire des Etats-Unis d'Amérique sur les questions de compétence et de recevabilité. Ces pièces ont été dûment déposées dans les délais prévus.

5. La République du Nicaragua a affirmé dans son mémoire sur la compétence et la recevabilité que, en plus de la base de compétence invoquée dans la requête, un traité d'amitié, de commerce et de navigation signé en 1956 par les Parties constituait un titre indépendant de compétence en vertu de l’article 36, paragraphe 1, du Statut de la Cour.

6. La Cour ne comptant pas sur le siège de juge de nationalité nicaraguayenne, le Nicaragua, par lettre du 3 août 1984, s'est prévalu du droit que lui confère l’article 31, paragraphe 2, du Statut de procéder à la désignation d'un juge ad hoc pour siéger en l'affaire. La personne ainsi désignée est le professeur Claude- Albert Colliard

7. Le 15 août 1984, soit deux jours avant l'expiration du délai imparti pour la présentation des pièces de la procédure écrite relatives à la compétence et à la recevabilité, la République d'El Salvador a déposé une déclaration d'intervention en l’affaire sur la base de l’article 63 du Statut. Au vu des observations écrites que les Parties ont présentées au sujet de cette déclaration conformément à l’article 83 du Règlement, la Cour, par ordonnance du 4 octobre 1984, a décidé de ne pas tenir d'audience sur la déclaration d'intervention et a décidé en outre que cette déclaration était irrecevable en ce qu'elle se rapportait à la phase de l'instance alors en cours.

8. Lors d'audiences publiques tenues du 8 au 10 et du 15 au 18 octobre 1984 les Parties ont été entendues sur les questions de la compétence de la Cour pour connaître du différend et de la recevabilité de la requête.

9. Par arrêt du 26 novembre 1984 la Cour a dit qu'elle a compétence pour connaître de la requête sur la base de l’article 36, paragraphes 2 et 5, de son Statut ; qu'elle a compétence pour connaître de la requête dans la mesure où elle se rapporte à un différend concernant l'interprétation ou l'application du traité d'amitié, de commerce et de navigation entre les Etats-Unis et le Nicaragua du 21 janvier 1956, sur la base de l’article XXIV de ce traité ; qu'elle a compétence pour connaître de l’affaire, et que la requête est recevable.

10. Par lettre datée du 18 janvier 1985 l'agent des Etats-Unis, se référant à l'arrêt susmentionné, a fait savoir à la Cour que : les Etats-Unis se voient obligés de conclure que l'arrêt de la Cour était clairement et manifestement erroné en fait comme en droit. Pour les raisons qu'ils ont indiquées dans leurs exposés écrits et oraux, les Etats-Unis demeurent fermement convaincus que la Cour n'a pas compétence pour connaître du différend et que la requête nicaraguayenne du 9 avril 1984 est irrecevable. Il m'incombe en conséquence de vous informer que les Etats- Unis n'ont l'intention de participer à aucune autre procédure relative à cette affaire et réservent leurs droits à propos de toute suite que la Cour déciderait de donner aux demandes du Nicaragua

11. Par ordonnance prise le 22 janvier 1985 le Président de la Cour, après avoir fait référence à la lettre de l'agent des Etats-Unis, a fixé au 30 avril et au 31 mai 1985, respectivement, les dates d'expiration des délais pour le dépôt d'un mémoire du Nicaragua et d'un contre-mémoire des Etats-Unis d'Amérique sur le fond du différend. Le mémoire du Nicaragua a été déposé dans le délai prescrit ; les Etats-Unis d'Amérique n'ont présenté aucune pièce écrite et n'ont pas demandé de report. Dans son mémoire, qui a été communiqué aux Etats-Unis conformément à l’article 43 du Statut, le Nicaragua invoquait l’article 53 du Statut et demandait à la Cour de statuer en dépit du fait que le défendeur ne comparaissait pas et ne faisait pas valoir ses moyens.

12. Le 10 septembre 1985, alors que la procédure orale était sur le point de commencer. l'agent du Nicaragua a soumis a la Cour une série de documents appelés annexes supplémentaires n au mémoire du Nicaragua. En application de l'article 56 du Règlement ces documents ont été considérés comme des documents nouveaux et il en a été transmis copie aux Etats-Unis d'Amérique, qui n'ont pas élevé d'objection à leur production.

13. Au cours d'audiences publiques tenues les 12 et 13 ainsi que du 16 au 20 septembre 1985 la Cour a entendu, au nom du Nicaragua : S. Exc. M. Carlos Argüello Gomez, l'honorable Abram Chayes, M. Paul S. Reichler, M. Ian Brownlie, et M. Alain Pellet ; les Etats-Unis n'étaient pas représentés aux audiences. Les témoins suivants, cités par le Nicaragua, ont déposé devant la Cour : le commandant Luis Carrion, vice-ministre de l'intérieur du Nicaragua (interrogé par M. Brownlie) ; M. David MacMichael, ancien agent de la Central Intelligence Agency (CIA) des Etats-Unis (interrogé par M. Chayes) ; le professeur Michael John Glennon (interrogé par M. Reichler) ; le père Jean Loison (interrogé par M. Pellet) ; M. William Huper, ministre des finances du Nicaragua (interrogé par M. Argüello Gomez). Des membres de la Cour ont posé aux témoins ainsi qu'à l'agent et aux conseils du Nicaragua des questions auxquelles il a été répondu soit oralement à l'audience soit par écrit ultérieurement. Le 14 octobre 1985 la Cour a prié le Nicaragua de fournir certains renseignements et documents supplémentaires et un de ses membres lui a posé une question ; le Greffier a transmis aux Etats-Unis d'Amérique les comptes rendus d'audience et les renseignements et documents obtenus a la suite des demandes formulées.

14. Conformément a l’article 53, paragraphe 2, du Règlement, la Cour a décidé de rendre accessibles au public, à l'ouverture de la procédure orale, les pièces de procédure et documents annexés.

15. Dans la procédure écrite, les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement du Nicaragua : dans la requête : le Nicaragua, tout en se réservant le droit de compléter ou de modifier la présente requête et sous réserve de la présentation a la Cour des preuves et arguments juridiques pertinents, prie la Cour de dire et juger :
a) Que les Etats-Unis, en recrutant, formant, armant, équipant, finançant, approvisionnant et en encourageant, appuyant, assistant et dirigeant de toute autre manière des actions militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, ont violé et violent leurs obligations expresses en vertu de chartes et de traités à l'égard du Nicaragua, et en particulier leurs obligations en vertu de :
- l’article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies ;
- les articles 18 et 20 de la charte de l'organisation des Etats américains ;
- l'article 8 de la convention concernant les droits et devoirs des Etats ;
- l’article premier, troisièmement, de la convention concernant les droits et devoirs des Etats en cas de luttes civiles.
b) Que les Etats-Unis, en violation de leurs obligations en vertu du droit international général et coutumier, ont violé et violent la souveraineté du Nicaragua du fait :
- d'attaques armées contre le Nicaragua par air, par terre et par mer ;
- d'incursions dans les eaux territoriales du Nicaragua ;
- de la violation de l'espace aérien du Nicaragua ;
- d'efforts directs et indirects de coercition et d'intimidation du Gouvernement du Nicaragua.
c) Que les Etats-Unis, en violation de leurs obligations en vertu du droit international général et coutumier, ont utilisé et utilisent la force et la menace de la force contre le Nicaragua.
d) Que les Etats-Unis, en violation de leurs obligations en vertu du droit international général et coutumier, sont intervenus et interviennent dans les affaires intérieures du Nicaragua.
e) Que les Etats-Unis, en violation de leurs obligations en vertu du droit international général et coutumier, ont enfreint et enfreignent la liberté des mers et interrompent le commerce maritime pacifique.
f) Que les Etats-Unis, en violation de leurs obligations en vertu du droit international général et coutumier, ont tué, blessé et enlevé et tuent, blessent et enlèvent des citoyens du Nicaragua.
g) Que, VU ces violations des obligations juridiques susvisées, les Etats-Unis ont le devoir exprès de mettre fin et de renoncer immédiatement : à toute utilisation de la force - directe ou indirecte, ouverte ou cachée - contre le Nicaragua, et de toutes les menaces de force contre le Nicaragua; à toutes violations de la souveraineté, de l'intégrité territoriale ou de l'indépendance politique du Nicaragua, y compris toute intervention, directe ou indirecte, dans les affaires intérieures du Nicaragua ; à tout appui de quelque nature qu'il soit - y compris l'entraînement et la fourniture d'armes, de munitions, de fonds, d'approvisionnements, d'assistance. de direction ou toute autre forme de soutien - à toute nation, groupe, organisation, mouvement ou individu se livrant ou se disposant à se livrer à des actions militaires ou paramilitaires au Nicaragua ou contre celui-ci ; à toute tentative visant à restreindre, bloquer ou rendre périlleux l'accès aux ports du Nicaragua, à l'arrivée ou en partance de ces ports ; et à tous meurtres, blessures et enlèvements de citoyens du Nicaragua.h) Que les Etats-Unis ont l'obligation de payer au Nicaragua, de son propre droit et comme parens patriae des citoyens du Nicaragua, des réparations pour les dommages subis par les personnes, les biens et l'économie du Nicaragua à raison des violations susvisées du droit international. dont le montant sera déterminé par la Cour. Le Nicaragua se réserve d'introduire devant la Cour une évaluation précise des dommages provoqués par les Etats-Unis ; dans le mémoire sur le fond : La République du Nicaragua prie respectueusement la Cour de lui accorder ce qui suit : Premièrement : il est demandé à la Cour de dire et juger que les Etats-Unis ont violé les obligations de droit international indiquées dans le présent mémoire, et qu'à certains égards ils continuent à violer ces obligations. Deuxièmement : il est demandé à la Cour d'énoncer avec clarté l’obligation qu'ont les Etats-Unis de mettre fin auxdites violations du droit international. Troisièmement : il est demandé à la Cour de dire et juger que, en conséquence des violations du droit international indiquées dans le présent mémoire, une indemnité est due au Nicaragua, tant pour son compte propre que pour les préjudices subis par ses ressortissants ; il lui est aussi demandé de recevoir des preuves à cet effet et de déterminer, lors d'une phase ultérieure de la présente instance, à quel montant doivent être évalués les dommages-intérêts destinés à indemniser la République du Nicaragua. Quatrièmement : sans préjudice de la demande précédente, il est demandé à la Cour d'accorder a la République du Nicaragua la somme de 370.2 millions de dollars des Etats-Unis, ladite somme constituant l’évaluation minimum du préjudice direct qui résulte des violations du droit international indiquées dans le présent mémoire, non inclus les dommages intérêts dus pour le meurtre de ressortissants du Nicaragua. Relativement au quatrième chef de demande, et si la Cour fait droit à la troisième demande de la République du Nicaragua, celle-ci se réserve le droit, lors d'une phase ultérieure de l'instance, de présenter des preuves et d'exposer ses moyens afin de parvenir à un chiffre plus précis que l’évaluation minimum (et donc provisoire) du préjudice direct et afin, en outre, de demander une indemnité pour le meurtre de ressortissants du Nicaragua et la perte ainsi subie, conformément aux principes généraux du droit international applicables aux violations dudit droit

C. Les faits imputables aux Etats-Unis :
75. Avant d'examiner le grief articulé en l'espèce par le Nicaragua contre les Etats-Unis selon lequel ces derniers portent la responsabilité de la capacité militaire. sinon de l'existence même, des forces contras, la Cour traitera des événements qui. d'après le Nicaragua. entraînent de façon plus directe la responsabilité des Etats-Unis. Ils consistent en la pose de mines dans des ports ou des eaux du Nicaragua au début de 1984. et en certaines attaques lancées en particulier contre des ports et des installations pétrolières du Nicaragua à la fin de 1983 et au début de 1984. La thèse du Nicaragua est qu'il ne s'agissait pas d'actes commis par des contras avec l'assistance et l'appui de services des Etats-Unis. Les participants directs étaient, soutient-il. non pas des ressortissants du Nicaragua ou d'autres membres de la FDN ou de l’ARDE. mais soit des militaires des Etats-Unis. soit des ressortissants de pays latino-américains non identifiés, rétribués par les Etats-Unis et agissant sur les instructions directes du personnel militaire ou des services de renseignement des Etats-Unis. (II semble que ces personnes étaient appelées dans le vocabulaire de la CIA UCLAs (Unilaterally Controlled Latino Assets), et ce sigle sera utilisé ci-après, par simple commodité.) En outre le Nicaragua affirme que, si le personnel des Etats-Unis s'est sans doute abstenu de pénétrer sur le territoire du Nicaragua ou dans les eaux territoriales reconnues comme lui appartenant. i l a cependant dirigé les opérations et apporté un appui très actif dans le domaine logistique et pratique et dans celui des renseignements. Un autre grief du Nicaragua qui ne vise pas l'activité des contras se rapporte au survol des eaux territoriales et du territoire du Nicaragua par des aéronefs militaires des Etats-Unis. La Cour va maintenant aborder l'examen de ces allégations.

76. Le 25 février 1984 deux bateaux de pêche nicaraguayens ont heurté des mines dans le port nicaraguayen d'El Bluff, sur la côte atlantique. Le 1er mars 1984, le dragueur néerlandais Geoponte et, le 7 mars 1984, le navire panaméen Los Caraibes ont été endommagés par des mines à Corint. Il en est allé de même, le 20 mars 1984, pour le pétrolier soviétique Lugansk à Puerto Sandin. D'autres navires ont été endommagés ou détruits les 28, 29 et 30 mars par des mines mouillées à Corint. L'accès aux ports a été de ce fait effectivement interrompu ou réduit pendant deux mois environ. Le Nicaragua précise que douze navires ou bateaux de pêche au total ont été détruits ou endommagés par l'explosion de mines, qui a fait aussi quatorze blessés et deux morts. Aucune s ré ci si on n'a été donnée à la Cour au sujet de l'emplacement exact des mines - dans les eaux intérieures du Nicaragua ou dans sa mer territoriale ; d'après certains comptes rendus, les mines posées dans le port de Corinto avaient été mouillées non pas dans les bassins, mais dans le chenal d'accès ou en rade. De même, on ne dispose d'aucune information directe sur le type et la puissance des mines utilisées ; un témoin, le commandant Carrion, a expliqué que les autorités nicaraguayennes n'avaient jamais pu repêcher les mines avant qu'elles n'explosent. Selon des articles de presse, les mines étaient posées au fond et leur dispositif de mise à feu devait se déclencher par contact direct, par ondes sonores ou magnétiques ou par la pression de l'eau ; il s'agissait de mines de faible dimension, très bruyantes mais qui ne pouvaient probablement pas couler un navire. D'autres articles de presse font état de mines de dimensions diverses, dont certaines avaient une charge pouvant atteindre 136 kilogrammes. Selon certains journaux, des responsables des Etats-Unis auraient déclaré que les mines avaient été fabriquées par la CIA, avec l'aide d'un laboratoire de la marine.

77. D'après un article paru dans la Lloyds List and Shipping Gazette, l’ARDE a revendiqué le 2 mars 1984 la responsabilité du minage. Mais dans une déclaration faite sous serment, M. Edgar Chamorro, ancien dirigeant politique de la FDN, a indiqué qu'un agent de la CIA l'avait chargé de faire diffuser par la radio clandestine de la FDN, le 5 janvier 1984, un communiqué dans lequel la FDN revendiquait le minage de plusieurs ports nicaraguayens. M. Chamorro a également déclaré que la FDN n'avait en fait joué aucun rôle dans le minage des ports, mais il n'a pas précisé qui en était responsable. D'après un magazine, les contras ont annoncé le 8 janvier 1984 qu'ils minaient tous les ports du Nicaragua et averti les navires de ne pas y relâcher ; le même article indique cependant que nul n'a prêté attention à cette mise en garde. Il ne semble pas que le Gouvernement des Etats-Unis ait pour sa part adressé un avis ou une notification aux autres Etats au sujet de l'existence et de l'emplacement des
mines.

78. Le Sénat des Etats-Unis a été informé le 10 avril 1984 que le Select Committee on Intelligence (commission restreinte du renseignement) du Sénat avait été avisé par le directeur de la CIA de l'approbation par le président Reagan d'un plan de la CIA prévoyant le minage des ports nicaraguayens. Selon certains articles de presse le plan avait été approuvé en décembre 1983 : mais d'après un membre de la commission l’approbation a été donnée en février 1984. Le 10 avril 1984. le Sénat des Etats-Unis a adopté une disposition prévoyant que le Congrès considère qu'aucune dépense ... ne sera engagée ou effectuée aux fins de mettre au point, de conduire. d'exécuter ou d'appuyer une opération de minage des ports ou des eaux territoriales du Nicaragua .
Au cours d'un entretien télévisé diffusé le 28 mai 1984 et dont le Nicaragua a communiqué la transcription officielle. le président Reagan a répondu en ces termes à une question relative au minage des ports : « C'étaient des mines de fabrication artisanale. ... incapables de couler un navire. Elles ont été posées dans les ports par les rebelles nicaraguayens. Selon des articles de presse citant des sources officielles des Etats-Unis. les mines auraient été larguées de vedettes, non pas par des membres de l’ARDE ou de la FDN. mais par des UCLAs. L'équipage des navires servant de base pour les opérations de minage était, selon les rapports. composé de ressortissants des Etats-Unis ; les navires se seraient tenus au-delà de la limite de 12 milles des eaux territoriales du Nicaragua reconnue par les Etats-Unis. Il semble que d'autres mines plus nidimentaires aient pu être posées dans des ports et dans le lac de Nicaragua par des contras agissant seuls : selon la presse. un officier nicaraguayen aurait déclaré que les opérations de minage avaient été « pour la plupart ordonnées par les Etats-Unis.

79. Le Nicaragua a indiqué que les mines avaient endommagé des navires battant pavillons néerlandais, panaméen, soviétique, libérien et japonais ainsi qu'un bateau, le Homin, dont le port d'attache n'est pas précisé ; toutefois le Nicaragua dit aussi que les avaries du Homin seraient dues plutôt au tir des navires mouilleurs de mines. D'autres sources font état de dommages qu'aurait subis un bâtiment britannique ou cubain. La Cour ne dispose d'aucune preuve directe de protestation diplomatique des Etats dont les navires auraient été endommagés ; selon la presse. Le Gouvernement soviétique aurait accusé le Gouvernement des Etats-Unis d'être responsable du minage, et le Gouvernement britannique aurait fait savoir à ce dernier qu'il déplorait profondément ces faits sur le plan des principes. Le Nicaragua a également présenté certains éléments dont il résulte que le minage des ports a entraîné l'augmentation des taux d'assurance maritime applicables aux chargements à destination ou en provenance du Nicaragua et que certaines compagnies de navigation ont cessé de desservir les ports nicaraguayens.

80. Vu les faits exposés, la Cour tient pour établi qu'à la fin de 1983 ou au début de 1984 le président des Etats-Unis a autorisé un organisme gouvernemental de ce pays à poser des mines dans des ports nicaraguayens ; qu'au début de 1984 des mines ont été mouillées dans les ports d'El Bluff. de Corinto et de Puerto Sandino ou à proximité de ces ports, dans les eaux intérieures du Nicaragua ou dans sa mer territoriale, ou dans les deux, par des personnes rétribuées par cet organisme et agissant sur ses instructions, sous la supervision et avec l'appui logistique d'agents des Etats-Unis ; que ni avant. ni après le minage, le Gouvernement des Etats-Unis n'a averti de façon publique et officielle la navigation internationale de l'existence et de l'emplacement des mines ; et que l'explosion de ces mines a causé des dommages personnels et matériels et créé des risques ayant entraîné la hausse des taux d'assurance maritime.

