Monsieur Smirnoff est décédé après que des agents de l’OMON, une force spéciale de la police russe cagoulée et armée de fusils automatiques, l’eût abattu, par crainte que celui-ci ne commette un attentat terroriste, dont ils avaient été prévenus par lettre anonyme. Les coups de feu furent tirés avant que la menace d’attentat ne fût confirmée, par d’autres agents mieux placés pour voir si M. Smirnoff allait sortir une arme ou non. Ce dernier dirigeait une association, la Société pour l'amitié russo-tchétchène, qui participait le jour où il a été tué, à une manifestation pacifique ; il était considéré à ce titre comme un traitre et un terroriste par le gouvernement. Suite au décès de M. Smirnoff aucune enquête ne fût diligentée par les autorités russes.
Afin d’examiner si les faits de ce cas peuvent entraîner la responsabilité de la Russie au titre de ses obligations issues de la Convention européenne des droits de l’homme, à laquelle elle est partie (vous soulignez), il convient d’examiner la question du décès de M. Smirnoff (I) et celle de l’absence d’enquête (II).
I. Le décès de M. SMIRNOFF :
Après avoir déterminé et envisagé les règles droit applicables relativement au décès de M. Smirnoff (A), il conviendra d’examiner les faits à leur lumière et déterminer si l’Etat russe a violé ou non ses obligations (B).
A. Le droit applicable relativement au décès de M. SMIRNOFF :
Le droit à la vie est protégé par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui dispose : « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire : a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ; c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. ». Cet article est applicable dès lors que décède une personne.
L’Etat a une obligation positive de protéger la vie des personnes se trouvant sous sa juridiction : est prohibée toute atteinte intentionnelle à la vie, excepté le cas de la peine de mort, ainsi que toute atteinte non intentionnelle à la vie, excepté le cas de recours à la force rendu absolument nécessaire, dans trois motifs précis.
S’agissant de cette dernière hypothèse, la Cour européenne des droits de l’homme a pu préciser, en 1995, la signification du paragraphe 2 de l’article 2, dans l’affaire Mac Cann. Dans cette affaire, dont les faits rappellent le présent cas, la Cour a mis en exergue trois conditions cumulatives à la charge de l’Etat afin que le recours à la force soit rendu absolument nécessaire.
Le recours à la force doit, en premier lieu, répondre à l’une des hypothèses prévues au a, b et c du §2 de l’article 2. Le recours à la force doit donc viser à assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ou à permettre une arrestation régulière ou à empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ou enfin, à réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. Tout recours à la force ne visant pas à satisfaire l’une de ces hypothèse est prohibé.
La force employée doit, en second lieu, être strictement proportionnée au but poursuivi. La proportionnalité est appréciée par le juge de Strasbourg, au regard du but recherché, du danger pour les vies humaines et l’intégrité corporelle et, enfin, la possibilité que la violence provoque des victimes. La Cour a pu préciser, dans l’affaire Mac Cann, que le recours à la force devait se fonder sur « une conviction honnête considérée pour de bonnes raisons, comme valables à l’époque des évènements, mais qui se révèle ensuite erronée ». Est donc prise en compte la bonne foi, au moment de l’usage de la force, des agents.
En troisième lieu, la Cour a précisé que le recours à la force devait répondre à un principe de précaution. En d’autres termes, tout doit être fait pour épargner les vies innocentes. Le contrôle du juge porte à la fois sur les actes de préparation et le contrôle de l’opération meurtrière.
Le droit applicable ayant été déterminé, reste à l’envisager à la lumière des faits de cette affaire.
B. L’examen des faits à la lumière des règles applicables au cas de M. SMIRNOFF :
Le décès de M. Smirnoff ne laisse aucun doute quant à l’applicabilité de l’article 2, puisque celui-ci s’applique dès lors que nous nous trouvons en présence du décès d’une personne. Celui-ci s’étant trouvé au moment des faits sous la juridiction de l’Etat russe, il convient de s’interroger sur le point de savoir si le décès dont il a été victime peut entraîner la responsabilité de la Russie, au titre de l’article 2.
En l’espèce, l’OMON a attenté de manière non intentionnelle à la vie de M. Smirnoff, aussi la question à laquelle nous tenterons de répondre est donc celle de savoir si l’usage de la force par l’OMON était « rendue absolument nécessaire » par la menace d’attentat, dont M. Smirnoff était l’auteur présumé.