81. En dehors du minage des ports, les opérations que le Nicaragua attribue à l'action directe du personnel des Etats-Unis ou des UCLAs seraient les suivantes :
i) 8 septembre 1983 : l'aéroport international Sandino à Managua est attaqué par un avion Cessna, lequel est abattu ;
i i ) 13 septembre 1983 : un oléoduc sous-marin et une partie du terminal pétrolier de Puerto Sandino sont détruits par une explosion ;
iii) 2 octobre 1983 : une attaque est déclenchée contre des dépôts de pétrole à Benjamin Zeledon sur la côte Atlantique, provoquant la destruction d'une grande quantité de carburant ;
iv) 10 octobre 1983 : Corinto est attaqué par air et par mer, ce qui entraîne la destruction de cinq réservoirs de pétrole, la perte de millions de gallons de carburant et l'évacuation d'une grande partie de la population locale ;
V) 14 octobre 1983 : l'oléoduc sous-marin de Puerto Sandino saute à nouveau ;
vi) 4-5 janvier 1984 : la base navale de Potosi est attaquée par des vedettes rapides et des hélicoptères lance-missiles ;
vii) 24-25 février 1984 : un incident signalé à El Bluff à cette date semble correspondre à l'explosion d'une mine déjà mentionnée au paragraphe 76 ;
viii) 7 mars 1984 : des installations pétrolières et des réservoirs sont attaqués à San Juan del Sur par des vedettes rapides et des hélicoptères ;
ix) 28-30 mars 1984 : des incidents se produisent à Puerto Sandino entre des vedettes rapides occupées à mouiller des mines et des patrouilleurs nicaraguayens ; un hélicoptère intervient pour soutenir les vedettes ;
x) 9 avril 1984 : un hélicoptère, qui aurait décollé d'un navire de base croisant dans les eaux internationales, appuie de son tir une attaque de l’ARDE sur San Juan del Norte.

82. Au moment où ils ont eu lieu, ces incidents ont été considérés comme étant le fait des contras et ne bénéficiant pas d'un soutien des Etats-Unis plus important que les nombreuses autres activités militaires et paramilitaires de ces mêmes contras. L'attestation du commandant Carrion énumère les incidents cités sous i). ii), iv) et vi) parmi les activités des mercenaires , sans distinction ; les rubriques iii), v) et vii) à x) ne sont pas mentionnées. D'après un article paru depuis dans le New York Times du 13 octobre 1983, après l'attaque contre Corinto (rubrique iv) ci-dessus) le Gouvernement nicaraguayen a protesté auprès de l'ambassadeur des Etats-Unis à Managua au sujet de l'aide apportée par les Etats-Unis aux contras et adressé une note diplomatique dans le même sens au secrétaire d'Etat des Etats-Unis. Le mémoire du Nicaragua ne dit rien de cette protestation et aucune copie de note n'a été soumise à la Cour.

83. Le 19 octobre 1983, c'est-à-dire neuf jours après l'attaque contre Corinto, une question a été posée au président Reagan lors d'une conférence de presse. Le Nicaragua a fourni à la Cour une transcription officielle qui, dans la partie concernant les faits exposés ici, est ainsi rédigée :
Question : Monsieur le Président, à propos des récentes attaques des rebelles contre un dépôt de pétrole du Nicaragua, est-il normal que la CIA participe à la préparation d'attaques de ce genre et fournisse du matériel pour des raids aériens ? Et le peuple américain a-t-il le droit de le savoir ?
Le Président : Je crois que les activités secrètes ont toujours fait partie des activités et des responsabilités des gouvernements depuis qu'il existe des gouvernements. Je ne parlerai pas du lien que ces activités peuvent avoir avec ce qui s'est passé, ni avec certaines des opérations qui ont lieu là-bas. Mais je crois qu'un pays a le droit de recourir à des activités secrètes s'il estime que cela sert ses intérêts ; et alors, le peuple a peut-être le droit de savoir, mais on ne peut pas l'informer sans informer aussi les gens qui ne doivent pas savoir, ceux qui s'opposent à votre action. D'après le Nicaragua, ces déclarations s'inscriraient dans une série de propos reconnaissant que les Etats-Unis apportaient, de façon habituelle et systématique, une aide aux mercenaires menant des opérations militaires contre le Gouvernement du Nicaragua . De l'avis de la Cour, le refus du Président de se prononcer sur le lien entre les activités secrètes et ce qui s'est passé, [et] certaines des opérations qui ont lieu là-bas peut, dans le contexte où il se situait, être considéré comme revenant à admettre que les Etats-Unis ont joué un rôle dans l'attaque contre Corinto, mais non pas nécessairement que le personnel des Etats-Unis y ait été directement mêlé.

84. Les éléments dont dispose la Cour et qui tendent à démontrer que les attaques énumérées plus haut se sont effectivement produites et ont été le fait de personnel des Etats-Unis ou d'UCLAs sont, en dehors des articles de presse, les suivants. Le commandant Carrion énumère dans son attestation les rubriques i), ii), iv) et vi) et, dans sa déposition devant la Cour, il a fait mention des rubriques ii) et iv). Les rubriques vi) à x) figurent dans ce qui a été présenté comme un mémorandum ou rapport interne confidentiel de la CIA, dont des extraits ont été publiés dans le Wall Streer Journal du 6 mars 1985 ; d'après ce journal des employés des services de renseignements et du Congrès auraient confirmé l'authenticité du document. Pour autant que la Cour le sache, le Gouvernement des Etats-Unis n'a opposé aucune dénégation au rapport. Dans sa déclaration sous serment, l'ancien dirigeant de la FDN Edgar Chamorro indique que les événements des rubriques ii), iv) et vi) étaient le fait d'UCLAs venus d'un navire - base de la CIA, bien que celle-ci ait donné pour instruction à la FDN d'en revendiquer la responsabilité. On ignore cependant quelle pouvait être la source d'information de M. Chamorro, puisqu'il ne semble pas avoir participé à l'opération (il indique en effet que la FDN n'a rien eu à voir avec elle) ; il est probable que ses déclarations reposent uniquement sur ce qu'il avait entendu dire et, à l'époque où il les a faites, les mêmes allégations avaient paru dans la presse. Bien qu'il n'ait quitté la FDN qu'à la fin de 1984, il ne fait aucune mention des attaques énumérées plus haut qui se sont produites de janvier à avril 1984.

85. La Cour estime ne pas devoir examiner plus avant sous ce chapitre les faits suivants :
- l'attaque du 8 septembre 1983 contre l'aéroport de Managua (rubrique i : celle-ci a été revendiquée par l’ARDE ; selon un article de presse l’ARDE aurait acheté à la CIA l'appareil utilisé, mais rien n'indique que l'opération ait été préparée par la CIA, ni que des ressortissants des Etats-Unis ou des UCLAs y aient contribué ;
- l'attaque contre Benjamin Zeledon le 2 octobre 1983 (rubrique iii : il n'y a aucune preuve que du personnel des Etats-Unis ou des UCLAs y aient participé ;
- l'incident des 24-25 février 1984 (rubrique vii, déjà évoqué à propos du minage des ports.

86. La Cour considère en revanche que les autres incidents énumérés au paragraphe 8 1 sont établis. Les caractéristiques générales de ces attaques, d'après les preuves rapportées et suivant des articles de presse citant comme source le Gouvernement des Etats-Unis, lui paraissent avoir été les suivantes. Un navire servant de base a été fourni (apparemment affrété) par la CIA ; on ignore s'il s'agissait d'un bâtiment immatriculé aux Etats-Unis. Des vedettes rapides, des canons et des munitions ont été procurés par les services des Etats-Unis, et les attaques elles-mêmes ont été menées par les UCLAs. Des hélicoptères, certains pilotés par des Nicaraguayens et d'autres par des ressortissants des Etats-Unis, sont également intervenus à diverses reprises. D'après une information les pilotes étaient des civils des Etats-Unis sous contrat de la CIA. Bien qu'il ne soit pas établi que des militaires des Etats-Unis aient pris une part directe aux opérations, des agents des Etats-Unis ont participé à la préparation, au commandement,
au soutien et à l'exécution de celles-ci. L'exécution incombait plutôt aux UCLAs, alors que les ressortissants des Etats-Unis participaient à la préparation, au commandement et au soutien. Il apparaît donc à la Cour que l'imputabilité de ces attaques aux Etats-Unis est établie.

87. Le Nicaragua se plaint de la violation de son espace aérien par des aéronefs militaires des Etats-Unis. En dehors d'un incident mineur survenu le 11 janvier 1984 et concernant un hélicoptère dont, selon un journal, les Etats-Unis ont reconnu qu'il avait pu violer l'espace aérien du Nicaragua, ce grief se rapporte aux survols effectués par des avions évoluant à haute altitude à des fins de reconnaissance ou de renseignement, ou utilisés pour ravitailler les contras en campagne, et à d'autres qui auraient provoqué des bangs supersoniques. Le mémoire du Nicaragua fait état de vols de reconnaissance à basse altitude effectués par du personnel des
Etats-Unis en 1983, mais l'article qu'il cite ne prouve en rien que ces vols le long de la frontière hondurienne entraînaient une violation de l'espace aérien. Le Nicaragua s'est plaint en outre des activités, entre le 7 et le 11 novembre 1984, d'un appareil SR-71 des Etats-Unis qui aurait survolé a basse altitude plusieurs villes nicaraguayennes, cc produisant des bangs supersoniques et faisant voler les vitres en éclats afin d'exercer une pression psychologique sur le Gouvernement et la population du Nicaragua >).

88. Les éléments de preuve dont on dispose au sujet de ces survols sont les suivants. Durant la procédure sur la compétence et la recevabilité, le Gouvernement des Etats-Unis a déposé auprès de la Cour un <<>

96. En mars 1984, il est demandé au Congrès des Etats-Unis d'approuver l'ouverture d'un crédit additionnel de 21 millions de dollars devant permettre à la CIA de poursuivre certaines activités dont le Président a jugé qu'elles sont essentielles pour la sécurité des Etats-Unis O, autrement dit pour continuer à apporter un soutien aux contras. Le Sénat approuve l'ouverture de ce crédit additionnel, mais il n'est pas suivi par la Chambre des représentants. Au Sénat, deux amendements avaient été proposés et rejetés : l'un visait à interdire d'affecter les crédits ouverts à un individu ou à un groupe projetant notoirement de recourir à la violence pour renverser un gouvernement d'Amérique centrale ; l'autre à interdire l'utilisation de ces crédits pour commettre des actes de terrorisme au Nicaragua ou contre lui. En juin 1984, le Sénat aborde l'examen de la demande présidentielle de 28 millions de dollars, destinés à financer les activités menées au Nicaragua pendant l'exercice financier 1985. Le Sénat et la Chambre des représentants ayant de nouveau adopté des décisions contradictoires, le Congrès retient une formule de compromis reprise à l'article 8066 du Continuing Appropriations Act (loi sur la reconduction des crédits) de 1985. Bien qu'interdisant en principe de consacrer, au cours de l'exercice financier finissant le 30 septembre 1985, les crédits à des activités ayant pour objet ou pour effet d'appuyer directement ou indirectement des opérations militaires ou paramilitaires menées au Nicaragua par un pays, un groupe, une organisation, un mouvement ou un individu quelconque la loi ne réservait pas moins à ces activités un crédit de 14 millions de dollars, à la condition que le Président soumette au Congrès, après le 28 février 1985, un rapport en justifiant la nécessité, et les deux chambres du Congrès ont l'une et l'autre voté en faveur de cette disposition. Le 10 avril 1985 un rapport était effectivement présenté ; les objectifs des Etats-Unis à l'égard du Nicaragua y étaient exposés dans les termes suivants : La politique des Etats-Unis à l'égard du Nicaragua depuis l'arrivée au pouvoir des sandinistes a constamment visé à amener le Gouvernement nicaraguayen à changer de politique et de comportement. Nous n'avons pas cherché à renverser le Gouvernement nicaraguayen ni à imposer au Nicaragua un système particulier de gouvernement.) Les changements souhaités étaient définis comme suit : - qu'il soit mis fin à toutes les formes de soutien apporté par le Nicaragua à l'insurrection ou à la subversion dans les pays voisins; - que soit réduit l'appareil militaire et de sécurité du Nicaragua, aujourd'hui élargi, de façon que l'équilibre militaire soit rétabli dans la région ; - que le Nicaragua rompe les liens établis avec le bloc soviétique et avec Cuba sur le plan militaire et celui de la sécurité et que rentrent chez eux les conseillers de ces pays pour les questions militaires et de sécurité qui sont actuellement au Nicaragua ; et - qu'il soit donné suite à l'engagement contracté par les sandinistes devant l'organisation des Etats américains de pratiquer le pluralisme politique, le respect des droits de l'homme, les élections libres, le non-alignement ainsi qu'un régime d'économie mixte. En même temps, le président des Etats-Unis, lors d'une conférence de presse, faisait état d'une offre de cessez-le-feu au Nicaragua émanant des opposants au Gouvernement nicaraguayen et datée du 1er mars 1984 ; il s'engageait à ce que le crédit de 14 millions de dollars demandé, s'il était approuvé, ne soit pas utilisé pour des armes ou des munitions mais pour des denrées alimentaires, des vêtements, des médicaments et autres moyens de survie pendant tout le temps que la proposition de cessez-le- feu reste valable . Les 23 et 24 avril 1985 le Sénat a voté pour l'ouverture du crédit de 14 millions de dollars, et la Chambre des représentants, contre.

97. En juin 1985 un crédit de 38 millions de dollars a été demandé au Congrès des Etats-Unis en vue de financer les activités militaires et paramilitaires contre le Nicaragua pendant les exercices financiers se terminant les 30 septembre 1985 et 1986. Le Sénat a approuvé cette allocation le 7 juin 1985. La Chambre des représentants a en revanche voté en faveur d'une proposition d'ouverture d'un crédit de 27 millions de dollars, destiné uniquement à l'assistance humanitaire aux contras, la gestion des fonds devant d'autre part être retirée à la CIA et au département de la défense. Le texte finalement adopté d'un commun accord par le Sénat et la Chambre des représentants après examen par un comité conjoint prévoyait : « 27 millions de dollars d'assistance humanitaire à la résistance démocratique nicaraguayenne. L'assistance sera dispensée par l’intermédiaire de tout département ou agence des Etats-Unis que désignera le Président, à l'exception de la Central Intelligence Agency et du département de la défense ... Au sens des présentes dispositions, l'expression assistance humanitaire désigne la fourniture de denrées alimentaires, de vêtements, de médicaments et toute autre aide humanitaire, et exclut la fourniture d'armes, de systèmes d'armes, de munitions ou autres équipements, véhicules ou matériels susceptibles d'être utilisés pour infliger des blessures graves ou causer la mort de personnes. Selon le communiqué commun du comité conjoint, la législation adoptée : écarte effectivement ces deux entités [la CIA et le département de la défense] de l'administration des fonds et leur interdit de fournir une formation ou des conseils militaires à la résistance démocratique ... aucune des interdictions de fournir une assistance militaire ou paramilitaire à la résistance démocratique n'empêche de partager des renseignements avec elle . Il a été précisé devant la Chambre des représentants que le National Security Council (Conseil national de sécurité) et la Maison-Blanche avaient donné l'assurance que : ni le fond de réserve [de la CIA] destiné à faire face aux situations imprévues ni d'autres fonds existants ne serviront à apporter une aide matérielle en dehors de celle qui a été autorisée ... à des fins d'assistance humanitaire à la résistance démocratique au Nicaragua, sauf autorisation future du Congrès r). Ainsi, un financement destiné à soutenir les activités militaires et paramilitaires des contras a été inscrit au budget des Etats-Unis depuis une date située en 198 1 et jusqu'au 30 septembre 1984 ; et un financement de même source limité à 1' assistance humanitaire est disponible depuis cette dernière date et demeure autorisé jusqu'au 30 septembre 1986.

98. Il semble en outre que, depuis notamment l'imposition de cette dernière restriction, ce soient des sources privées des Etats-Unis qui fournissent une aide, en particulier financière, au vu et au su du gouvernement de ce pays. Dans la mesure où elle est destinée à 1' assistance humanitaire , cette aide est activement encouragée par le président des Etats-Unis. D'après des articles parus dans la presse, le département d'Etat aurait fait savoir en septembre 1984 que le gouvernement avait décidé de G ne pas décourager les ressortissants américains agissant à titre privé, ainsi que les gouvernements étrangers, d'apporter leur appui aux contras.La Cour note que cette prise de position a été provoquée par un incident témoignant de la fourniture d'une assistance privée de caractère militaire.

99. La Cour constate en tout état de cause que le Gouvernement des Etats-Unis a financé, à compter de 198 1 et jusqu'au 30 septembre 1984, les activités militaires et paramilitaires des contras au Nicaragua, et leur a fourni par la suite une assistance humanitaire. C'est M. David Mac-Michael, témoin cité par le Nicaragua, ancien membre de la CIA et responsable des évaluations (Senior Estimates Officer) au groupe d'analyse (Analysis Croup) du conseil national du renseignement (National Intelligence Council), qui, dans sa déposition devant la Cour, a apporté les indications les plus directes au sujet de l'usage précis auquel ces fonds étaient destinés. M. MacMichael a déclaré qu'en 1981 il avait participé ès qualités à l'examen d'un plan concernant le Nicaragua, dont des extraits devaient être publiés ultérieurement par le Washington Post, et il a confirmé qu'à l'exception d'un détail (qui n'est pas repris ici) ces extraits donnaient une idée exacte du plan, dont l'objectif était décrit en ces termes : « Selon les documents du conseil de sécurité nationale, les opérations secrètes prévues par la proposition de la CIA doivent : développer, en Amérique centrale et au Nicaragua, un soutien populaire pour un front d'opposition nationaliste, anti-Cuba et anti-Somoza. Soutenir le front d'opposition en formant et en entraînant des équipes d'action afin de rassembler des renseignements et d'entreprendre des opérations paramilitaires et politiques au Nicaragua et ailleurs. Travailler, surtout par l'intermédiaire de non-Américains ».pour atteindre ces objectifs secrets ...

100. M. Chamorro, ancien dirigeant de la FDN a, quant à lui, apporté dans sa déclaration sous serment des éléments d'information sur la manière dont les fonds ainsi alloués ont été utilisés jusqu'a l'automne 1984. Sa déclaration contient de nombreux détails sur l'assistance fournie à la FDN. La Cour ne possède pas d'informations directes comparables au sujet du soutien apporté à l’ARDE, bien que selon la presse un tel soutien ait pu être donné à divers moments. M. Chamorro indique qu'en 1981 des salaires réguliers étaient offerts par la CIA a d'anciens membres de la garde nationale en exil, et que les armes (fusils FAL, fusils d'assaut AK-47 et mortiers), les munitions, le matériel et le ravitaillement provenaient de la CIA. Lorsqu'il travaillait lui-même à plein temps pour la FDN, un traitement lui était versé, ainsi qu'aux autres membres du directoire politique de la FDN. Il y avait aussi un budget alimenté par les fonds de la CIA pour les communications et l'aide aux réfugiés nicaraguayens ou aux familles des combattants de la FDN, en plus d'un budget militaire et logistique, lequel n'était pas considérable, étant donné que toutes les armes et munitions et tout le matériel militaire, y compris les uniformes, les bottes et le matériel radio, étaient achetés et livrés par la CIA.

10 1. D'après M. Chamorro, l'entraînement était assuré à l'origine par des officiers argentins rétribués par la CIA, qui furent remplacés progressivement par des agents de cette dernière. Les troupes suivaient ainsi un en traînement pour la guérilla, le sabotage, les démolitions et l'utilisation d'armes diverses, en particulier les fusils d'assaut, les mitrailleuses, les mortiers, les lance-grenades et les explosifs, tels que les mines Claymore ... [et] aussi pour les communications en campagne, et la CIA nous enseignait a nous servir de certains codes perfectionnés, que les forces du Gouvernement nicaraguayen ne pouvaient déchiffrer . La CIA communiquait par ailleurs à la FDN des renseignements, en particulier sur les mouvements des troupes nicaraguayennes, obtenus par l'interception des communications radiophoniques et téléphoniques, le décryptage des codes et aussi grâce aux satellites et aux avions de surveillance. M. Chamorro fait aussi état de la fourniture d'aéronefs par la CIA ; d'après la presse il semble qu'il se soit agi d'avions assez légers adaptés à la reconnaissance et dans une certaine mesure au largage de ravitaillement, mais non à des opérations offensives. On a signalé que des hélicoptères à équipage nicaraguayen avaient pris part à certaines opérations des UCLAs (voir le paragraphe 86 ci-dessus), mais rien ne permet de dire s'ils appartenaient aux contras ou s'ils étaient prêtés par des services relevant des Etats-Unis.

102. Le Nicaragua paraît concéder que, si l'on excepte celles qui sont énumérées au paragraphe 8 1, les opérations en territoire nicaraguayen ont été menées par les seuls contras, tous les instructeurs et les conseillers des Etats-Unis se tenant de l'autre côté de la frontière ou dans les eaux internationales. Il affirme cependant que le Gouvernement des Etats-Unis a mis au point la stratégie et dirigé la tactique de la force contra et lui a fourni un appui de combat direct dans ses opérations militaires.

103. Pour démontrer que les Etats-Unis ont mis au point la stratégie et dirigé la tactique des contras, un conseil du Nicaragua a évoqué les étapes successives (indiquées aux paragraphes 95 à 97 ci-dessus) des mesures législatives prises aux Etats-Unis pour doter les contras de moyens financiers, et relevé que chaque offensive contra a été précédée d'une nouvelle attribution de fonds par les Etats-Unis. Il en découlerait, d'après lui, que le moment de chaque offensive a été choisi par les Etats-Unis. Cela peut être vrai dans la mesure où, pour lancer une offensive, il fallait disposer de fonds ; il ne s'ensuit cependant pas, de l'avis de la Cour, que chaque ouverture de crédit des Etats-Unis était destinée à déclencher une offensive particulière ni que les Etats-Unis avaient préparé celle-ci.

104. Les éléments étayant l'assertion suivant laquelle les Etats-Unis auraient conçu la stratégie et dirigé la tactique des contras paraissent être a la Cour les suivants. On trouve certes reproduites dans la presse de nombreuses déclarations de cadres de la FDN témoignant d'une participation des conseillers de la CIA à la planification et à la discussion de la stratégie ou de la tactique, et ces déclarations sont confirmées par . M. Chamorro attribue pratiquement une autorité de commandement aux cadres de la CIA : selon lui ceux-ci auraient ordonné ou donné pour instruction 1) à la FDN d'entreprendre diverses actions. Les cas précis dans lesquels les agents des Etats-Unis auraient eu d'après lui une influence sur la stratégie et la tactique des contras sont les suivants : à la fin de 1982 la CIA a poussé O la FDN à lancer une offensive en vue de conquérir et d'occuper une partie du territoire nicaraguayen. Après l'échec de cette offensive, la CIA a dit à la FDN de ramener ses hommes au Nicaragua et de poursuivre le combat. La CIA a donné en 1983 la directive tactique de ne pas détruire les exploitations agricoles et les récoltes, et la directive opposée en 1984. En 1983, la CIA a de nouveau indiqué qu'elle souhaitait que la FDN déclenche une offensive pour s'emparer d'une partie du territoire au Nicaragua. Il convient, à cet égard, d'appeler aussi l'attention sur la déclaration de M. Chamorro (paragraphe 101 ci-dessus) suivant laquelle la CIA communiquait à la FDN des renseignements, en particulier sur les mouvements des troupes nicaraguayennes, et mettait à sa disposition des avions légers adaptés à la reconnaissance et dans une certaine mesure au largage de ravitaillement. M. Chamorro, le commandant Carrion et l'un des conseils du Nicaragua ont insisté sur l'influence qu'avaient les renseignements fournis et les vols de ravitaillement sur la tactique des contras.

105. Le Nicaragua a affirmé qu'en 1983 une nouvelle stratégie pour les opérations des contras au Nicaragua et contre lui avait été adoptée au niveau le plus élevé du Gouvernement des Etats-Unis. Selon la Cour il paraît ressortir des indications fournies à l'appui de cette assertion qu'un changement de stratégie des contras est intervenu à cette époque et que le Gouvernement des Etats-Unis a adopté une nouvelle politique d'appui plus ostensible aux contras, se traduisant pour finir par l'ouverture de crédits spéciaux dans le Department of Defense Appropriations Act, 1984 (art. 775) et l'Intelligence Authorization Act pour l'exercice financier 1984 (art. 108). La nouvelle stratégie contra devait consister à attaquer des cibles économiques telles que des centrales électriques et des dépôts et à porter le combat dans les agglomérations.

106. Au vu des éléments d'information dont elle dispose, la Cour n'est pas convaincue que l'ensemble des opérations lancées par la force contra, à chaque étape du conflit, obéissait à une stratégie et à des tactiques qui auraient toutes été élaborées par les Etats-Unis. De l'avis de la Cour il est cependant établi que l'appui des autorités des Etats-Unis aux activités des contras a pris, au fil des années, diverses formes telles que le soutien logistique, la fourniture de renseignements sur les positions et les mouvements des troupes sandinistes, l'emploi de moyens de communication perfectionnés. l'utilisation de réseaux de transmission de campagne, la couverture radar. Il paraît clair à la Cour qu'un certain nombre d'opérations militaires et paramilitaires de cette force ont été décidées et planifiées, sinon par les-conseillers des Etats-Unis, au moins en liaison étroite avec eux et sur la base de l'assistance en matière de renseignement et de logistique que les Etats-Unis étaient en mesure d'offrir, en particulier en mettant à la disposition des contras des avions de ravitaillement.

107. Pour résumer, en dépit du caractère secret qu'il a revêtu, du moins à son début, l'appui financier apporté par le Gouvernement des Etats-Unis aux activités militaires et paramilitaires des contras est un fait parfaitement établi. Les organes législatifs et exécutifs de L'Etat défendeur ont d'ailleurs ouvertement reconnu, à la suite des polémiques qui se sont engagées aux Etats-Unis, la nature, le volume et la fréquence de cet appui. Ils en revendiquent même clairement la responsabilité, cette aide gouvernementale étant devenue aujourd'hui l'élément majeur de la politique extérieure des Etats-Unis dans la région. La Cour a pu parvenir à une conclusion générale sur les modalités de la transformation de cet appui financier en assistance pratique.

108. En dépit de la masse de moyens de preuve documentaire et testimoniale qu'elle a examinés, la Cour n'est cependant pas parvenue à s'assurer que 1'Etat défendeur a <<>

109. La Cour doit déterminer si les liens entre les contras et le Gouvernement des Etats-Unis étaient à tel point marqués par la dépendance d'une part et l'autorité de l'autre qu'il serait juridiquement fondé d'assimiler les contras à un organe du Gouvernement des Etats-Unis ou de les considérer comme agissant au nom de ce gouvernement. Il y a lieu de noter ici l'appréciation portée en mai 1983 par la commission du renseignement dans le rapport mentionné au paragraphe 95 ci-dessus quant au fait que les contras constituent une force indépendante et que le seul élément de contrôle que les Etats-Unis pourraient exercer » serait <<>

110. Pour ce qui est du moyen de contrôle que représenterait une éventuelle interruption de L’aide militaire des Etats-Unis, il convient de noter qu'après le 1er octobre 1984 cette aide n'a plus été autorisée, bien que la mise en commun des renseignements et la fourniture d'une assistance humanitaire au sens de la législation évoquée plus haut (paragraphe 97) demeure possible. Pourtant, d'après le Nicaragua lui-même et d'après la presse, l'activité des contras s'est poursuivie. Tout compte fait, les éléments dont la Cour dispose donnent à penser que les diverses formes d'assistance accordées par les Etats-Unis aux contras ont été essentielles pour permettre à ceux-ci de poursuivre leur activité, mais ne suffisent pas à démontrer leur totale dépendance par rapport à L’aide des Etats-Unis. En revanche ils indiqueraient que dans les premières années de l'assistance des Etats-Unis une telle dépendance existait. Néanmoins, la question de savoir si. à un moment quelconque, le Gouvernement des Etats-Unis a mis au point la stratégie et dirigé les tactiques des contras est fonction de la mesure dans laquelle les Etats-Unis ont usé des possibilités de contrôle qu'implique cette dépendance. La Cour a déjà dit qu'elle ne dispose pas de preuves suffisantes pour parvenir à une conclusion à ce sujet. Il lui est à fortiori impossible d'assimiler, juridiquement parlant, la force contra aux forces des Etats-Unis. Cette constatation n'épuise cependant pas la question de la responsabilité incombant aux Etats-Unis pour leur assistance aux contras.

11 1. Selon la Cour il est établi que la force contra a, au moins à une certaine période, été tributaire des Etats-Unis au point de ne pouvoir mener ses activités militaires et paramilitaires les plus cruciales ou les plus significatives sans l'appui multiforme de ces derniers. Cette conclusion est fondamentale en l'espèce. Par contre la preuve directe de ce que toutes ses activités, ou la plupart d'entre elles. aient pu à l'époque bénéficier de cet appui n'a pas été suffisamment rapportée dans tous les cas et ne pouvait d'ailleurs vraisemblablement pas l'2tre. Il suffira donc de souligner que la force contra s'est trouvée à l'égard du Gouvernement des Etats-Unis dans une situation qui implique l'exercice par ce gouvernement du contrôle décrit ci-dessus.

112. Pour démontrer l'existence de ce contrôle, le demandeur a, entre autres. soutenu devant la Cour que les dirigeants politiques de la force contra étaient sélectionnés, installés et rétribués par les Etats-Unis : il a même ajouté que c'était à la fois pour garantir le contrôle des Etats-Unis sur cette force et susciter une attitude favorable à la politique du gouvernement au sein du Congrès et dans le public aux Etats-Unis. D'après la déclaration sous serment de M. Chamorro - qui a été directement mêlé à ces événements - au moment où la FDN a été constituée le nom de L’organisation, la composition de la junte politique et celle de l'état-major avaient été choisis ou approuvés par la CIA ; plus tard la CIA a demandé qu'une certaine personne soit placée à la tête du directorat politique de la FDN, ce qui fut fait. Toutefois la question de la sélection, de l'installation et de la rétribution des dirigeants de la force contra n'est qu'un aspect parmi d'autres du degré de dépendance de cette force. Cette dépendance partielle à l'égard des autorités des Etats-Unis, dont la Cour ne saurait établir le degré exact. peut certes se déduire notamment (mais non pas exclusivement) du phénomène de sélection des dirigeants par les Etats-Unis. Mais elle peut aussi se déduire d'autres éléments, dont certains ont été examinés par la Cour, tels que l'organisation, l'entraînement, L’équipement de la force. la planification des opérations, le choix des objectifs et le soutien opérationnel fourni.

1 13. La question du degré de contrôle exercé par le Gouvernement des Etats-Unis sur les contras se rattache à la thèse du Nicaragua attribuant à ce gouvernement la responsabilité des activités des contras. Les Etats-Unis auraient violé de ce fait une obligation de droit international de ne pas tuer. blesser ou enlever des citoyens du Nicaragua. Les activités en question correspondraient selon le Nicaragua à l'application de tactiques consistant notamment à répandre la terreur et le danger parmi les non-combattants comme une fin en soi, sans essayer de respecter des critères humanitaires et sans qu'intervienne la notion de nécessité militaire . A l'appui de ces affirmations. le Nicaragua cite de nombreux cas d'assassinat, de torture, de viol. d'exécution de prisonniers et de meurtre de civils sans aucune nécessité militaire qu'il attribue aux mercenaires formés par la CIA ou aux « forces mercenaires . D'après la déclaration du commandant Carrion annexée au mémoire les premiers incidents de ce genre remontent à décembre 1981 et se sont poursuivis jusqu'à la fin de 1984. Deux des personnes citées par le Nicaragua, le père Loison et M. Glennon, ont témoigné d'événements de ce genre. A titre d'exemples destinés à apporter la preuve directe des tactiques qu'adoptent les contras sous la direction et le contrôle des Etats-Unis le Nicaragua cite dans son mémoire les propos de M. Edgar Chamorro, ancien dirigeant de la FDN, propos répétés dans sa déclaration sous serment et repris par la presse, au sujet des assassinats commis dans des villages nicaraguayens ; l'existence d'un rapport confidentiel de la Defence Intelligence Agency de juillet 1982 dont a fait état le New York Times du 2 1 octobre 1984, où l'on pouvait lire que les contras se livraient à des assassinats ; et la rédaction par la CIA en 1983 d'un manuel de guerre psychologique. La déclaration sous serment de M. Chamorro a aussi été invoquée à l'audience.

114. A cet égard, la Cour note que, d'après le Nicaragua, les contras ne seraient que des bandes de mercenaires recrutées, organisées, payées et commandées par le Gouvernement des Etats-Unis. Elles n'auraient donc pas de réelle autonomie par rapport à ce gouvernement. En conséquence, les infractions qu'elles auraient commises seraient imputables au Gouvernement des Etats-Unis, comme celles de toutes autres forces placées sous l'autorité de ce dernier. D'après le Nicaragua, à strictement parler, les attaques militaires et paramilitaires déclenchées par les Etats-Unis contre le Nicaragua ne constituent pas un cas de lutte civile, ce sont essentiellement des actes des Etats-Unis . Si une telle imputabilité aux Etats-Unis devait être retenue, alors ne se poserait aucune-question de simple complicité pour ces actes, ni d'incitation à les faire commettre.

115. La Cour a estimé (paragraphe 110 ci-dessus) que, même prépondérante ou décisive, la participation des Etats-Unis à l'organisation, à la formation, à l'équipement, au financement et à l'approvisionnement des contras, à la sélection de leurs objectifs militaires ou paramilitaires et à la planification de toutes leurs opérations demeure insuffisante en elle-même, d'après les informations dont la Cour dispose, pour que puissent être attribués aux Etats-Unis les actes commis par les contras au cours de leurs opérations militaires ou paramilitaires au Nicaragua. Toutes les modalités de participation des Etats-Unis qui viennent d'être mentionnées, et même le contrôle général exercé par eux sur une force extrêmement dépendante à leur égard, ne signifieraient pas par eux-mêmes, sans preuve complémentaire. que les Etats-Unis aient ordonné ou imposé la perpétration des actes contraires aux droits de l'homme et au droit humanitaire allégués par 1'Etat demandeur. Ces actes auraient fort bien pu être commis par des membres de la force contra en dehors du contrôle des Etats-Unis. Pour que la responsabilité juridique de ces derniers soit engagée, i l devrait en principe être établi qu'ils avaient le contrôle effectif des opérations militaires ou paramilitaires au cours desquelles les violations en question se seraient produites.

116. La Cour ne considère pas que l'assistance fournie par les Etats- Unis aux contras l'autorise à conclure que ces forces sont à tel point soumises aux Etats-Unis que les actes qu'elles pourraient avoir commis seraient imputables à cet Etat. Elle estime que les contras demeurent responsables de leurs actes et que les Etats-Unis n'ont pas à répondre de ceux-ci mais de leur conduite à l'égard du Nicaragua. y compris celle qui est liée aux actes en question. Ce que la Cour doit examiner, ce ne sont pas les griefs relatifs aux violations du droit humanitaire qu'auraient commises les contras et que le Nicaragua considère comme imputables aux Etats-Unis. mais plutôt les actes illicites dont ces derniers pourraient être directement responsables en relation avec les activités des contras. La licéité ou L’illicéité de tels actes des Etats-Unis est une question distincte de celle des violations du droit humanitaire dont les contras se seraient éventuellement rendus coupables. Aussi la Cour n'a-t-elle pas à établir s'ils ont en fait commis les violations du droit humanitaire qui leur sont attribuées. Cependant la question de savoir si. au moment considéré. le Gouvernement des Etats-Unis avait ou devait avoir connaissance des allégations de violations du droit humanitaire formulées contre les contras intervient dans L’appréciation de la licéité du comportement des Etats-Unis. Les faits à retenir à cet égard sont en premier lieu ceux qui ont trait à la mise en circulation du manuel d'opérations psychologiques en 1983.

1 17. Le Nicaragua a en réalité soumis à la Cour deux publications qui, selon lui. seraient l'œuvre de la CIA et auraient été remises aux contras en 1983. La première s'intitule en espagnol Operaciones sicolbgicas en guerradeguerrillas ( Opérations psychologiques dans la lutte de guérilla O). dont l'auteur serait un certain Tayacan O ; la copie certifiée communiquée à la Cour ne porte ni date ni nom d'éditeur. La préface de cette publication la présente comme un manuel pour la préparation des guérilleros aux opérations psychologiques et à son application dans le cas concret de la croisade chrétienne et démocratique à laquelle se livrent au Nicaragua les commandos de la liberté D. La seconde publication est intitulée Manuel du combattant de la liberté et porte le sous-titre Guide pratique devant permettre de libérer le Nicaragua de l'oppression et de la misère en paralysant le complexe militaro-industriel de 1'Etat marxiste félon, sans équipements spéciaux et au moindre risque pour le combattant . Le texte est imprimé en anglais et en espagnol et est illustré par des croquis sommaires : il constitue une initiation aux techniques élémentaires de sabotage. Les seules indications que possède la Cour au sujet des auteurs de cet ouvrage sont des articles du NewYork Times d'après lesquels un parlementaire des Etats-Unis et M. Edgar Chamorro en auraient attribué la paternité à la CIA. N'ayant d'autre preuve du lien entre le Manuel du combattant de la liberté et la CIA que des articles parus dans la presse, la Cour n'est pas en mesure de retenir sa publication comme un fait qui serait imputable au Gouvernement des Etats-Unis aux fins de la présente affaire.

1 18. La Cour s'attachera donc à l'autre manuel. relatif aux opérations psychologiques . 11 est clair que celui-ci est l'œuvre de la CIA : un rapport de la commission du renseignement paru en janvier 1985 le dit expressément. Il ressort de ce rapport qu'il y a eu plusieurs éditions du manuel ; une seule a été présentée et c'est son texte que la Cour prendra en considération. Le manuel est consacré aux techniques destinées à se gagner la population. celle-ci étant définie comme comprenant les guérilleros, les troupes ennemies et la population civile. Les passages du manuel relatifs aux aspects militaires plutôt que politiques ou idéologiques ne sont pas généralement contraires au droit humanitaire, mais il existe de notables exceptions. Une section sur la terreur implicite et explicite souligne certes que les guérilleros doivent veiller a ne pas devenir une incarnation de la terreur. parce qu'il en résulterait une perte de soutien populaire et insiste sur la nécessité de bien se conduire envers la population, mais elle contient aussi des instructions sur la manière de détruire les installations militaires ou de police, d'interrompre les communications, d'enlever des représentants du gouvernement sandiniste, etc. On y envisage la nécessité de tirer sur un citadin essayant de quitter la ville D, acte qui serait justifié par le fait qu'il risquerait d'informer l'ennemi. Une section sur <<>

119. D'après la déclaration sous serment de M. Chamorro, quelque deux mille exemplaires du manuel ont été distribués aux membres de la FDN, mais M. Chamorro avait auparavant fait supprimer les pages ou figuraient les deux derniers passages précités pour les remplacer par des pages expurgées. D'après certains articles parus dans la presse, il y aurait eu un autre tirage à trois mille exemplaires (encore que, d'après l'un de ces articles. M. Chamorro ait affirmé n'avoir connaissance d'aucune autre édition). dont, cependant, une centaine seulement, accrochés à des ballons, seraient parvenus nu Nicaragua. Selon un article M. Chamorro aurait expliqué que le manuel avait servi à former (i des douzaines de chefs de la guérilla pendant six mois environ, de décembre 1983 à mai 1984, mais d'après un autre article il aurait dit que l'on n'a pas lu le texte et que la plupart des exemplaires avaient été utilisés dans un cours spécial de guerre psychologique destiné aux échelons intermédiaires. Dans sa déclaration sous serment, M. Chamorro signale que l'attitude de certains commandants d'unités, tranchant sur celle que préconisait le manuel, était que le meilleur moyen de s'assurer la loyauté de la population civile consistait a l'intimider - par des meurtres, des mutilations, etc. - et à nous faire craindre d'elle ».