Conformément à l’affaire Mac Cann, le recours à la force rendu absolument nécessaire doit répondre à trois conditions. Afin de vérifier la conformité de l’opération de l’OMON aux règles établies par la Cour, il convient de répondre aux questions suivantes : l’action de l’OMON visait-elle un des buts prévus par le §2 de l’article 2 ? Le fait de tirer avec des fusils automatiques et de tuer M. Smirnoff était-il proportionné au risque d’attentat ? Peut-on considérer que les forces de l’OMON ont usé de toutes les précautions nécessaires dans la préparation et le contrôle de l’opération, alors qu’il n’a pas été confirmé que M. Smirnoff allait user d’une arme ?
A priori, l’usage de la force visait à prévenir d’importantes pertes en vies humaines du fait d’un attentat terroriste, aussi, la Russie a-t-elle satisfait à la première condition posée par le a, §2 de l’article 2, dans la mesure où la force a été employée afin d’ « assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ».
S’agissant de la deuxième condition, l’appréciation du recours à la force sera apprécié au regard du but recherché, du danger pour les vies humaines et l’intégrité corporelle et, enfin, la possibilité que la violence provoque des victimes. En l’espèce, le fait de tirer avec des fusils automatiques comportait un risque élevé d’attenter à la vie de M. Smirnoff, qui est identique, a priori, au risque de pertes en vies humaines du fait d’un attentat. Partant, à risques identiques, l’emploi de la force semble être proportionné au but d’éviter la mort de plusieurs personnes du fait de l’attentat. La Cour précise en outre que le recours à la force doit se fonder « une conviction honnête considérée pour de bonnes raisons, comme valables à l’époque des évènements, mais qui se révèle ensuite erronée ». En l’espèce, plusieurs agents ont ouvert le feu, avant que la menace eut été confirmée, leur visibilité n’était pas parfaite, il est donc permis de s’interroger sur la bonne foi de ceux-ci, qui ont agi avant même de recevoir confirmation de ce que l’un de leurs collègues avait vu. Ainsi, le collègue ayant cru voir la victime sortir une arme a demandé confirmation par talkie walkie à d’autres agents mieux placés, et celui-ci n’était pas l’auteur des coups de feu. Ce sont d’autres agents, qui ont entendu par talkie walkie la demande de confirmation, qui ont tiré. A priori, ils n’auraient eux-mêmes rien vu de suspect : leur bonne foi est donc en l’espèce tout à fait discutable.
En troisième lieu, la Cour a précisé que le recours à la force devait répondre à un principe de précaution. En d’autres termes, tout doit être fait pour épargner les vies innocentes. Le contrôle du juge porte à la fois sur les actes de préparation et le contrôle de l’opération meurtrière.
L’opération a été effectuée par des agents spécialisés dans les attaques terroristes. Contrairement à l’affaire Mac Cann où des militaires, qui étaient entraînés à tirer jusqu’à ce que mort s’en suive, le recours à ce types d’agents pour l’opération du présent cas était prudent. En revanche, rien ne semble avoir été fait afin de savoir dans quelles conditions l’attentat allait avoir lieu : on ne connaissait ni le mode opératoire, ni le lieu, ni la cible. En outre, les autorités ont été informées de cette menace d’attentat par une simple lettre anonyme, source peu fiable, qui aurait du être confirmée par des actes d’investigation plus poussés. Ensuite, M. Smirnoff était le dirigeant d’une association protectrice des droits de l’homme, et considéré à ce titre comme un traitre pour ses convictions personnelles. La dangerosité de ce personnage n’avait pas été véritablement confirmée : il semble avoir été victime d’un délit de facies comme cela est souvent le cas pour les défenseurs des droits de l’homme, qui sont considérés comme des opposants au pouvoir. Or, le seul fait d’être hostile au pouvoir ne peut permettre à lui seul de déterminer la dangerosité d’un individu. Enfin, il eut été probablement plus prudent de préciser aux agents de l’OMON qu’ils ne devraient ouvrir le feu que si la menace était confirmée, ce qui ne semble pas avoir été le cas ici.
En conclusion, Mme SMIRNOFF aurait de grande chance de voir son recours aboutir devant la Cour européenne des droits de l’homme, si elle arguait de ce que le décès de son époux n’était pas justifié par un recours à la force rendu absolument nécessaire, au sens du § 2 de l’article 2, en cela que l’usage de la force n’était probablement pas proportionné au but recherché, et surtout que la force meurtrière a été employée en l’absence du respect du principe de précaution.