120. Une des questions examinées par la commission du renseignement était de savoir si la rédaction du manuel contrevenait aux textes législatifs et réglementaires des Etats-Unis ; la commission s'est notamment demandé si le conseil de neutraliser des fonctionnaires locaux était contraire à 1'Executive Order 12333. Cette ordonnance, qui renouvelait des directives antérieures, avait été adoptée par le président Reagan en décembre 1981 ; il y était prévu que (i 2.1 1. Aucune personne employée par le Gouvernement des Etats-Unis ou agissant en son nom ne commettra d'assassinats ni ne se concertera avec d'autres pour en préparer. 2.12. Aucun service de renseignements ne participera à des activités interdites par la présente ordonnance ni ne demandera à quiconque de se livrer à de telles activités. (U.S. Code, Congressional and Administrative News, 97th Congress, First Session, 1981, p. B.114.) Selon la presse le manuel était l'œuvre d'« un contractuel subalterne de la CIA ; la commission du renseignement a conclu dans son rapport : (i La commission croit que le manuel a été une cause d'embarras pour les Etats-Unis et qu'il n'aurait jamais dû voir le jour, sous aucune des diverses formes qui lui ont été données. Les comportements précis qu'il décrit sont radicalement contraires aux valeurs américaines. A l'origine, ce manuel avait pour but de donner à la FDN des règles de conduite modérées sur le terrain. Mais la commission estime que la rédaction, l'édition, la distribution et l'usage du manuel n'ont pas fait l'objet d'un contrôle suffisant. Personne, hormis son auteur, n'y a prêté grande attention. La plupart des fonctionnaires de la CIA ont appris son existence par les médias. La commission s'est entendu dire que les fonctionnaires de la CIA qui auraient dû examiner le manuel en question ne l'avaient pas fait. De même, tous les fonctionnaires de la CIA auraient dû connaître l'ordonnance interdisant l'assassinat ... ; or certains d'entre eux ne la connaissaient pas. Personne à la CIA ne semblait savoir à qui exactement incombaient les responsabilités liées à la publication et à la distribution de ce manuel. Aux yeux de la plupart des membres de la commission, cet incident démontre une fois de plus que la CIA ne maîtrisait ni ne contrôlait pas suffisamment l'ensemble des activités secrètes menées au Nicaragua ...Les fonctionnaires de la CIA, quel que soit leur grade, n'ont jamais lu le manuel et n'avaient pas été informés de son existence. L'histoire du manuel est essentiellement un cas de négligence, et non pas une tentative d'acte illégal. La commission estime qu'il n'y a pas eu intention délibérée d'enfreindre L’ordonnance 12333. Quand l'existence du manuel a été connue du Congrès des Etats-Unis, d'après un article de journal la CIA a insisté auprès des rebelles pour qu'ils ne tiennent aucun compte de ce qui y était recommandé et a commencé à essayer de récupérer des exemplaires du document.

121. Au moment ou la commission du renseignement a enquêté sur la publication du manuel d'opérations psychologiques, la question du comportement des contras au Nicaragua a causé un émoi considérable dans l'opinion publique aux Etats-Unis et la presse lui a consacré de nombreux articles. L'attention s'est ainsi portée sur des allégations de comportement terroriste ou d'atrocités qui auraient été commises contre des civils et qui ont fait par la suite l'objet de rapports de diverses commissions d'enquête dont le Nicaragua a soumis des exemplaires à la Cour. Selon la presse, des agents de la CIA ont présenté en 1984 à la commission du renseignement des informations à ce sujet, en précisant que le manuel avait précisément été rédigé pour cette raison et dans le souci de modérer la conduite des rebelles . Une confirmation est apportée à ce sujet par la conclusion de la commission du renseignement suivant laquelle à l'origine ce manuel avait pour but d'enseigner à la FDN des règles de conduite modérées sur le terrain . Au moment où le manuel a été rédigé, ceux qui en avaient la responsabilité n'ignoraient pas qu'ê tout le moins il était allégué que les contras se comportaient d'une manière inconciliable avec le droit humanitaire.

122. La Cour est parvenue a la conclusion qu'en 1983 un organisme du Gouvernement des Etats-Unis a fourni à la FDN un manuel sur les opérations psychologiques de guérilla qui, bien que décourageant expressément la violence aveugle contre les civils, considérait qu'il fallait ouvrir le feu sur ceux qui tenteraient de quitter une agglomération et conseillait à des fins de propagande la neutralisation de juges, de fonctionnaires ou de notables locaux après un simulacre de procès se déroulant en présence de la population. Le texte remis aux contras préconisait aussi le recrutement de professionnels du crime pour exécuter des contrats non spécifiés et le recours à la provocation dans les manifestations de masse pour susciter une réaction violente des autorités et créer ainsi des (1 martyrs .

123. Le Nicaragua s'est plaint devant la Cour de certaines mesures de caractère économique prises contre lui par le Gouvernement des Etats-Unis et dont la première est l'interruption de l'aide économique en avril 198 1, qui constituerait selon lui une forme indirecte d'intervention dans ses affaires intérieures. Selon les informations publiées par le Gouvernement des Etats-Unis, plus de 100 millions de dollars d'aide économique avaient été fournis au Nicaragua entre juillet 1979 et janvier 1981 ; toutefois, les inquiétudes du Congrès des Etats-Unis devant certaines activités attribuées au Gouvernement du Nicaragua le conduisirent à exiger, préalablement à l'octroi d'une assistance au Nicaragua, une attestation du président des Etats-Unis certifiant que cet Etat n'aidait, n'encourageait ni n'appuyait aucun acte de violence ou de terrorisme dans d'autres pays (Spec . Central American Assistance Act (loi spéciale d'assistance à l'Amérique centrale). 1979. art. 536 g. Une attestation de ce genre fut délivrée en septembre 1980 (45 Federal Register 62779) ; il y était certifié, après étude des faits connus, que le Gouvernement nicaraguayen n'a pas coopéré avec des organisations terroristes internationales et n'abrite pas de telles organisations, et que ce gouvernement n'aide pas et n'appuie pas les actes de violence ou de terrorisme dans d'autres pays, ni ne s'en fait le complice . Un communiqué officiel de la Maison-Blanche du même jour soulignait que : cette attestation repose sur un examen et une évaluation approfondis de tous les faits pertinents portés à notre connaissance par les services de renseignements ainsi que par les ambassades de notre pays dans la région ... Nos services de renseignements ainsi que nos ambassades au Nicaragua et dans les pays voisins ont été pleinement consultés et les renseignements et avis divers de toutes origines ont été dûment pris en considération. Le 1er avril 1981, cependant, le Gouvernement des Etats-Unis concluait qu'il ne pouvait plus désormais certifier que le Nicaragua ne soutenait pas le terrorisme à l'étranger, et l'assistance économique, qui avait été suspendue en janvier 1981. fut en conséquence supprimée. Selon le ministre des finances du Nicaragua. cette annulation portait également sur des emprunts déjà contractés et son incidence économique a été de plus de 36 millions de dollars par an. Le Nicaragua affirme aussi que, sur le plan multilatéral, les Etats-Unis ont cherché à s'opposer aux prêts au Nicaragua ou à bloquer ces prêts à la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et à la Banque interaméricaine de développement.

124. Le 23 septembre 1983, le président des Etats-Unis a modifié par proclamation le système de contingentement des importations de sucre des Etats-Unis, ce qui a eu pour effet de réduire de 90 pour cent le quota alloué au Nicaragua. Le ministre des finances du Nicaragua a fixé l'incidence économique de la décision à un chiffre compris entre 15 et 18 millions de dollars. étant donné le prix préférentiel dont bénéficie le sucre nicaraguayen sur le marché des Etats-Unis.

125. Le 1er mai 1985 le président des Etats-Unis a adopté un Executive Order où il concluait que la politique et les actes du Gouvernement du Nicaragua constituent une menace exceptionnelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique étrangère des Etats-Unis et déclarait une urgence nationale . Aux termes du message du Président au Congrès, la situation d'urgence résultait des activités agressives du Gouvernement du Nicaragua en Amérique centrale . L'ordonnance proclamait un embargo total sur le commerce avec le Nicaragua, interdisant toutes les importations en provenance et toutes les exportations à destination de ce pays. fermant aux navires nicaraguayens l'accès des ports des Etats-Unis et excluant les aéronefs nicaraguayens du transport aérien à destination et en partance des Etats-Unis.

D. Le comportement du Nicaragua

126. Dans leur contre-mémoire sur la compétence et la recevabilité, les Etats-Unis ont affirmé qu'en vertu du droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective. et conformément aux dispositions du traité interaméricain d'assistance mutuelle, ils avaient donné suite à des demandes d'aide présentées par El Salvador, le Honduras et le Costa Rica en vue de leur légitime défense contre l'agression nicaraguayenne. La Cour doit donc vérifier dans toute la mesure du possible les faits qui sont ou pourraient être à la base de cette assertion, afin de déterminer si la légitime défense collective constitue une justification des activités reprochées aux Etats-Unis. Ceux-ci affirment d'autre part qu'à la suite de certaines assurances données par la junte du gouvernement de reconstruction nationale en 1979. le Gouvernement nicaraguayen est lié par des obligations internationales dans des domaines qui seraient normalement de sa compétence interne exclusive, que ces obligations ont été enfreintes et que cette infraction pourrait justifier l'action des Etats-Unis. La Cour va donc examiner aussi les faits sur lesquels se fonde cette seconde affirmation.

127. Le Nicaragua prétend que les allusions faites par les Etats-Unis à la justification par la légitime défense collective ne sont que des prétextes pour leurs activités. Le vrai motif du comportement des Etats-Unis ne concernerait en rien l'appui qu'ils accusent le Nicaragua de fournir à l'opposition armée au Salvador ; bien plutôt les vrais objectifs de la politique des Etats-Unis seraient d'imposer leur volonté au Nicaragua et de le forcer à s'incliner devant leurs exigences. Selon la Cour, cependant, s'il était établi que le Nicaragua a fourni un appui a l'opposition armée au Salvador et que ce fait constitue une agression armée contre ce pays, et si les autres conditions nécessaires étaient remplies, les Etats-Unis seraient fondés juridiquement à invoquer la légitime défense collective, même si intervenait aussi un autre motif, peut-être même plus déterminant pour les Etats-Unis, tiré de l'orientation politique du gouvernement actuel du Nicaragua. L'existence d'un motif qui s'ajouterait à celui que proclament officiellement les Etats-Unis ne pourrait alors priver ces derniers du droit à recourir à la légitime défense collective. La conclusion à tirer est qu'il y a lieu de faire preuve d'une prudence particulière dans l'examen des allégations des Etats-Unis au sujet des comportements du Nicaragua susceptibles de fournir à la légitime défense une base suffisante.

128. Dans leur contre-mémoire sur la compétence et la recevabilité, les Etats-Unis ont fait valoir que le Nicaragua encourage et appuie l'action violente des guérilleros dans certains pays voisins O, plus particulièrement au Salvador, et que le Nicaragua se livre ouvertement a des incursions militaires à l'intérieur du territoire de ses voisins, le Honduras et le Costa Rica. A l'appui de ces assertions, les Etats-Unis ont annexé à leur contre mémoire une déclaration sous serment du secrétaire d'Etat, M. George P. Shultz, où celui-ci affirmait notamment que : « Les Etats-Unis possèdent de nombreux éléments de preuve d'où il résulte que le Gouvernement du Nicaragua apporte un soutien actif aux groupes armés qui se livrent à des activités militaires et paramilitaires au Salvador et contre ce pays, et qu'il abrite sur son territoire des centres de communication, de commandement, de surveillance, d'entraînement et d'appui logistique utilisés par ces groupes. Le Gouvernement du Nicaragua participe directement avec ces groupes armés à l'organisation des activités militaires et paramilitaires au Salvador et contre ce pays. Le Gouvernement du Nicaragua concourt aussi a l'acquisition et au transit sur son territoire de grandes quantités de munitions, d'approvisionnements et d'armes destinés aux groupes armés qui poursuivent des activités militaires et paramilitaires au Salvador et contre ce pays. Outre cette aide aux groupes armés qui opèrent au Salvador et contre ce pays, le Gouvernement du Nicaragua aide de la même manière, quoique à une échelle plus réduite, ceux qui se livrent ou ont tenté de se livrer à des activités militaires ou paramilitaires dans la République du Costa Rica, dans la République du Honduras et dans la République du Guatemala, et contre ces pays. Les forces militaires régulières du Nicaragua ont lancé plusieurs attaques directes sur le territoire du Honduras et du Costa Rica, et elles ont fait des victimes parmi les forces armées et les populations civiles de ces pays. A propos de cette déclaration, la Cour rappelle les observations qu'elle a faites (paragraphes 69 et 70) au sujet de la valeur probatoire des déclarations de ministres d'un Etat en procès au sujet d'un conflit armé.

129. En outre les Etats-Unis citent les déclarations des présidents Magaiia et Duarte d'El Salvador, divers extraits de presse et des publications officielles du Gouvernement des Etats-Unis. S'agissant des incursions militaires du Nicaragua dans le territoire de ses voisins, les Etats- Unis invoquent une déclaration du représentant permanent du Honduras devant le Conseil de sécurité et des protestations diplomatiques adressées au Gouvernement du Nicaragua par les Gouvernements du Honduras et du Costa Rica. Dans la publication du Gouvernement des Etats-Unis parue par la suite sous le titre « Revolution Beyond Our Borders », qui est évoquée au paragraphe 73 ci-dessus, ces accusations sont complétées par de nouveaux détails. Se fondant sur les archives du Gouvernement
hondurien . les Etats-Unis affirment dans cette publication que l'armée populaire sandiniste a franchi trente-cinq fois la frontière du Honduras en 1981 et soixante-huit fois en 1982.

130. Dans la phase portant sur la compétence les Etats-Unis ont invoqué la justification de légitime défense collective en liaison avec des attaques qui auraient été lancées contre El Salvador. le Honduras et le Costa Rica. il est clair cependant, d'après des documents soumis par le Nicaragua. qu'en dehors de la Cour l'exécutif des Etats-Unis a surtout mis en u n avant l'argument de la fourniture d'armes et des autres formes de soutien aux opposants au gouvernement en place au Salvador. En 1983, sur proposition
de la commission du renseignement, les crédits du programme d'aide aux contras devaient exclusivement viser à empêcher les fournitures d'armes au Salvador . Les autres voisins du Nicaragua n'ont pas été perdus de vue mais l'intérêt a continué à être axé sur El Salvador : le Continuing Appropriations Act (art. 8066 b) 1 A) des Etats-Unis pour 1985 prévoit que l'assistance aux activités militaires ou paramilitaires au Nicaragua pourra être reprise si le Président conclut, notamment, que le Gouvernement nicaraguayen apporte un soutien matériel ou financier aux forces antigouvernementales qui se livrent à des opérations militaires ou paramilitaires au Salvador ou dans d'autres pays d'Amérique centrale .

131. Dans la phase sur le fond, le Nicaragua s'est surtout attaché à réfuter l'accusation suivant laquelle il aurait fourni des armes et apporté d'autres formes d'aide aux opposants au Gouvernement d'El Salvador ; il n'a pas expressément visé les allégations concernant les attaques qu'il aurait lancées contre le Honduras ou le Costa Rica. Le Nicaragua répondait
ainsi à ce qui constitue, comme on l'a vu plus haut, l'argument principal par lequel les Etats-Unis entendent justifier leur conduite. Pour déterminer si les conditions qui autoriseraient l'exercice, par les Etats- Unis, du droit de légitime défense collective sont réunies, la Cour examinera donc en premier lieu les activités du Nicaragua en relation avec El Salvador, telles qu'elles ressortent des informations et documents à sa rapport au Honduras ou au Costa Rica pourrait quant à lui justifier l'exercice d'un tel droit ; pour ce faire elle ne prendra en considération que les allégations d'attaques transfrontières directes, puisque la déclaration sous serment de M. Shultz ne vise que le soutien sous forme de fourniture d'armes et d'approvisionnements pour les activités militaires et paramilitaires qui serait dans ces pays à une échelle plus réduite qu'au Salvador.

E. Le droit applicable
187. La Cour doit donc déterminer tout d'abord la substance des règles coutumières relatives à l'usage de la force dans les relations internationales applicables au différend qui lui est soumis. Les Etats-Unis ont soutenu que, s'agissant de la question essentielle de la licéité de l'emploi de la force entre les Etats, il existe une véritable identité entre les règles du droit international général et coutumier et les règles correspondantes de la
Charte des Nations Unies. Pour eux, cette identité est même si complète que, comme il a été dit plus haut (paragraphe 173), elle constitue un argument tendant à interdire à la Cour d'appliquer ce droit coutumier parce que rien ne le distingue du droit conventionnel multilatéral qu'elle ne doit pas appliquer. Dans leur contre-mémoire sur la compétence et la recevabilité les Etats-Unis affirment que : L'article 2, paragraphe 4, de la Charte est le droit international général et coutumier. Ils citent avec approbation une observation de la Commission du droit international d'après laquelle( la grande majorité des spécialistes du droit international soutiennent aujourd'hui, sans aucune hésitation, que le paragraphe 4 de l’article 2, ainsi que d'autres dispositions de la Charte énoncent avec toute l'autorité voulue le droit coutumier moderne concernant la menace ou l'emploi de la force (Annuaire de la Commission du droit international, 1966, vol. I I , p. 269). Les Etats-Unis notent que le Nicaragua a repris ces idées à son compte, puisqu'un de ses conseils a affirmé qu'a en fait les publicistes considèrent généralement que l’article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies reprend à cet égard les principes généraux existants du droit international. Et les Etats-Unis concluent en ces termes :
{( En résumé, les dispositions de l'article 2, paragraphe 4, relatives à la légitimité de l'usage de la force sont le droit coutumier moderne (Commission du droit international, loc. cit.) et reprennent les principes généraux existants du droit international (conseil du Nicaragua, audience du 25 avril 1984, matin, /oc. cit.). Il n'existe pas d'autre droit international général et coutumier sur lequel le Nicaragua puisse fonder sa demande. En conséquence, il est inconcevable que la Cour puisse examiner le caractère licite d'un prétendu recours à la force armée sans se reporter à la principale source du droit international pertinent, l’article 2. paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies. Quant au Nicaragua, tout au plus peut-on noter que, pour lui, dans certains cas il peut y avoir quelques différences de contenu et d'application entre la règle de droit coutumier et la règle conventionnelle.

188. La Cour constate donc que les Parties sont d'accord pour considérer que les principes relatifs à l'emploi de la force qui figurent dans la Charte des Nations Unies correspondent, pour l'essentiel, à ceux qui se retrouvent dans le droit international coutumier. Les Parties sont donc d'avis, l'une et l'autre, que le principe fondamental en cette matière s'exprime par les termes mêmes utilisés à l’article 2, paragraphe 4, de la Charte. Elles acceptent par conséquent une obligation conventionnelle de s'abstenir, dans leurs relations internationales, de la menace ou de l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre matière incompatible avec les buts des Nations Unies. La Cour doit néanmoins s'assurer de l'existence, dans le droit international coutumier, d'une opinio juris relative à la valeur obligatoire d'une telle abstention. Cette opinio juris peut se déduire entre autres, quoique avec la prudence nécessaire, de l'attitude des Parties et des Etats à l'égard de certaines résolutions de l'Assemblée générale, notamment la résolution 2625 (XXV) intitulée Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies . L'effet d'un consentement au texte de telles résolutions ne peut être interprété comme celui d'un simple rappel ou d'une simple spécification de l'engagement conventionnel pris dans la Charte. Il peut au contraire s'interpréter comme une adhésion à la valeur de la règle ou de la série de règles déclarées par la résolution et prises en elles-mêmes. Le principe du non-emploi de la force, par exemple, peut ainsi être considéré comme un principe de droit international coutumier non conditionné par les dispositions relatives à la sécurité collective ou aux facilités et contingents à fournir en vertu de l'article 43 de la Charte. La prise de position mentionnée peut en d'autres termes apparaître comme l'expression d'une opiniojuris a l'égard de la règle (OU de la série de règles) en question, considérée indépendamment désormais des dispositions, notamment institutionnelles, auxquelles elle est soumise sur le plan conventionnel de la Charte.

189. En ce qui concerne les Etats-Unis en particulier, on peut attribuer semblable valeur d'opinio juris à l'appui donné par eux à la résolution de la sixième conférence interaméricaine (1 8 février 1928) condamnant l'agression et à la ratification de la convention de Montevideo sur les droits et devoirs des Etats (26 décembre 1933), dont l'article 1 1 impose l'obligation de ne pas reconnaître les acquisitions de territoires ou d'avantages spéciaux obtenus par la force. Non moins significative est leur acceptation du principe de prohibition de la force contenu dans la déclaration sur les principes régissant les relations mutuelles des Etats participants à la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (Helsinki, 1er août 1975), en vertu de laquelle les Etats participants « s'abstiennent dans leurs relations mutuelles, ainsi que dans leurs relations internationales en général (les italiques sont de la Cour), de recourir à la menace ou à l'emploi de la force. L'acceptation d'une telle formule confirme l'existence chez les Etats participants d'une opinio juris prohibant l'emploi de la force dans les relations internationales.

190. La validité en droit coutumier du principe de la prohibition de l'emploi de la force exprimé à l'article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies trouve une autre confirmation dans le fait que les représentants des Etats le mentionnent souvent comme étant non seulement un principe de droit international coutumier, mais encore un principe fondamental ou essentiel de ce droit. Dans ses travaux de codification du droit des traités la Commission du droit international a exprimé l'opinion que le droit de la Charte concernant l'interdiction de l'emploi de la force constitue en soi un exemple frappant d'une règle de droit international qui relève du jus cogens (paragraphe 1 du commentaire de la Commission sur l'article 50 de ses projets d'articles sur le droit des traités, Annuaire de la Commission, 1966-11, p. 270). Dans le mémoire sur le fond qu'il a présenté en l'espèce le Nicaragua déclare que le principe de l'interdiction de l’emploi
de la force consacré par l'article 2, paragraphe 4. de la Charte des Nations Unies est maintenant admis comme faisant partie du jus cogens . Dans leur contre-mémoire sur la compétence et la recevabilité. Les Etats-Unis quant à eux ont cru devoir citer les commentateurs pour qui ce principe constitue une norme universelle . une règle de droit international universel , un « principe de droit international universellement reconnu et un « principe de jus cogens .

191. S'agissant de certains aspects particuliers du principe en question, il y aura lieu de distinguer entre les formes les plus graves de l'emploi de la force (celles qui constituent une agression armée) et d'autres modalités moins brutales. Pour déterminer la règle juridique s'appliquant à celles-ci, la Cour peut à nouveau faire appel aux mentions incluses dans la déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre Etats conformément à la Charte des Nations Unies (résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale déjà mentionnée). Comme il a été souligné, le fait que les Etats ont adopté ce texte fournit une indication de leur opinio juris sur le droit international coutumier en question. La déclaration comporte, à côté de certaines formulations qui peuvent s'appliquer à l'agression, d'autres qui ne visent que des modalités moins graves d'emploi de la force. On y trouve notamment les passages suivants : « Tout Etat a le devoir de s'abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force pour violer les frontières internationales existantes d'un autre Etat ou comme moyen de règlement des différends internationaux, y compris les différends territoriaux et les questions relatives aux frontières des Etats. Les Etats ont le devoir de s'abstenir d'actes de représailles impliquant l'emploi de la force. Tout Etat a le devoir de s'abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait de leur droit à l'autodétermination, à la liberté et à l'indépendance les peuples mentionnés dans la formulation du principe de l'égalité de droits et de leur droit de disposer d'eux-mêmes. Chaque Etat a le devoir de s'abstenir d'organiser ou d'encourager l'organisation de forces irrégulières ou de bandes armées, notamment de bandes de mercenaires, en vue d'incursions sur le territoire d'un autre Etat. Chaque Etat a le devoir de s'abstenir d'organiser et d'encourager des actes de guerre civile ou des actes de terrorisme sur le territoire d'un autre Etat, d'y aider ou d'y participer, ou de tolérer sur son territoire des activités organisées en vue de perpétrer de tels actes, lorsque les actes mentionnés dans le présent paragraphe impliquent une menace ou l'emploi de la force.

192. D'autre part, dans le passage de cette même déclaration qui concerne le principe de non-intervention dans les affaires relevant de la compétence nationale d'un Etat, on trouve une règle très semblable : « Tous les Etats doivent aussi s'abstenir d'organiser, d'aider, de fomenter, de financer, d'encourager ou de tolérer des activités armées subversives ou terroristes destinées à changer par la violence le régime d'un autre Etat ainsi que d'intervenir dans les luttes intestines d'un autre Etat. Dans le contexte du système interaméricain, cette approche remonte au moins à 1928 (convention concernant les droits et les devoirs des Etats en cas de luttes civiles, art. 1, par. 1) ; elle est confirmée par le dispositif de la résolution 78 que l'Assemblée générale de l'organisation des Etats américains a adoptée le 2 1 avril 1972, par laquelle elle décidait : « 1. De rappeler solennellement aux Etats membres de l’Organisation des Etats américains qu'ils doivent observer strictement les principes de non-intervention et d'autodétermination des peuples en tant que moyen d'assurer entre eux une coexistence pacifique, et de les inviter à s'abstenir de tout acte qui, directement ou indirectement, pourrait constituer une violation de ces principes. 2. De réaffirmer l'obligation qu'ont lesdits Etats de s'abstenir d'appliquer des mesures économiques, politiques ou de toute autre nature que ce soit pour exercer une coercition sur un autre Etat et obtenir de lui des avantages de quelque ordre que ce soit. 3. De réaffirmer également l’obligation de ces Etats de s'abstenir d'organiser, d'appuyer, d'encourager, de financer, de susciter ou de tolérer des activités subversives, terroristes ou armées contre un autre Etat, et d'intervenir dans une guerre civile d'un autre Etat ou dans ses luttes intérieures.

193. La règle générale d'interdiction de la force comporte certaines exceptions. Etant donné l'argumentation avancée par les Etats-Unis pour justifier les faits qui leur sont reprochés par le Nicaragua, la Cour doit s'exprimer sur le contenu du droit de légitime défense, et plus précisément du droit de légitime défense collective. A l'égard, tout d'abord, de l'existence de ce droit elle constate que, selon le libellé de l'article 5 1 de la Charte des Nations Unies, le droit naturel (ou « droit inhérent O) que tout Etat possède dans l'éventualité d'une agression armée s'entend de la légitime défense, aussi bien collective qu'individuelle. Ainsi la Charte elle-même atteste l'existence du droit de légitime défense collective en droit international coutumier. En outre, de même que les mentions de certaines déclarations de l'Assemblée générale adoptées par les Etats attestent leur reconnaissance du principe de prohibition de la force sur le plan proprement coutumier, certaines mentions de ces mêmes déclarations jouent le même rôle à l'égard du droit de légitime défense (collective aussi bien qu'individuelle). Ainsi, dans la déclaration déjà citée relative aux principes du droit international touchant les relations amicales entre les Etats conformément à la Charte, les mentions relatives à la prohibition de la force sont suivies d'un paragraphe aux termes duquel : Aucune disposition des paragraphes qui précèdent ne sera interprétée comme élargissant ou diminuant de quelque manière que ce soit la portée des dispositions de la Charte concernant les cas dans lesquels l'emploi de la force est licite. Cette résolution démontre que les Etats représentés à l'Assemblée générale considèrent l'exception à l'interdiction de la force que constitue le droit de légitime défense individuelle ou collective comme déjà établie par le droit international coutumier.

194. Pour ce qui est des caractéristiques de la réglementation du droit de légitime défense, les Parties, tenant l'existence de ce droit pour démontrée sir le plan coutumier, se sont concentrées sur les modalités qui en conditionnent l'exercice. En raison des circonstances dans lesquelles est né leur différend, elles ne font état que du droit de légitime défense dans le cas d'une agression armée déjà survenue et ne se posent pas la question de la
licéité d'une réaction à la menace imminente d'une agression armée. La Cour ne se prononcera donc pas sur ce sujet. Les Parties sont en outre d'accord pour admettre que la licéité de la riposte à l'agression dépend du respect des critères de nécessité et de proportionnalité des mesures prises au nom de la légitime défense. L'existence du droit de légitime défense collective étant établie en droit international coutumier, la Cour doit définir les conditions particulières auxquelles sa mise en œuvre peut avoir à répondre en sus des conditions de nécessité et de proportionnalité rappelées par les Parties.

195. Dans le cas de la légitime défense individuelle, ce droit ne peut être exercé que si 1'Etat intéressé a été victime d'une agression armée. L'invocation de la légitime défense collective ne change évidemment rien à cette situation. L'accord paraît aujourd'hui général sur la nature des actes pouvant être considérés comme constitutifs d'une agression armée. En particulier, on peut considérer comme admis que, par agression armée, il faut entendre non seulement l'action des forces armées régulières à travers une frontière internationale mais encore l'envoi par un Etat ou en son nom de bandes ou de groupes armés, de forces irrégulières ou de mercenaires qui se livrent à des actes de force armée contre un autre Etat d'une gravité telle qu'ils équivalent (entre autres) à une véritable agression armée accomplie par des forces régulières, ou [au] fait de s'engager d'une manière substantielle dans une telle action ». Cette description, qui figure à l'article 3, alinéa g), de la définition de l'agression annexée à la résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée générale, peut être considérée comme l'expression du droit international coutumier. La Cour ne voit pas de raison de refuser d'admettre qu'en droit international coutumier la prohibition de l'agression armée puisse s'appliquer à l'envoi par un Etat de bandes armées sur le territoire d'un autre Etat si cette opération est telle par ses dimensions et ses effets, qu'elle aurait été qualifiée d'agression armée et non de simple incident de frontière si elle avait été le fait de forces armées régulières. Mais la Cour ne pense pas que la notion d' agression armée puisse recouvrir non seulement l'action de bandes armées dans le cas ou cette action revêt une ampleur particulière, mais aussi une assistance à des rebelles prenant la forme de fourniture d'armements ou d'assistance logistique ou autre. On peut voir dans une telle assistance une menace ou un emploi de la force, ou l'équivalent d'une intervention dans les affaires intérieures ou extérieures d'autres Etats. Il est clair que c'est l’Etat victime d'une agression armée qui doit en faire la constatation. Il n'existe, en droit international coutumier, aucune règle qui permettrait à un autre Etat d'user du droit de légitime défense collective contre le prétendu agresseur en s'en remettant à sa propre appréciation de la situation. En cas d'invocation de la légitime défense collective, il faut s'attendre à ce que 1'Etat au profit duquel ce droit va jouer se déclare victime d'une agression armée.

196. Reste à déterminer si la licéité de la mise en jeu de la légitime défense collective par 1'Etat tiers au profit de 1'Etat agressé dépend également d'une demande que celui-ci lui aurait faite. Une disposition de la charte de l'Organisation des Etats américains peut être citée ici. La Cour, certes, n'a pas compétence pour considérer cet instrument comme applicable au différend, mais elle peut l'examiner aux fins de déterminer s'il éclaire le contenu du droit international coutumier. La Cour constate que la charte de l'organisation des Etats américains comporte un article 3fl qui énonce notamment le principe que : l'agression contre un Etat américain constitue une agression contre tous les autres Etats américains et un article 27 en vertu duquel :
toute agression exercée par un Etat contre l'intégrité ou l'inviolabilité du territoire ou contre la souveraineté ou l'indépendance politique d'un Etat américain sera considérée comme un acte d'agression contre les autres Etats américains.

197. La Cour note d'autre part qu'aux termes de l'article 3, paragraphe 1, du traité interaméricain d'assistance mutuelle signé à Rio de Janeiro le 2 septembre 1947 les Hautes Parties contractantes conviennent qu'une attaque armée provenant de quelque Etat contre un Etat américain sera considérée comme une attaque contre tous les Etats américains ; en conséquence, chacune desdites parties contractantes s'engage à aider à faire face à l'attaque, en exercice du droit immanent de légitime défense individuelle ou collective, que reconnaît l'article 51 de la Charte des Nations Unies r). Selon le paragraphe 2 du même article :
A la demande de 1'Etat ou des Etats directement attaqués, et jusqu'à la décision de l'organe de consultation du système interaméricain, chaque partie contractante pourra déterminer les mesures immédiates qu'elle adoptera individuellement, en accomplissement de l'obligation dont fait mention le paragraphe précédent et conformément au principe de solidarité continentale. (Le traité de Rio de 1947 a été modifié par le protocole de San José, Costa Rica, de 1975, mais celui-ci n'est pas encore en vigueur.)

198. La Cour constate qu'aux termes du traité de Rio de Janeiro les mesures de légitime défense collective que va prendre chaque Etat sont arrêtées A la demande de 1'Etat ou des Etats directement attaqués . Il est significatif que cette exigence d'une demande de la part de 1'Etat agressé figure dans la convention spécialement consacrée à ces questions d'assistance mutuelle ; elle ne se retrouve pas dans le texte le plus général (la charte de l'organisation des Etats américains). Cependant l'article 28 de la charte de l'organisation des Etats américains prévoit l'application des mesures et des procédures prévues par les <<>

199. Quoi qu'il en soit, la Cour note qu'en droit international coutumier, qu'il soit général ou particulier au système juridique interaméricain, aucune règle ne permet la mise en jeu de la légitime défense collective sans la demande de 1'Etat se jugeant victime d'une agression armée. La Cour conclut que l'exigence d'une demande de 1'Etat victime de l'agression alléguée s'ajoute à celle d'une déclaration par laquelle cet Etat se proclame agressé.

200. A ce point de son arrêt, la Cour peut se demander s'il existe en droit international coutumier une exigence semblable à celle que prévoit le droit conventionnel de la Charte des Nations Unies et qui impose à 1'Etat se prévalant du droit de légitime défense individuelle ou collective de faire rapport à un organe international habilité à se prononcer sur la conformité au droit international des mesures nationale; que cet Etat entend par là justifier. Ainsi l'article 5 1 de la Charte des Nations Unies prescrit aux Etats prenant des mesures dans l’exercice de ce droit de légitime défense de les porter immédiatement r) à la connaissance du Conseil de sécurité. Comme la Cour l'a déjà relevé (paragraphes 178 et 188), un principe consacré par un traité mais existant dans le droit international coutumier peut fort bien, dans celui-ci, être affranchi des conditions et modalités dont il est entouré dans le traité. Quelque influence que la Charte, en ces matières, ait pu avoir sur le droit coutumier, il est clair que, sur le plan de ce droit, la licéité de l'exercice de la légitime défense n'est pas conditionnée par le respect d'une procédure aussi étroitement dépendante du contenu d'un engagement conventionnel et des institutions qu'il établit. En revanche, si un Etat invoquait la légitime défense pour justifier des mesures qui normalement enfreindraient aussi bien le principe du droit international coutumier que celui de la Charte, on s'attendrait à ce que les conditions énoncées par la Charte fussent observées. Par conséquent, dans l'examen effectué au titre du droit coutumier, l'absence de rapport au Conseil de sécurité peut être un des éléments indiquant si 1'Etat intéressé était convaincu d'agir dans le cadre de la légitime défense.

201. Pour justifier certaines activités comportant l'utilisation de la force, les Etats-Unis se sont prévalus uniquement de l'exercice de leur droit de légitime défense collective. La Cour, cependant, compte tenu notamment de la non-participation des Etats-Unis à la phase relative au fond, croit devoir examiner si le droit international coutumier applicable au présent différend comporte d'autres règles susceptibles de faire disparaître l’illicéité de telles activités. Elle ne voit pas de raison, toutefois, de rouvrir la question des conditions réglementant l'exercice du droit de légitime défense individuelle, qu'elle a déjà étudiées à propos de la légitime défense collective. En revanche, elle doit s'interroger sur l’existence d'une éventuelle justification des activités en question qui se rattacherait non pas au droit de légitime défense collective contre une agression armée mais au droit de prendre des contre-mesures en riposte a un comportement du Nicaragua dont il ne serait pas allégué qu'il est constitutif d'une agression armée. Elle procédera à cet examen en liaison avec l'analyse du principe de non-intervention en droit international coutumier.

202. Le principe de non-intervention met en jeu le droit de tout Etat souverain de conduire ses affaires sans ingérence extérieure ; bien que les exemples d'atteinte au principe ne soient pas rares, la Cour estime qu'il fait partie intégrante du droit international coutumier. Comme la Cour a eu l'occasion de le dire : Entre Etats indépendants, le respect de la souveraineté territoriale est l'une des bases essentielles des rapports internationaux (C.I.J. Recueil 1949, p. 35), et le droit international exige aussi le respect de l'intégrité politique. Il n'est pas difficile de trouver de nombreuses expressions d'une opinio juris sur l'existence du principe de non intervention en droit international coutumier. Sans doute les diverses formules par lesquelles les Etats reconnaissent les principes de droit international énoncés par la Charte des Nations Unies ne peuvent s'interpréter en toute rigueur comme s'appliquant au principe de non-intervention d'un Etat dans les affaires intérieures et extérieures d'un autre Etat puisque celui-ci n'est pas à proprement parler énoncé par la Charte. Mais la Charte n'a nullement entendu confirmer sous forme écrite tous les principes essentiels du droit international en vigueur. L'existence du principe de non-intervention dans l’opinio juris des Etats est étayée par une pratique importante et bien établie. On a pu d'ailleurs présenter ce principe comme un corollaire du principe d'égalité souveraine des Etats. 11 l'a été notamment dans la résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale, c'est-à-dire la déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats. Dans l'affaire du Détroit de Corfou, où un Etat prétendait avoir le droit d'intervenir pour recueillir, dans le territoire d'un autre Etat, des éléments de preuve destinés à une juridiction internationale (C.I.J. Recueil 1949, p. 34), la Cour a observe que : Le prétendu droit d'intervention ne peut être envisagé ... que comme la manifestation d'une politique de force, politique qui, dans le passé, a donné lieu aux abus les plus graves et qui ne saurait, quelles que soient les déficiences présentes de l'organisation internationale, trouver aucune place dans le droit international. L'intervention est peut-être moins acceptable encore dans la forme particulière qu'elle présenterait ici, puisque, réservée par la nature des choses aux Etats les plus puissants, elle pourrait aisément conduire à fausser l'administration de la justice internationale elle-même. (C.I.J. Recueil 1949, p. 35.)

203. Le principe a été repris depuis lors dans de très nombreuses déclarations adoptées par diverses organisations et par des conférences internationales auxquelles participaient les Etats-Unis et le Nicaragua, dont la résolution 2131 (XX) de l'Assemblée générale, la déclaration sur l'inadmissibilité de l'intervention dans les affaires intérieures des Etats et la protection de leur indépendance et de leur souveraineté. Il est vrai que, si les Etats-Unis ont voté en faveur de la résolution 21 3 1 (XX) de l'Assemblée générale, ils ont précisé lors de son adoption par la Première Commission qu'ils la considéraient comme une déclaration d'intention politique et non une élaboration du droit (Documents officiels de l'Assemblée générale, vingtième session, Première Commission, A/C. 1 /SR. 1423, p. 458). Toutefois, l'essentiel de la résolution 2131 (XX) est repris dans la déclaration approuvée par la résolution 2625 (XXV), qui énonce des principes que l'Assemblée générale a qualifiés de principes fondamentaux du droit international O, et à propos de laquelle le représentant des Etats-Unis n'a pas fait de déclaration analogue à celle qui vient d'être citée.

204. Pour ce qui est des relations interaméricaines, il convient de signaler par exemple la réserve à la convention de Montevideo sur les droits et les devoirs des Etats (26 décembre 1933), par laquelle les Etats-Unis se déclaraient opposés a toute ingérence dans la liberté, la souveraineté ou autres affaires internes ou aux procédures des gouvernements des autres Nations , ou la ratification par les Etats-Unis du protocole additionnel relatif à la non-intervention (23 décembre 1936). Entre autres exemples plus récents on peut mentionner les résolutions AG/RES.78 et AG/RES. 128 de l'Assemblée générale de l'organisation des Etats américains. Dans un contexte différent les Etats-Unis ont expressément accepté les principes énoncés dans la déclaration, déjà évoquée plus haut, de l'acte final de la conférence d'Helsinki (1er août 1975) sur la sécurité et la coopération en Europe, y compris un exposé détaillé du principe de la non-intervention ; ces principes ont été assurément présentés comme s'appliquant aux relations mutuelles entre les Etats participants, mais on peut considérer que leur texte témoigne de l'existence, et de l'acceptation par les Etats-Unis, d'un principe coutumier universellement applicable.