II. L’absence d’enquête sur le décès de M. SMIRNOFF :
Après avoir déterminé et envisagé les règles droit applicables relativement au défaut d’enquête sur le décès de M. Smirnoff (A), il conviendra d’examiner les faits à leur lumière et déterminer si l’Etat russe a violé ou non ses obligations (B).
A. Le droit applicable relativement au défaut d’enquête sur le décès de M. SMIRNOFF
En sus de son obligation substantielle de protéger la vie des personnes se trouvant sous sa juridiction, l’Etat partie à la Convention européenne des droits de l’homme a une obligation procédurale de mener une enquête effective, qui trouve son fondement dans la combinaison des articles 2 §1 (1ère phrase) avec le devoir général inscrit dans l’article 1er.
Dans plusieurs affaires, la Cour a pu préciser que cette obligation existait dès lors qu’une personne se trouvant sous sa juridiction décédait (Tanrikulu c. Turquie, 1999, par exemple) ou disparaissait dans des circonstances où l’on pouvait penser qu’il y avait un risque pour sa vie (Cakici c. Turquie,1999). Cette obligation est à la charge de l’Etat que la mort soit due à des agents de l’Etat ou dans le cadre de relations interindividuelles (Tanrikulu, préc.).
Le cas échéant, une enquête impartiale, complète, approfondie et publique (Edwards) doit être menée. La Cour a précisé que l’Etat devait y consacrer un temps raisonnable, effectuer divers actes d’investigation et recueillir la plainte de la victime dans un délai suffisant. Cette enquête doit avoir pour finalité d’identifier et de punir les responsables.
B. L’examen des faits à la lumière des règles applicables au cas de M. SMIRNOFF :
Dans le présent cas, M. Smirnoff est décédé du fait des agents étatiques, alors qu’il était sous la juridiction de l’Etat russe.
Les autorités russes auraient donc du diligenter une enquête sur le décès de Monsieur Smirnoff, or, rien n’a été fait dans ce sens.
Il y a donc de grandes chances qu’un recours de Mme Smirnoff aboutisse devant la Cour européenne des droits de l’homme, sur le fondement d’une violation de l’article 2 combiné avec l’article 1er de la CEDH, pour absence d’enquête.
Pour conclure, l’Etat russe a violé ses obligations découlant de l’article 2 de la CEDH, relatif au droit à la vie, pour recours à la force excessif, et de l’article 2 combiné avec l’article 1er de la CEDH, pour défaut d’enquête à propos de l’atteinte au droit à la vie, d’une personne placée sous sa juridiction.
dimanche 20 avril 2008
Séance 6 : Le droit au respect de la vie privée et familiale
Travaux dirigés de droit international des droits de l’homme
Julia MARQUIS
Plan de la fiche :
LES TEXTES PROTECTEURS
SECTION 1 : LA PROTECTION DE LA VIE PRIVEE
I. Le droit à la vie privée personnelle
A. Le droit au secret de la vie privée
B. Le droit à la liberté de la vie sexuelle
LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME
Article 8 : Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Article 12 : Droit au mariage
« A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit. »
Article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
1. Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes
LE PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
Article 23
1. La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'Etat.
2. Le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l'homme et à la femme à partir de l'âge nubile.
3. Nul mariage ne peut être conclu sans le libre et plein consentement des futurs époux.
4. Les Etats parties au présent Pacte prendront les mesures appropriées pour assurer l'égalité de droits et de responsabilités des époux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. En cas de dissolution, des dispositions seront prises afin d'assurer aux enfants la protection nécessaire.
LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UNION EUROPEENNE
Article 7 : Respect de la vie privée et familiale
Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.
Article 8 : Protection des données à caractère personnel
1. Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant.2. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d'un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d'accéder aux données collectées la concernant et d'en obtenir la rectification.3.Le respect de ces règles est soumis au contrôle d'une autorité indépendante.
Article 9 : Droit de se marier et droit de fonder une famille
Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice.
LA CONVENTION AMERICAINE RELATIVE AUX DROITS DE L’HOMME
Article 17 : Protection de la famille
1. La famille est l'élément naturel et fondamental de la société; elle doit être protégée par la société et par l'Etat.
2. Le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l'homme et à la femme s'ils ont l'âge requis et réunissent les conditions exigées à cet effet par les lois nationales, dans la mesure où celles-ci ne heurtent pas le principe de la non-discrimination établi dans le présente Convention.
3. Le mariage ne peut être conclu sans le libre et plein consentement des parties.
4. Les Etats parties prendront les mesures appropriées pour assurer l'égalité des droits et l'équivalence judicieuse des responsabilités des époux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. En cas de dissolution, des dispositions seront prises afin d'assurer la protection nécessaire aux enfants, en fonction uniquement de leur intérêt et de leur bien-être.