205. Malgré la multiplicité des déclarations des Etats acceptant le principe de non-intervention, deux problèmes subsistent : premièrement celui du contenu exact du principe ainsi accepté et, deuxièmement, celui de la démonstration que la pratique lui est suffisamment conforme pour qu'on puisse faire état d'une règle de droit international coutumier. En ce qui concerne le premier problème - celui du contenu du principe de non intervention - la Cour se bornera à définir les éléments constitutifs de ce principe qui paraissent pertinents pour la solution du litige. A cet égard, elle note que, d'après les formulations généralement acceptées, ce principe interdit à tout Etat ou groupe d'Etats d'intervenir directement ou indirectement dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre Etat. L'intervention interdite doit donc porter sur des matières à propos desquelles le principe de souveraineté des Etats permet à chacun d'entre eux de se décider librement. Il en est ainsi du choix du système politique, économique, social et culturel et de la formulation des relations extérieures. L'intervention est illicite lorsque à propos de ces choix, qui doivent demeurer libres, elle utilise des moyens de contrainte. Cet élément de contrainte, constitutif de l'intervention prohibée et formant son essence même, est particulièrement évident dans le cas d'une intervention utilisant la force, soit sous la forme directe d'une action militaire soit sous celle, indirecte, du soutien à des activités armées subversives ou terroristes à l'intérieur d'un autre Etat. Ainsi qu'il a été noté (au paragraphe 191), la résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale assimile une telle assistance à l'emploi de la force par 1'Etat qui la fournit quand les actes commis sur le territoire de l'autre Etat impliquent une menace ou l'emploi de la force . Ces formes d'action sont alors illicites aussi bien à l'égard du principe de non-emploi de la force que de celui de la non-intervention. Compte tenu de la nature des griefs du Nicaragua contre les Etats-Unis et de ceux que les Etats-Unis font valoir relativement à la conduite du Nicaragua envers El Salvador, c'est essentiellement d'actes d'intervention semblables que la Cour est amenée à se préoccuper en la présente espèce.

206. Toutefois, avant de parvenir à une conclusion sur la nature de l'intervention prohibée, la Cour doit s'assurer que la pratique des Etats justifie cette conclusion. Or un certain nombre d'exemples d'interventions étrangères dans un Etat au bénéfice de forces d'opposition au gouvernement de celui-ci ont pu être relevés au cours des dernières années. La Cour ne songe pas ici au processus de décolonisation. Cette question n'est pas en cause en la présente affaire. La Cour doit examiner s'il n'existerait pas des signes d'une pratique dénotant la croyance en une sorte de droit général qui autoriserait les Etats à intervenir, directement ou non, avec ou sans force armée, pour appuyer l'opposition interne d'un autre Etat, dont la cause paraîtrait particulièrement digne en raison des valeurs politiques et morales avec lesquelles elle s'identifierait. L'apparition d'un tel droit général supposerait une modification fondamentale du droit international coutumier relatif au principe de non-intervention.

207. Au sujet des comportements qui viennent d'être évoqués, la Cour doit néanmoins souligner que, comme elle l'a rappelé dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, pour qu'une nouvelle règle coutumière fasse son apparition, les actes correspondants doivent non seulement représenter une pratique constante , mais en outre se rattacher à une opinio juris sive necessitatis. Ou bien les Etats agissant de la sorte ou bien d'autres Etats en mesure de réagir doivent s'être comportés d'une façon qui témoigne de la conviction que cette pratique est rendue obligatoire par l'existence d'une règle de droit. La nécessité de pareille conviction, c'est-à- dire l'existence d'un élément subjectif, est implicite dans la notion même d'opinio juris sive necessitatis. (C.I.J. Recueil 1969, p. 44, par. 77.) La Cour n'a pas reçu compétence pour statuer sur la conformité avec le droit international de comportements d'Etats qui ne sont pas parties au présent différend ou de comportements des Parties sans lien avec ce dernier ; rien non plus ne l'autorise à prêter à des Etats des vues juridiques qu'eux-mêmes ne formulent pas. La signification pour la Cour de comportements étatiques à première vue inconciliables avec le principe de non-intervention réside dans la nature du motif invoqué comme justification. L'invocation par un Etat d'un droit nouveau ou d'une exception sans précédent au principe pourrait, si elle était partagée par d'autres Etats, tendre à modifier le droit international coutumier. En réalité la Cour constate cependant que les Etats n'ont pas justifié leur conduite en prenant argument d'un droit nouveau d'intervention ou d'une exception nouvelle au principe interdisant celle-ci. A diverses occasions les autorités des Etats-Unis ont clairement exposé les motifs qu'elles avaient d'intervenir dans les affaires d'un Etat étranger et qui tenaient par exemple à la politique intérieure de ce pays, à son idéologie, au niveau de ses armements ou à l'orientation de sa politique extérieure. Mais il s'agissait là de l'exposé de considérations de politique internationale et nullement de l'affirmation de règles du droit international actuel.

208. En particulier, à propos de leur conduite à l'égard du Nicaragua qui est mise en cause en l'espèce, les Etats-Unis n'ont pas prétendu que leur intervention, ainsi justifiée sur le plan politique, l'était aussi sur le plan juridique, au motif qu'ils mettraient de la sorte en oeuvre un nouveau droit d'intervention qui, d'après eux, existerait actuellement en pareilles circonstances. Comme il a été rappelé ci-dessus, les Etats-Unis ont expressément et exclusivement justifié leur intervention, sur le plan juridique, en faisant appel à des règles classiques O, à savoir la légitime défense collective contre une agression armée. Le Nicaragua, de son côté, a souvent exprimé sa solidarité et sa sympathie à l'égard d'opposants dans divers Etats et notamment au Salvador. Mais il n'a pas affirmé non plus que cela justifiait juridiquement une intervention, surtout une intervention comportant l'usage de la force.

209. La Cour constate par conséquent que le droit international contemporain ne prévoit aucun droit général d'intervention de ce genre en faveur de l'opposition existant dans un autre Etat. Sa conclusion sera que les actes constituant une violation du principe coutumier de non-intervention qui impliquent, sous une forme directe ou indirecte. l'emploi de la force dans les relations internationales. constitueront aussi une violation du principe interdisant celui-ci.

210. Lorsqu'elle a analysé le contenu de la règle prohibant l'emploi de la force. la Cour a examiné l'exception à cette règle que représente. en cas d'agression armée. l'exercice du droit de légitime défense collective. De même doit-elle maintenant se poser la question suivante : si un Etat manque au principe de non-intervention à l'égard d'un autre Etat. est-il licite qu'un troisième Etat prenne, envers le premier, des contre-mesures qui constitueraient normalement une intervention dans ses affaires intérieures ? Le droit d'agir ainsi en cas d'intervention serait analogue au droit de légitime défense collective en cas d'agression armée. mais il se situerait en principe à un niveau inférieur de gravité de l’acte déclenchant la réaction et de cette réaction elle-même. La Cour s'occupant ici d'un différend dans lequel un emploi illicite de la force est allégué. elle doit avant tout se demander si un Etat possède un droit de riposter à l'intervention par l'intervention qui irait jusqu'à justifier l'usage de la force en réaction à des mesures qui. sans constituer une agression armée, pourraient néanmoins impliquer l'emploi de la force. La question en elle-même est incontestablement pertinente d'un point de vue théorique. Mais la Cour. n'ayant à se prononcer que sur les points de droit nécessaires au règlement du différend qui lui est soumis, n'a pas à décider des réactions directes auxquelles peut licitement se livrer un Etat se jugeant victime, de la part d'un autre, d'actes d'intervention comportant éventuellement l'usage de la force. Elle n'a donc pas à déterminer si, dans l'éventualité où le Nicaragua aurait commis de tels actes à l'égard d'El Salvador, celui-ci pouvait licitement prendre des contre-mesures particulières. On pourrait cependant faire valoir que, dans une telle hypothèse, les Etats-Unis auraient pu intervenir au Nicaragua dans l'exercice d'un droit analogue au droit de légitime défense collective et qui jouerait en cas d'intervention se situant en deçà de l'agression armée.

21 1. La Cour a rappelé plus haut (paragraphes 193 à 195) que l'usage de la force par un premier Etat contre un second, parce que celui-ci aurait commis une action de force illicite contre un troisième, est tenu à titre exceptionnel pour légitime, mais seulement quand l’acte illicite provoquant la riposte consiste en une agression armée. Ainsi, la légitimité de l'utilisation de la force par un Etat en réponse à un fait illicite dont il n'a pas été victime n'est pas admise quand le fait illicite en question n'est pas une agression armée. De l'avis de la Cour. dans le droit international en vigueur aujourd'hui - qu'il s'agisse du droit international coutumier ou du système des Nations Unies - les Etats n'ont. aucun droit de riposte armée collective à des actes ne constituant pas une agression armée. La Cour rappelle au surplus que les Etats-Unis se prévalent du droit naturel de légitime défense (paragraphe 126 ci-dessus) ; ils ne semblent nullement prétendre qu'existe un droit qui jouerait pour l'intervention le rôle que le droit de légitime défense collective joue à l'égard de l'agression armée. Pour s'acquitter des obligations que lui impose l'article 53 du Statut, la Cour a dû néanmoins s'interroger sur l'existence d'un tel droit ; elle peut cependant constater que les Etats-Unis n'ont avancé aucun argument dans ce sens qui constituerait l'indication d'une opinio juris.

212. La Cour doit maintenant traiter du principe du respect de la souveraineté des Etats, qui en droit international est étroitement lié à celui de la prohibition de l'emploi de la force et à celui de non-intervention. Le concept juridique fondamental de la souveraineté des Etats en droit international coutumier. consacré notamment par l'article 2. paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies, s'étend aux eaux intérieures et à la mer territoriale de tout Etat, ainsi qu'à l’espace aérien au-dessus de son territoire. Pour ce qui est de l’espace aérien, la convention de Chicago de 1944 relative à l'aviation civile internationale (article premier) reprend le principe établi de la souveraineté complète et exclusive d'un Etat sur l’espace atmosphérique au-dessus de son territoire. Cette convention, se conjuguant avec la convention de Genève de 1958 sur la mer territoriale, précise que la souveraineté de 1'Etat riverain s'étend à la mer territoriale et à l’espace aérien au-dessus de celle-ci. comme le fait aussi la convention sur le droit de la mer adoptée le 10 décembre 1982. 11 est hors de doute pour la Cour que ces prescriptions du droit conventionnel ne font que correspondre à des convictions qui, depuis longtemps, sont bien établies en droit international coutumier.

2 13. L'obligation de tout Etat de respecter la souveraineté territoriale des autres intervient dans le jugement à porter sur les faits relatifs aux minages effectués à proximité des côtes du Nicaragua. Les règles juridiques par rapport auxquelles doivent s'apprécier ces faits de minage dépendent de la localisation de ceux-ci. La pose des mines dans les ports d'un autre Etat est régie par le droit relatif aux eaux intérieures, lesquelles sont soumises à la souveraineté de l’Etat côtier. La situation est analogue pour les mines placées dans la mer territoriale. C'est donc la souveraineté de 1'Etat côtier qui se trouve atteinte en pareil cas. C'est aussi en vertu de sa souveraineté que l’Etat côtier peut réglementer l'accès à ses ports.

2 14. En revanche il est vrai que. afin de pouvoir accéder aux ports, les navires étrangers disposent du droit coutumier de passage inoffensif dans la mer territoriale pour entrer dans les eaux intérieures ou pour les quitter; l'article 18. paragraphe 1 h), de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer en date du 10 décembre 1982 ne fait que codifier le droit international coutumier sur ce point. Comme la liberté de navigation est assurée, d'abord dans les zones économiques exclusives existant éventuellement en bordure des eaux territoriales (article 58 de la convention), puis, au-delà, en haute mer (art. 87). il s'ensuit que tout Etat dont les navires bénéficient d'un droit d'accès aux ports jouit du même coup de toute la liberté nécessaire à la navigation maritime. On peut donc dire que, si ce droit d'accès aux ports est entravé parce qu'un autre Etat a posé des mines, il est porté atteinte à la liberté des communications et du commerce maritime. II est en tout cas certain que les entraves apportées à la navigation affectent la souveraineté de 1'Etat côtier sur ses eaux intérieures, ainsi que le droit de libre accès dont peuvent bénéficier les navires étrangers.

F. Application du droit aux faits
1. Prohibition de la force et droit de légitime défense
227. La Cour va donc apprécier tout d'abord les faits sous l'angle du principe du non-emploi de la force étudié aux paragraphes 187 à 200 ci-dessus. L'illicite, selon ce principe, est le recours soit à la menace soit à l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un Etat. Les griefs du Nicaragua visent surtout l'usage de la force auquel les Etats-Unis se seraient en fait livrés contre lui. Parmi les actes que la Cour a jugé imputables au Gouvernement des Etats-Unis, sont ici pertinents :
- la pose de mines dans les eaux intérieures ou territoriales du Nicaragua au début de l'année 1984 (paragraphe 80 ci-dessus) ;
- certaines attaques contre les ports, les installations pétrolières et une base navale du Nicaragua (paragraphes 81 et 86 ci-dessus).
Ces activités constituent des manquements au principe de prohibition de l'emploi de la force, défini plus haut, à moins qu'elles ne soient justifiées par des circonstances qui en excluraient l'illicéité - point restant à examiner. La Cour a également constaté (paragraphe 92) que les Etats-Unis avaient effectué des manœuvres militaires aux frontières du Nicaragua ; et le Nicaragua a laissé entendre qu'il y avait là une (1 menace d'emploi de la force » qu'interdirait aussi le principe du non-usage de la force. La Cour n'est cependant pas convaincue que. dans les circonstances où elles ont eu lieu, les manœuvres incriminées constituaient de la part des Etats-Unis et à l'encontre du Nicaragua une violation du principe interdisant le recours à la menace ou à l'emploi de la force.

228. Le Nicaragua a d'autre part soutenu que les Etats-Unis ont enfreint l'article 2, paragraphe 4, de la Charte et employé la force en violation de leur obligation résultant du droit international coutumier en (1 recrutant, formant, armant, équipant, finançant, approvisionnant et en encourageant, appuyant, assistant et dirigeant de toute autre manière des actions militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (requête, par. 26 a) et c.
Dans la mesure où ces accusations visent des infractions à la Charte, elles sont exclues de la compétence de la Cour par la réserve relative aux traités multilatéraux. Quant à l'affirmation suivant laquelle les activités des Etats-Unis en relation avec les contras constitueraient une violation du principe de non-emploi de la force en droit international coutumier, la Cour constate que, sous réserve de la question de savoir si leurs actes se justifient par l'exercice du droit de légitime défense, les Etats-Unis, par leur assistance aux contras au Nicaragua, ont commis prima facie une violation de ce principe en organisant ou encourageant l'organisation de forces irrégulières ou de bandes armées ... en vue d'incursions sur le territoire d'un autre Etat et en participant à des actes de guerre civile ... sur le territoire d'un autre Etat D, selon les termes de la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale. D'après cette résolution. une semblable participation est contraire au principe interdisant l'emploi de la force quand les actes de guerre civile en question << name="_Toc191668603">

2. Contres mesures prises en réponse à un comportement ne constituant pas une agression armée
246. Ayant conclu que les activités des Etats-Unis en relation avec celles auxquelles se livraient les contras au Nicaragua constituent prima facie des actes d'intervention, la Cour doit examiner s'il existe des motifs juridiques
qui puissent les légitimer. Comme la Cour l'a indiqué, le principe de non-intervention relève du droit international coutumier. Or il perdrait assurément toute signification réelle comme principe de droit si l’intervention pouvait être Justifiée par une simple demande d'assistance formulée par un groupe d'opposants dans un autre Etat, en l'occurrence des opposants au régime di1 Nicaragua, à supposer qu'en l'espèce cette demande ait été réellement formulée. On voit mal en effet ce qui resterait du principe de non-intervention en droit international si l'intervention, qui peut déjà être justifiée par la demande d'un gouvernement, devait aussi être admise à la demande de l'opposition à celui-ci. Tout Etat serait ainsi en mesure d'intervenir à tout coup dans les affaires intérieures d'un autre Etat, à la requête, tantôt de son gouvernement, tantôt de son opposition. Une telle situation ne correspond pas, de l'avis de la Cour, à l'état actuel du droit international.

247. La Cour a déjà indiqué (paragraphe 238) quelle était sa conclusion, à savoir que 1e:s comportements des Etats-Unis à l'égard du Nicaragua ne trouvent pas de justification dans le droit de légitime défense collective en réponse à une agression armée qui se serait produite contre l'un des voisins du Nicaragua. Pour ce qui est des allégations concernant les armes que le Nicaragua aurait fournies à l'opposition armée au Salvador, la Cour a dit que, si la notion d'agression armée englobe l'envoi de bandes armées par un Etat sur le territoire d'un autre Etat, la fourniture d'armes et le soutien apporté à ces bandes ne sauraient être assimilés à l'agression armée. Néanmoins de telles activités peuvent fort bien constituer un manquement au principe du non-emploi de la force ainsi qu'une intervention dans les affaires intérieures d'un Etat, c'est-à-dire un comportement certes illicite, mais d'une gravité moindre que l’agression armée. La Cour doit donc se demander à présent si les activités des Etats-Unis à l'encontre du Nicaragua peuvent trouver une justification dans le fait que celui-ci serait intervenu dans les affaires intérieures d'un autre Etat d'Amérique centrale.

248. Les Etats-Unis reconnaissent qu'ils apportent leur soutien aux contras opérant au Nicaragua, mais ils invoquent comme justification la conduite similaire que celui-ci observerait, selon eux, en aidant lui-même l'opposition armée au Salvador et, dans une moindre mesure, celles existant au Honduras el. au Costa Rica, et en se livrant a des attaques transfrontières contre ces deux Etats. Les Etats-Unis présentent cette justification dans l'optique de la légitime défense ; l'ayant rejetée à ce titre, la Cour doit se demander si elle peut être valable sous forme de contremesures en riposte à1 une intervention. La Cour doit cependant constater qu'une telle justification ne cadre pas avec le droit applicable.

249. Sur le plan du droit, la Cour ne saurait considérer la riposte à une intervention du Nicaragua comme une telle justification. L'agression armée ouvrirait un droit à la légitime défense collective, mais un recours à la force d'une moindre gravité ne saurait, comme la Cour l'a déjà indiqué (paragraphe 21 1 ci-dessus), autoriser des contre-mesures collectives impliquant l'emploi de la. force. Les faits reprochés au Nicaragua, à supposer même qu'ils aient été établis et qu'ils lui soient imputables, n'auraient pu justifier des contre-mesures proportionnées que de la part de 1'Etat qui en aurait été victime, c'est-à-dire El Salvador, le Honduras ou le Costa Rica. Ils ne sauraient justifier des contre-mesures prises par un Etat tiers, les Etats-Unis. et en particulier une intervention impliquant l'usage de la force.

3. Souveraineté des Etats
250. Dans la requête, le Nicaragua affirme en outre « Que les Etats-Unis, en violation de leurs obligations en vertu du droit international général et coutumier. ont violé et violent la souveraineté du Nicaragua du fait :
- d'attaques armées contre le Nicaragua par air, par terre et par mer ;
- d'incursions dans les eaux intérieures du Nicaragua ;
- de la violation de l'espace aérien du Nicaragua ;
- d'efforts directs et indirects de coercition et d'intimidation du Gouvernement du Nicaragua. (Par. 26 b).)
Le mémoire du Nicaragua n'énumère cependant au titre des violations de souveraineté que les attaques contre le territoire du Nicaragua, les incursions dans sa mer territoriale et les survols. L'accusation d'efforts directs et indirects de coercition et d'intimidation du Gouvernement du Nicaragua >), de la part des Etats-Unis. a été présentée dans le mémoire sous le chapitre de la menace ou de l'emploi de la force, déjà traité plus haut (paragraphe 227). En conséquence. cet aspect des griefs du Nicaragua ne sera pas examiné plus avant.

25 1. Les effets du principe de respect de la souveraineté territoriale et ceux des principes {de l'interdiction de l'emploi de la force et de la non intervention se recouvrent inévitablement jusqu'a un certain point. C'est ainsi que les mesures d'assistance aux contras, de même que les attaques directes contre les ports. les installations pétrolières. etc., du Nicaragua visées aux paragraphes 81 à 86 ci-dessus n'équivalent pas seulement à un emploi illicite de la force : elles enfreignent aussi la souveraineté territoriale du Nicaragua et constituent des incursions dans ses eaux territoriales et intérieures. De la même manière les opérations de minage des ports nicaraguayens, outre qu'elles enfreignent le principe du non-emploi de la force, mettent en cause la souveraineté du Nicaragua sur certaines étendues maritimes. En effet la Cour a constaté que ces opérations ont été menées dans les eaux territoriales ou dans les eaux intérieures du Nicaragua ou dans les deux à la fois (paragraphe 80), et constituent donc une violation de sa souveraineté. Le principe du respect de la souveraineté territoriale est en outre directement enfreint par le survol non autorisé du territoire d'un Etat par des appareils appartenant au gouvernement d'un autre Etat ou placés sous le contrôle de celui-ci. Or la Cour a constaté plus haut que de tels survols ont bien été effectués (paragraphe 91 ci-dessus).

252. Ces violations ne peuvent être justifiées ni par la légitime défense collective. puisque, comme la Cour l'a reconnu, les circonstances nécessaires à sa mise en jeu ne sont pas réunies, ni par un droit qu'auraient les Etats-Unis de prendre des contre-mesures impliquant l'usage de la force en riposte a une éventuelle intervention du Nicaragua au Salvador, un tel droit étant inconnu du droit international applicable. Des faits semblables ne sauraient être justifiés par des activités se déroulant au Salvador qui seraient attribuées au Gouvernement du Nicaragua. Ces activités, pour autant qu'elles aient bien eu lieu, ne créent au bénéfice des Etats-Unis aucun droit qui justifierait les mesures en question. Ces mesures constituent donc bien des violations de la souveraineté du Nicaragua selon le droit international coutumier.

253. Il y aura avantage à évoquer ici un autre aspect des incidences juridiques du minage des ports du Nicaragua. Ainsi que la Cour l'a indiqué au paragraphe 214 ci-dessus, lorsque les navires d'un Etat ont un droit d'accès aux ports d'un autre Etat. si ce droit d'accès est gêné par le mouillage de mines, il en résulte une atteinte à la liberté des communications et du commerce maritime. Tel est de toute évidence le cas en l'espèce. La Cour n'a pas à se prononcer sur les droits des Etats qui ne sont pas parties à l'instance ; il est cependant clair que les entraves au droit de libre accès aux ports du Nicaragua sont de nature à affecter l'économie de ce pays et ses relations de commerce avec tout Etat dont les navires ont un droit d'accès à ses ports. La Cour conclut en conséquence, dans le contexte de la présente instance entre le Nicaragua et les Etats-Unis, que la pose de mines dans les ports du Nicaragua ou à proximité de ces ports constitue. Au détriment du Nicaragua, une atteinte à la liberté des communications et du commerce maritime.


G. Dispositif
La Cour
1) Par 11 voix contre 4,
Décide que, pour statuer sur le différend dont la République du Nicaragua l'a saisie par sa requête du 9 avril 1984, la Cour est tenue d'appliquer la «réserve relative aux traités multilatéraux» constituant la réserve c de la déclaration d'acceptation de juridiction faite par le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique conformément à l'article 36, paragraphe 2, du Statut, et déposée par lui le 26 août 1946;
POUR : M. Nagendra Singh, président; M. de Lacharrière, vice-président; MM. Lachs, Oda, Ago, Schwebel, sir Robert Jennings, MM. Mbaye, Bedjaoui et Evensen, juges; M. Colliard, juge ad hoc;
CONTRE : MM. Ruda, Elias, Sette-Camara et Ni, juges.
2) Par 12 voix contre 3,
Rejette la justification de légitime défense collective avancée par les Etats-Unis d'Amérique relativement aux activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci qui font l'objet de la présente instance;
POUR : M. Nagendra Singh, président; M. de Lacharrière, vice-président; MM. Lachs, Ruda, Elias, Ago, Sette-Camara, Mbaye, Bedjaoui, Ni et Evensen, juges; M. Colliard, juge ad hoc;
CONTRE : MM. Oda, Schwebel et sir Robert Jennings, juges.
3) Par 12 voix contre 3,
Décide que les Etats-Unis d'Amérique, en entraînant, armant, équipant, finançant et approvisionnant les forces contras, et en encourageant, appuyant et assistant de toute autre manière des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, ont, à l'encontre de la République du Nicaragua. violé l'obligation que leur impose le droit international coutumier de ne pas intervenir dans les affaires d'un autre Etat;
POUR : M. Nagendra Singh, président; M. de Lacharrière, vice-président; MM. Lachs, Ruda, Elias, Ago, Sette-Camara, Mbaye, Bedjaoui, Ni et Evensen, juges; M. Colliard, juge ad hoc;
CONTRE : MM. Oda, Schwebel et sir Robert Jennings, juges.
4) Par 12 voix contre 3,
Décide que les Etats-Unis d'Amérique, par certaines attaques effectuées en territoire nicaraguayen en 1983-1984, contre Puerto Sandino les 13 septembre et 14 octobre 1983, contre Corinto le 10 octobre 1983, contre la base navale de Potosí les 4-5 janvier 1984, contre San Juan del Sur le 7 mars 1984, contre des navires de patrouille à Puerto Sandino les 28 et 30 mars 1984 et contre San Juan del Norte le 9 avril 1984, ainsi que par les actes d'intervention impliquant l'emploi de la force visés au sous-paragraphe 3 ci-dessus, ont, à l'encontre de la République du Nicaragua, violé l'obligation que leur impose le droit international coutumier de ne pas recourir à la force contre un autre Etat;
POUR : M. Nagendra Singh, président; M. de Lacharrière, vice-président; MM. Lachs, Ruda, Elias, Ago, Sette-Camara, Mbaye, Bedjaoui, Ni et Evensen, juges; M. Colliard, juge ad hoc;
CONTRE : MM. Oda, Schwebel et sir Robert Jennings, juges.
5) Par 12 voix contre 3,
Décide que les Etats-Unis d'Amérique, en ordonnant ou en autorisant le survol du territoire nicaraguayen, ainsi que par les actes qui leur sont imputables et qui sont visés au sous-paragraphe 4 ci-dessus ont, à l'encontre de la République du Nicaragua, violé l'obligation que leur impose le droit international coutumier de ne pas porter atteinte à la souveraineté d'un autre Etat;
POUR : M. Nagendra Singh, président; M. de Lacharrière, vice-président; MM. Lachs, Ruda, Elias, Ago, Sette-Camara, Mbaye, Bedjaoui, Ni et Evensen, juges; M. Colliard, juge ad hoc;
CONTRE : MM. Oda, Schwebel et sir Robert Jennings, juges.
6) Par 12 voix contre 3,
Décide que, en posant des mines dans les eaux intérieures ou territoriales de la République du Nicaragua au cours des premiers mois de 1984, les Etats-Unis d'Amérique ont, à l'encontre de la République du Nicaragua, violé les obligations que leur impose le droit international coutumier de ne pas recourir à la force contre un autre Etat, de ne pas intervenir dans ses affaires, de ne pas porter atteinte à sa souveraineté et de ne pas interrompre le commerce maritime pacifique;
POUR : M. Nagendra Singh, président; M. de Lacharrière, vice-président; MM. Lachs, Ruda, Elias, Ago, Sette-Camara, Mbaye, Bedjaoui, Ni et Evensen, juges; M. Colliard, juge ad hoc;
CONTRE : MM. Oda, Schwebel et sir Robert Jennings, juges.
7) Par 14 voix contre une,
Décide que, par les actes visés au sous-paragraphe 6 ci-dessus, les Etats-Unis d'Amérique ont, à l'encontre de la République du Nicaragua, violé leurs obligations découlant de l'article XIX du traité d'amitié, de commerce et de navigation entre la République du Nicaragua et les Etats-Unis d'Amérique signé à Managua le 21 janvier 1956;
POUR : M. Nagendra Singh, président; M. de Lacharrière, vice-président; MM. Lachs, Ruda, Elias, Oda, Ago, Sette-Camara, sir Robert Jennings, MM. Mbaye Bedjaoui, Ni et Evensen, juges; M. Colliard, juge ad hoc;
CONTRE : M. Schwebel, juge.
8) Par 14 voix contre une.
Décide que les Etats-Unis d'Amérique, en ne signalant pas l'existence et l'emplacement des mines posées par eux comme indiqué au sous-paragraphe 6 ci-dessus, ont violé les obligations que le droit international coutumier leur impose à ce sujet;
POUR : M. Nagendra Singh, président; M. de Lacharrière, vice-président; MM. Lachs, Ruda, Elias, Ago, Sette-Camara, Schwebel, sir Robert Jennings, MM. Mbaye, Bedjaoui, Ni et Evensen, juges; M. Colliard, juge ad hoc;
CONTRE : M. Oda, juge.
9) Par 14 voix contre une,
Dit que les Etats-Unis d'Amérique, en produisant en 1983 un manuel intitulé «Operaciones sicológicas en guerra de guerrillas» et en le répandant parmi les forces contras, ont encouragé celles-ci à commettre des actes contraires aux principes du droit humanitaire; mais ne trouve pas d'éléments qui lui permettent de conclure que les actes de cette nature qui ont pu être commis seraient imputables aux Etats-Unis d'Amérique en tant que faits de ces derniers;
POUR : M. Nagendra Singh, président; M. de Lacharrière, vice-président; MM. Lachs, Ruda, Elias, Ago, Sette-Camara, Schwebel, sir Robert Jennings, MM. Mbaye, Bedjaoui, Ni et Evensen, juges; M. Colliard, juge ad hoc;
CONTRE : M. Oda, juge.
10) Par 12 voix contre 3,
Décide que les Etats-Unis d'Amérique, par les attaques contre le territoire du Nicaragua visées au sous-paragraphe 4 ci-dessus et par l'embargo général sur le commerce avec le Nicaragua qu'ils ont imposé le 1er mai 1985, ont commis des actes de nature à priver de son but et de son objet le traité d'amitié, de commerce et de navigation entre les Parties signé à Managua le 21 janvier 1956;
POUR : M. Nagendra Singh, président; M. de Lacharrière, vice-président; MM. Lachs, Ruda, Elias,
Ago, Sette-Camara, Mbaye, Bedjaoui, Ni et Evensen, juges; M. Colliard, juge ad hoc;
CONTRE : MM. Oda, Schwebel et sir Robert Jennings, juges.
11) Par 12 voix contre 3,
Décide que les Etats-Unis d'Amérique, par les attaques contre le territoire du Nicaragua visées au sous-paragraphe 4 ci-dessus et par l'embargo général sur le commerce avec le Nicaragua qu'ils ont imposé le 1er mai 1985, ont violé leurs obligations découlant de l'article XIX du traité d'amitié, de commerce et de navigation entre les Parties signé à Managua le 21 janvier 1956;
POUR : M. Nagendra Singh, président; M. de Lacharrière, vice-président; MM. Lachs, Ruda, Elias, Ago, Sette-Camara, Mbaye, Bedjaoui, Ni et Evensen, juges; M. Colliard, juge ad hoc;
CONTRE : MM. Oda, Schwebel et sir Robert Jennings, juges.
12) Par 12 voix contre 3,
Décide que les Etats-Unis d'Amérique ont l'obligation de mettre immédiatement fin et de renoncer à tout acte constituant une violation des obligations juridiques susmentionnées;
POUR : M. Nagendra Singh, président; M. de Lacharrière, vice-président; MM. Lachs, Ruda, Elias, Ago, Sette-Camara, Mbaye, Bedjaoui, Ni et Evensen, juges; M. Colliard, juge ad hoc;
CONTRE: MM. Oda, Schwebel et sir Robert Jennings, juges.
13) Par 12 voix contre 3,
Décide que les Etats-Unis d'Amérique sont tenus envers la République du Nicaragua de l'obligation de réparer tout préjudice causé à celle-ci par la violation des obligations imposées par le droit international coutumier qui sont énumérées ci-dessus;
POUR : M. Nagendra Singh, président; M. de Lacharrière, vice-président; MM. Lachs, Ruda, Elias, Ago, Sette-Camara, Mbaye, Bedjaoui, Ni et Evensen, juges; M. Colliard, juge ad hoc;
CONTRE : MM. Oda, Schwebel et sir Robert Jennings, juges.
14) Par 14 voix contre une,
Décide que les Etats-Unis d'Amérique sont tenus envers la République du Nicaragua de l'obligation de réparer tout préjudice causé à celle-ci par les violations du traité d'amitié, de commerce et de navigation entre les Parties signé à Managua le 21 janvier 1956;
POUR : M. Nagendra Singh, président; M. de Lacharrière, vice-président; MM. Lachs, Ruda, Elias, Oda, Ago, Sette-Camara, sir Robert Jennings, MM. Mbaye, Bedjaoui, Ni et Evensen, juges; M. Colliard, juge ad hoc;
CONTRE: M. Schwebel, juge.
15) Par 14 voix contre une,
Décide que les formes et le montant de cette réparation seront réglés par la Cour, au cas où les parties ne pourraient se mettre d'accord à ce sujet, et réserve à cet effet la suite de la procédure;
POUR : M. Nagendra Singh, président; M. de Lacharrière, vice-président; MM. Lachs, Ruda, Elias, Oda, Ago, Sette-Camara, sir Robert Jennings, MM. Mbaye, Bedjaoui, Ni et Evensen, juges; M. Colliard, juge ad hoc;
CONTRE: M. Schwebel, juge.
16) A l'unanimité.
Rappelle aux deux parties l'obligation qui leur incombe de rechercher une solution de leurs différends par des moyens pacifiques conformément au droit international.»

II. STATUT DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Article 1
La Cour internationale de Justice instituée par la Charte des Nations Unies comme organe judiciaire principal de l'Organisation sera constituée et fonctionnera conformément aux dispositions du présent Statut.

CHAPITRE I ORGANISATION DE LA COUR
Article 2
La Cour est un corps de magistrats indépendants, élus, sans égard à leur nationalité, parmi les personnes jouissant de la plus haute considération morale, et qui réunissent les conditions requises pour l'exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions judiciaires, ou qui sont des jurisconsultes possédant une compétence notoire en matière de droit international.

Article 3
1. La Cour se compose de quinze membres. Elle ne pourra comprendre plus d'un ressortissant du même Etat.
2. A cet égard, celui qui pourrait être considéré comme le ressortissant de plus d'un Etat sera censé être ressortissant de celui où il exerce habituellement ses droits civils et politiques.

Article 4
1. Les membres de la Cour sont élus par l'Assemblée générale et par le Conseil de sécurité sur une liste de personnes présentées par les groupes nationaux de la Cour permanente d'arbitrage, conformément aux dispositions suivantes.
2. En ce qui concerne les Membres des Nations Unies qui ne sont pas représentés à la Cour permanente d'arbitrage, les candidats seront présentés par des groupes nationaux, désignés à cet effet par leurs gouvernements, dans les mêmes conditions que celles stipulées pour les membres de la Cour permanente d'arbitrage par l'Article 44 de la Convention de La Haye de 1907 sur le règlement pacifique des conflits internationaux.
3. En l'absence d'accord spécial, l'Assemblée générale, sur la recommandation du Conseil de sécurité, réglera les conditions auxquelles peut participer à l'élection des membres de la Cour un Etat qui, tout en étant partie au présent Statut, n'est pas Membre des Nations Unies.

Article 5
1. Trois mois au moins avant la date de l'élection, le Secrétaire général des Nations Unies invite par écrit les membres de la Cour permanente d'arbitrage appartenant aux Etats qui sont parties au présent Statut, ainsi que les membres des groupes nationaux désignés conformément au paragraphe 2 de l'Article 4, à procéder dans un délai déterminé, par groupes nationaux, à la présentation de personnes en situation de remplir les fonctions de membre de la Cour.
2. Chaque groupe ne peut, en aucun cas, présenter plus de quatre personnes, dont deux au plus de sa nationalité. En aucun cas, il ne peut être présenté un nombre de candidats plus élevé que le double des sièges à pourvoir.
Article 6
Avant de procéder à cette désignation, il est recommandé à chaque groupe national de consulter la plus haute cour de justice, les facultés et écoles de droit, les académies nationales et les sections nationales d'académies internationales vouées à l'étude du droit.

Article 7
1. Le Secrétaire général dresse, par ordre alphabétique, une liste de toutes les personnes ainsi désignées; seules ces personnes sont éligibles, sauf le cas prévu au paragraphe 2 de l'Article 12.
2. Le Secrétaire général communique cette liste à l'Assemblée générale et au Conseil de sécurité.

Article 8
L'Assemblée générale et le Conseil de sécurité procèdent indépendamment l'un de l'autre à l'élection des membres de la Cour.

Article 9
Dans toute élection, les électeurs auront en vue que les personnes appelées à faire partie de la Cour non seulement réunissent individuellement les conditions requises, mais assurent dans l'ensemble la représentation des grandes formes de civilisation et des principaux systèmes juridiques du monde.

Article 10
1. Sont élus ceux qui ont réuni la majorité absolue des voix dans l'Assemblée générale et dans le Conseil de sécurité.
2. Le vote au Conseil de sécurité, soit pour l'élection des juges, soit pour la nomination des membres de la Commission visée à l'Article 12 ci-après, ne comportera aucune distinction entre membres permanents et membres non permanents du Conseil de sécurité.
3. Au cas où le double scrutin de l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité se porterait sur plus d'un ressortissant du même Etat, le plus âgé est seul élu.

Article 11
Si, après la première séance d'élection, il reste encore des sièges à pourvoir, il est procédé, de la même manière, à une seconde et, s'il est nécessaire, à une troisième.

Article 12
1. Si, après la troisième séance d'élection, il reste encore des sièges à pourvoir, il peut être à tout moment formé, sur la demande soit de l'Assemblée générale, soit du Conseil de sécurité, une Commission médiatrice de six membres, nommés trois par l'Assemblée générale, trois par le Conseil de sécurité, en vue de choisir par un vote à la majorité absolue, pour chaque siège non pourvu, un nom à présenter à l'adoption séparée de l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité.
2. La Commission médiatrice peut porter sur sa liste le nom de toute personne satisfaisant aux conditions requises et qui recueille l'unanimité de ses suffrages, lors même qu'il n'aurait pas figuré sur la liste de présentation visée à l'Article 7.
3. Si la Commission médiatrice constate qu'elle ne peut réussir à assurer l'élection, les membres de la Cour déjà nommés pourvoient aux sièges vacants, dans un délai à fixer par le Conseil de sécurité, en choisissant parmi les personnes qui ont obtenu des suffrages soit dans l'Assemblée générale, soit dans le Conseil de sécurité.
4. Si, parmi les juges, il y a partage égal des voix, la voix du juge le plus âgé l'emporte.

Article 13
1. Les membres de la Cour sont élus pour neuf ans et ils sont rééligibles; toutefois, en ce qui concerne les juges nommés à la première élection de la Cour, les fonctions de cinq juges prendront fin au bout de trois ans, et celles de cinq autres juges prendront fin au bout de six ans.
2. Les juges dont les fonctions prendront fin au terme des périodes initiales de trois et six ans mentionnées ci-dessus seront désignés par tirage au sort effectué par le Secrétaire général, immédiatement après qu'il aura été procédé à la première élection.
3. Les membres de la Cour restent en fonction jusqu'à leur remplacement. Après ce remplacement, ils continuent de connaître des affaires dont ils sont déjà saisis.
4. En cas de démission d'un membre de la Cour, la démission sera adressée au Président de la Cour, pour être transmise au Secrétaire général. Cette dernière notification emporte vacance de siège.

Article 14
Il est pourvu aux sièges devenus vacants selon la méthode suivie pour la première élection, sous réserve de la disposition ci-après : dans le mois qui suivra la vacance, le Secrétaire général procédera à l'invitation prescrite par l'Article 5, et la date d'élection sera fixée par le Conseil de sécurité.

Article 15
Le membre de la Cour élu en remplacement d'un membre dont le mandat n'est pas expiré achève le terme du mandat de son prédécesseur.

Article 16
1. Les membres de la Cour ne peuvent exercer aucune fonction politique ou administrative, ni se livrer à aucune autre occupation de caractère professionnel.
2. En cas de doute, la Cour décide.

Article 17
1. Les membres de la Cour ne peuvent exercer les fonctions d'agent, de conseil ou d'avocat dans aucune affaire.
2. Ils ne peuvent participer au règlement d'aucune affaire dans laquelle ils sont antérieurement intervenus comme agents, conseils ou avocats de l'une des parties, membres d'un tribunal national ou international, d'une commission d'enquête, ou à tout autre titre.
3. En cas de doute, la Cour décide.

Article 18
1. Les membres de la Cour ne peuvent être relevés de leurs fonctions que si, au jugement unanime des autres membres, ils ont cessé de répondre aux conditions requises.
2. Le Secrétaire général en est officiellement informé par le Greffier.
3. Cette communication emporte vacance de siège.

Article 19
Les membres de la Cour jouissent, dans l'exercice de leurs fonctions, des privilèges et immunités diplomatiques.

Article 20
Tout membre de la Cour doit, avant d'entrer en fonction, en séance publique, prendre l'engagement solennel d'exercer ses attributions en pleine impartialité et en toute conscience.

Article 21
1. La Cour nomme, pour trois ans, son Président et son Vice-Président; ils sont rééligibles.
2. Elle nomme son Greffier et peut pourvoir à la nomination de tels autres fonctionnaires qui seraient nécessaires.

Article 22
1. Le siège de la Cour est fixé à La Haye. La Cour peut toutefois siéger et exercer ses fonctions ailleurs lorsqu'elle le juge désirable.
2. Le Président et le Greffier résident au siège de la Cour.

Article 23
1. La Cour reste toujours en fonction, excepté pendant les vacances judiciaires, dont les périodes et la durée sont fixées par la Cour.
2. Les membres de la Cour ont droit à des congés périodiques dont la date et la durée seront fixées par la Cour, en tenant compte de la distance qui sépare La Haye de leurs foyers.
3. Les membres de la Cour sont tenus, à moins de congé, d'empêchement pour cause de maladie ou autre motif grave dûment justifié auprès du Président, d'être à tout moment à la disposition de la Cour.

Article 24
1. Si, pour une raison spéciale, l'un des membres de la Cour estime devoir ne pas participer au jugement d'une affaire déterminée, il en fait part au Président.
2. Si le Président estime qu'un des membres de la Cour ne doit pas, pour une raison spéciale, siéger dans une affaire déterminée, il en avertit celui-ci.
3. Si, en pareils cas, le membre de la Cour et le Président sont en désaccord, la Cour décide.

Article 25
1. Sauf exception expressément prévue par le présent Statut, la Cour exerce ses attributions en séance plénière.
2. Sous la condition que le nombre des juges disponibles pour constituer la Cour ne soit pas réduit à moins de onze, le Règlement de la Cour pourra prévoir que, selon les circonstances et à tour de rôle, un ou plusieurs juges pourront être dispensés de siéger.
3. Le quorum de neuf est suffisant pour constituer la Cour.

Article 26
1. La Cour peut, à toute époque, constituer une ou plusieurs chambres, composées de trois juges au moins selon ce qu'elle décidera, pour connaître de catégories déterminées d'affaires, par exemple d'affaires de travail et d'affaires concernant le transit et les communications.
2. La Cour peut, à toute époque, constituer une chambre pour connaître d'une affaire déterminée. Le nombre des juges de cette chambre sera fixé par la Cour avec l'assentiment des parties.
3. Les chambres prévues au présent Article statueront, si les parties le demandent.

Article 27
Tout arrêt rendu par l'une des chambres prévues aux Articles 26 et 29 sera considéré comme rendu par la Cour.

Article 28
Les chambres prévues aux Articles 26 et 29 peuvent, avec le consentement des parties, siéger et exercer leurs fonctions ailleurs qu'à La Haye.

Article 29
En vue de la prompte expédition des affaires, la Cour compose annuellement une chambre de cinq juges, appelés à statuer en procédure sommaire lorsque les parties le demandent. Deux juges seront, en outre, désignés pour remplacer celui des juges qui se trouverait dans l'impossibilité de siéger.

Article 30
1. La Cour détermine par un règlement le mode suivant lequel elle exerce ses attributions. Elle règle notamment sa procédure.
2. Le Règlement de la Cour peut prévoir des assesseurs siégeant à la Cour ou dans ses chambres, sans droit de vote.

Article 31
1. Les juges de la nationalité de chacune des parties conservent le droit de siéger dans l'affaire dont la Cour est saisie.
2. Si la Cour compte sur le siège un juge de la nationalité d'une des parties, toute autre partie peut désigner une personne de son choix pour siéger en qualité de juge. Celle-ci devra être prise de préférence parmi les personnes qui ont été l'objet d'une présentation en conformité des Articles 4 et 5.
3. Si la Cour ne compte sur le siège aucun juge de la nationalité des parties, chacune de ces parties peut procéder à la désignation d'un juge de la même manière qu'au paragraphe précédent.
4. Le présent Article s'applique dans le cas des Articles 26 et 29. En pareils cas, le Président priera un, ou, s'il y a lieu, deux des membres de la Cour composant la chambre, de céder leur place aux membres de la Cour de la nationalité des parties intéressées et, à défaut ou en cas d'empêchement, aux juges spécialement désignés par les parties.
5. Lorsque plusieurs parties font cause commune, elles ne comptent, pour l'application des dispositions qui précèdent, que pour une seule. En cas de doute, la Cour décide.
6. Les juges désignés comme il est dit aux paragraphes 2, 3 et 4 du présent Article doivent satisfaire aux prescriptions des Articles 2, 17 (paragraphe 2), 20 et 24 du présent Statut. Ils participent à la décision dans des conditions de complète égalité avec leurs collègues.

Article 32
1. Les membres de la Cour reçoivent un traitement annuel.
2. Le Président reçoit une allocation annuelle spéciale.
3. Le Vice-Président reçoit une allocation spéciale pour chaque jour où il remplit les fonctions de Président.
4. Les juges désignés par application de l'Article 31, autres que les membres de la Cour, reçoivent une indemnité pour chaque jour où ils exercent leurs fonctions.
5. Ces traitements, allocations et indemnités sont fixés par l'Assemblée générale. Ils ne peuvent être diminués pendant la durée des fonctions.
6. Le traitement du Greffier est fixé par l'Assemblée générale sur la proposition de la Cour.
7. Un règlement adopté par l'Assemblée générale fixe les conditions dans lesquelles des pensions sont allouées aux membres de la Cour et au Greffier, ainsi que les conditions dans lesquelles les membres de la Cour et le Greffier reçoivent le remboursement de leurs frais de voyage.
8. Les traitements, allocations et indemnités sont exempts de tout impôt.

Article 33
Les frais de la Cour sont supportés par les Nations Unies de la manière que l'Assemblée générale décide.

CHAPITRE II COMPÉTENCE DE LA COUR
Article 34
1. Seuls les Etats ont qualité pour se présenter devant la Cour.
2. La Cour, dans les conditions prescrites par son Règlement, pourra demander aux organisations internationales publiques des renseignements relatifs aux affaires portées devant elle, et recevra également lesdits renseignements qui lui seraient présentés par ces organisations de leur propre initiative.
3. Lorsque l'interprétation de l'acte constitutif d'une organisation internationale publique ou celle d'une convention internationale adoptée en vertu de cet acte est mise en question dans une affaire soumise à la Cour, le Greffier en avise cette organisation et lui communique toute la procédure écrite.

Article 35
1. La Cour est ouverte aux Etats parties au présent Statut.
2. Les conditions auxquelles elle est ouverte aux autres Etats sont, sous réserve des dispositions particulières des traités en vigueur, réglées par le Conseil de sécurité, et, dans tous les cas, sans qu'il puisse en résulter pour les parties aucune inégalité devant la Cour.
3. Lorsqu'un Etat qui n'est pas Membre des Nations Unies est partie en cause, la Cour fixera la contribution aux frais de la Cour que cette partie devra supporter. Toutefois, cette disposition ne s'appliquera pas si cet Etat participe aux dépenses de la Cour.

Article 36
1. La compétence de la Cour s'étend à toutes les affaires que les parties lui soumettront, ainsi qu'à tous les cas spécialement prévus dans la Charte des Nations Unies ou dans les traités et conventions en vigueur.
2. Les Etats parties au présent Statut pourront, à n'importe quel moment, déclarer reconnaître comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l'égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, la juridiction de la Cour sur tous les différends d'ordre juridique ayant pour objet :
a. L'interprétation d'un traité ;
b. Tout point de droit international ;
c. La réalité de tout fait qui, s'il était établi, constituerait la violation d'un engagement international ;
d. La nature ou l'étendue de la réparation due pour la rupture d'un engagement international.
3. Les déclarations ci-dessus visées pourront être faites purement et simplement ou sous condition de réciprocité de la part de plusieurs ou de certains Etats, ou pour un délai déterminé.
4. Ces déclarations seront remises au Secrétaire général des Nations Unies qui en transmettra copie aux parties au présent Statut ainsi qu'au Greffier de la Cour.
5. Les déclarations faites en application de l'Article 36 du Statut de la Cour permanente de Justice internationale pour une durée qui n'est pas encore expirée seront considérées, dans les rapports entre parties au présent Statut, comme comportant acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice pour la durée restant à courir d'après ces déclarations et conformément à leurs termes.
6. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.

Article 37
Lorsqu'un traité ou une convention en vigueur prévoit le renvoi à une juridiction que devait instituer la Société des Nations ou à la Cour permanente de Justice internationale, la Cour internationale de Justice constituera cette juridiction entre les parties au présent Statut.

Article 38
1. La Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis, applique :
a. Les conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les Etats en litige ;
b. La coutume internationale comme preuve d'une pratique générale, acceptée comme étant le droit ;
c. Les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ;
d. Sous réserve de la disposition de l'Article 59, les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit.
2. La présente disposition ne porte pas atteinte à la faculté pour la Cour, si les parties sont d'accord, de statuer ex aequo et bono.

CHAPITRE III PROCÉDURE
Article 39
1. Les langues officielles de la Cour sont le français et l'anglais. Si les parties sont d'accord pour que toute la procédure ait lieu en français, le jugement sera prononcé en cette langue. Si les parties sont d'accord pour que toute la procédure ait lieu en anglais, le jugement sera prononcé en cette langue.
2. A défaut d'un accord fixant la langue dont il sera fait usage, les parties pourront employer pour les plaidoiries celle des deux langues qu'elles préféreront, et l'arrêt de la Cour sera rendu en français et en anglais. En ce cas, la Cour désignera en même temps celui des deux textes qui fera foi.
3. La Cour, à la demande de toute partie, autorisera l'emploi par cette partie d'une langue autre que le français ou l'anglais.

Article 40
1. Les affaires sont portées devant la Cour, selon le cas, soit par notification du compromis, soit par une requête, adressées au Greffier; dans les deux cas, l'objet du différend et les parties doivent être indiqués.
2. Le Greffier donne immédiatement communication de la requête à tous intéressés.
3. Il en informe également les Membres des Nations Unies par l'entremise du Secrétaire général, ainsi que les autres Etats admis à ester en justice devant la Cour.

Article 41
1. La Cour a le pouvoir d'indiquer, si elle estime que les circonstances l'exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire.
2. En attendant l'arrêt définitif, l'indication de ces mesures est immédiatement notifiée aux parties et au Conseil de sécurité.

Article 42
1. Les parties sont représentées par des agents.
2. Elles peuvent se faire assister devant la Cour par des conseils ou des avocats.
3. Les agents, conseils et avocats des parties devant la Cour jouiront des privilèges et immunités nécessaires à l'exercice indépendant de leurs fonctions.

Article 43
1. La procédure a deux phases : l'une écrite, l'autre orale.
2. La procédure écrite comprend la communication à juge et à partie des mémoires, des contre-mémoires et, éventuellement, des répliques, ainsi que de toute pièce et document à l'appui.
3. La communication se fait par l'entremise du Greffier dans l'ordre et les délais déterminés par la Cour.
4. Toute pièce produite par l'une des parties doit être communiquée à l'autre en copie certifiée conforme.
5. La procédure orale consiste dans l'audition par la Cour des témoins, experts, agents, conseils et avocats.

Article 44
1. Pour toute notification à faire à d'autres personnes que les agents, conseils et avocats, la Cour s'adresse directement au gouvernement de l'Etat sur le territoire duquel la notification doit produire effet.
2. Il en est de même s'il s'agit de faire procéder sur place à l'établissement de tous moyens de preuve.

Article 45
Les débats sont dirigés par le Président et, à défaut de celui-ci, par le Vice-Président; en cas d'empêchement, par le plus ancien des juges présents.

Article 46
L'audience est publique, à moins qu'il n'en soit autrement décidé par la Cour ou que les deux parties ne demandent que le public ne soit pas admis.

Article 47
1. Il est tenu de chaque audience un procès-verbal signé par le Greffier et le Président.
2. Ce procès-verbal a seul caractère authentique.

Article 48
La Cour rend des ordonnances pour la direction du procès, la détermination des formes et délais dans lesquels chaque partie doit finalement conclure; elle prend toutes les mesures que comporte l'administration des preuves.

Article 49
La Cour peut, même avant tout débat, demander aux agents de produire tout document et de fournir toutes explications. En cas de refus, elle en prend acte.

Article 50
A tout moment, la Cour peut confier une enquête ou une expertise à toute personne, corps, bureau, commission ou organe de son choix.

Article 51
Au cours des débats, toutes questions utiles sont posées aux témoins et experts dans les conditions que fixera la Cour dans le règlement visé à l'Article 30.

Article 52
Après avoir reçu les preuves et témoignages dans les délais déterminés par elle, la Cour peut écarter toutes dépositions ou documents nouveaux qu'une des parties voudrait lui présenter sans l'assentiment de l'autre.

Article 53
1. Lorsqu'une des parties ne se présente pas, ou s'abstient de faire valoir ses moyens, l'autre partie peut demander à la Cour de lui adjuger ses conclusions.
2. La Cour, avant d'y faire droit, doit s'assurer non seulement qu'elle a compétence aux termes des Articles 36 et 37, mais que les conclusions sont fondées en fait et en droit.

Article 54
1. Quand les agents, conseils et avocats ont fait valoir, sous le contrôle de la Cour, tous les moyens qu'ils jugent utiles, le Président prononce la clôture des débats.
2. La Cour se retire en Chambre du conseil pour délibérer.
3. Les délibérations de la Cour sont et restent secrètes.

Article 55
1. Les décisions de la Cour sont prises à la majorité des juges présents.
2. En cas de partage des voix, la voix du Président ou de celui qui le remplace est prépondérante.

Article 56
1. L'arrêt est motivé.
2. Il mentionne les noms des juges qui y ont pris part.

Article 57
Si l'arrêt n'exprime pas en tout ou en partie l'opinion unanime des juges, tout juge aura le droit d'y joindre l'exposé de son opinion individuelle.

Article 58
L'arrêt est signé par le Président et par le Greffier. Il est lu en séance publique, les agents dûment prévenus.

Article 59
La décision de la Cour n'est obligatoire que pour les parties en litige et dans le cas qui a été décidé.

Article 60
L'arrêt est définitif et sans recours. En cas de contestation sur le sens et la portée de l'arrêt, il appartient à la Cour de l'interpréter, à la demande de toute partie.

Article 61
1. La révision de l'arrêt ne peut être éventuellement demandée à la Cour qu'en raison de la découverte d'un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l'arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la révision, sans qu'il y ait, de sa part, faute à l'ignorer.
2. La procédure de révision s'ouvre par un arrêt de la Cour constatant expressément l'existence du fait nouveau, lui reconnaissant les caractères qui donnent ouverture à la révision, et déclarant de ce chef la demande recevable.
3. La Cour peut subordonner l'ouverture de la procédure en révision à l'exécution préalable de l'arrêt.
4. La demande en révision devra être formée au plus tard dans le délai de six mois après la découverte du fait nouveau.
5. Aucune demande de révision ne pourra être formée après l'expiration d'un délai de dix ans à dater de l'arrêt.

Article 62
1. Lorsqu'un Etat estime que, dans un différend, un intérêt d'ordre juridique est pour lui en cause, il peut adresser à la Cour une requête, à fin d'intervention.
2. La Cour décide.

Article 63
1. Lorsqu'il s'agit de l'interprétation d'une convention à laquelle ont participé d'autres Etats que les parties en litige, le Greffier les avertit sans délai.
2. Chacun d'eux a le droit d'intervenir au procès et, s'il exerce cette faculté, l'interprétation contenue dans la sentence est également obligatoire à son égard.

Article 64
S'il n'en est autrement décidé par la Cour, chaque partie supporte ses frais de procédure.

CHAPITRE IV AVIS CONSULTATIFS
Article 65
1. La Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies, ou conformément à ses dispositions, à demander cet avis.
2. Les questions sur lesquelles l'avis consultatif de la Cour est demandé sont exposées à la Cour par une requête écrite qui formule, en termes précis, la question sur laquelle l'avis de la Cour est demandé. Il y est joint tout document pouvant servir à élucider la question.

Article 66
1. Le Greffier notifie immédiatement la requête demandant l'avis consultatif à tous les Etats admis à ester en justice devant la Cour.
2. En outre, à tout Etat admis à ester devant la Cour et à toute organisation internationale jugés par la Cour, ou par le Président si elle ne siège pas, susceptibles de fournir des renseignements sur la question, le Greffier fait connaître, par communication spéciale et directe, que la Cour est disposée à recevoir des exposés écrits, dans un délai à fixer par le Président, ou à entendre des exposés oraux au cours d'une audience publique tenue à cet effet.
3. Si un de ces Etats, n'ayant pas été l'objet de la communication spéciale visée au paragraphe 2 du présent Article, exprime le désir de soumettre un exposé écrit ou d'être entendu, la Cour statue.
4. Les Etats ou organisations qui ont présenté des exposés écrits ou oraux sont admis à discuter les exposés faits par d'autres Etats et organisations dans les formes, mesures et délais fixés, dans chaque cas d'espèce, par la Cour ou, si elle ne siège pas, par le Président. A cet effet, le Greffier communique, en temps voulu, les exposés écrits aux Etats ou organisations qui en ont eux-mêmes présenté.

Article 67
La Cour prononcera ses avis consultatifs en audience publique, le Secrétaire général et les représentants des Membres des Nations Unies, des autres Etats et des organisations internationales directement intéressés étant prévenus.

Article 68
Dans l'exercice de ses attributions consultatives, la Cour s'inspirera en outre des dispositions du présent Statut qui s'appliquent en matière contentieuse dans la mesure où elle les reconnaîtra applicables.

CHAPITRE V AMENDEMENTS
Article 69
Les amendements au présent Statut seront effectués par la même procédure que celle prévue pour les amendements à la Charte des Nations Unies, sous réserve des dispositions qu'adopterait l'Assemblée générale, sur la recommandation du Conseil de sécurité, pour régler la participation à cette procédure des Etats qui, tout en ayant accepté le présent Statut de la Cour, ne sont pas Membres des Nations Unies.

Article 70
La Cour pourra proposer les amendements qu'elle jugera nécessaire d'apporter au présent Statut, par la voie de communications écrites adressées au Secrétaire général, aux fins d'examen conformément aux dispositions de l'Article 69.

III. Extraits de la Charte des Nations Unies
Chapitre XIV Cour internationale de Justice
Article 92
La Cour internationale de Justice constitue l'organe judiciaire principal des Nations Unies. Elle fonctionne conformément à un Statut établi sur la base du Statut de la Cour permanente de Justice internationale et annexé à la présente Charte dont il fait partie intégrante.
Article 93
1. Tous les Membres des Nations Unies sont ipso facto parties au Statut de la Cour internationale de Justice.
2. Les conditions dans lesquelles les Etats qui ne sont pas Membres de l'Organisation peuvent devenir parties au Statut de la Cour internationale de Justice sont déterminées, dans chaque cas, par l'Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité.
Article 94
1. Chaque Membre des Nations Unies s'engage à se conformer à la décision de la Cour internationale de Justice dans tout litige auquel il est partie.
2. Si une partie à un litige ne satisfait pas aux obligations qui lui incombent en vertu d'un arrêt rendu par la Cour, l'autre partie peut recourir au Conseil de sécurité et celui-ci, s'il le juge nécessaire, peut faire des recommandations ou décider des mesures à prendre pour faire exécuter l'arrêt.
Article 95
Aucune disposition de la présente Charte n'empêche les Membres de l'Organisation de confier la solution de leurs différends à d'autres tribunaux en vertu d'accords déjà existants ou qui pourront être conclus à l'avenir.
Article 96
1. L'Assemblée générale ou le Conseil de sécurité peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique.
2. Tous autres organes de l'Organisation et institutions spécialisées qui peuvent, à un moment quelconque, recevoir de l'Assemblée générale une autorisation à cet effet ont également le droit de demander à la Cour des avis consultatifs sur des questions juridiques qui se poseraient dans le cadre de leur activité.

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