5. La loi doit reconnaître les mêmes droits aux enfants nés hors des liens du mariage qu'à ceux qui y sont nés.
LA NOUVELLE CHARTE ARABE DES DROITS DE L’HOMME
Article 21
a) Nul ne fera l'objet d'immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteinte à son honneur ou à sa réputation;
b) Toute personne a droit à la protection de la loi contre une telle immixtion ou atteinte.
Article 33
a) La famille est la cellule naturelle et fondamentale de la société; elle est fondée sur le mariage entre l'homme et la femme; le droit de se marier et de fonder une famille selon les règles et les conditions régissant le mariage, est reconnu à l'homme et à la femme dès qu'ils sont en âge de contracter un mariage. Il ne peut y avoir de mariage sans le plein et libre consentement des deux parties. La législation en vigueur réglemente les droits et les devoirs de l'homme et de la femme au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution;
b) L'Etat et la société garantissent la protection de la famille, le renforcement de ses liens, la protection de ses membres, l'interdiction de toutes les formes de violence ou de mauvais traitements dans les relations entre ses membres, en particulier à l'égard de la femme et de l'enfant. Ils garantissent également à la mère, à l'enfant, à la personne âgée et aux personnes ayant des besoins particuliers la protection et l'assistance nécessaires et assurent aux adolescents et aux jeunes les meilleures chances de développement physique et mental;
c) Les Etats partie prennent toutes les dispositions législatives, administratives et judiciaires requises pour assurer la protection, la survie et le bien-être de l'enfant dans un climat de liberté et de dignité et pour faire en sorte que son intérêt supérieur soit, en toutes circonstances, le critère à la base de toutes les mesures le concernant qu'il s'agisse d'un enfant à risque ou d'un enfant délinquant;d) Les Etats parties prennent toutes les mesures nécessaires pour garantir notamment aux jeunes le droit d'exercer une activité sportive.
LA CHARTE AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
Article 18
1. La famille est l'élément naturel et la base de la société. Elle doit être protégée par l'Etat qui doit veiller à sa santé physique et morale.
2. L'Etat a l'obligation d'assister la famille dans sa mission de gardienne de la morale et des valeurs traditionnelles reconnues par la Communauté.
3. L' Etat a le devoir de veiller à l'élimination de toute discrimination contre la femme et d'assurer la protection des droits de la femme et de l'enfant tels que stipulés dans les déclarations et conventions internationales.
4. Les personnes âgées ou handicapées ont également droit à des mesures spécifiques de protection en rapport avec leurs besoins physiques ou moraux.
Article 27
1. Chaque individu a des devoirs envers la famille et la société, envers l'Etat et les autres collectivités légalement reconnues et envers la Communauté Internationale.2. Les droits et les libertés de chaque personne s'exercent dans le respect du droit d'autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l'intérêt commun.
Article 29
L'individu a en outre le devoir:
1. De préserver le développement harmonieux de la famille et d'œuvrer en faveur de la cohésion et du respect de cette famille ; de respecter à tout moment ses parents, de les nourrir, et de les assister en cas de nécessité;
2. De servir sa communauté nationale en mettant ses capacités physiques et intellectuelles à son service;3. De ne pas compromettre la sécurité de l'Etat dont il est national ou résident;
4. De préserver et de renforcer la solidarité sociale et nationale, singulièrement lorsque celle-ci est menacée;
5. De préserver et de renforcer l'indépendance nationale et l'intégrité territoriale de la patrie et, d'une façon générale, de contribuer à la défense de son pays, dans les conditions fixées par la loi;
6. De travailler, dans la mesure de ses capacités et de ses possibilités, et de s'acquitter des contributions fixées par la loi pour la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la société;
7. De veiller, dans ses relations avec la société, à la préservation et au renforcement des valeurs culturelles africaines positives, dans un esprit de tolérance, de dialogue et de concertation et d'une façon générale de contribuer à la promotion de la santé morale de la société;
8. De contribuer au mieux de ses capacités, à tout moment et à tous les niveaux, à la promotion et à la réalisation de l'unité africaine.
LA DECLARATION ISLAMIQUE UNIVERSELLE DES DROITS DE L’HOMME
Article 19 : Droit de fonder une famille et questions connexes
a) Toute personne a le droit de se marier, de fonder une famille et d'élever des enfants conformément à sa religion, à ses traditions et à sa culture. Tout conjoint possède ces droits et privilèges et est soumis aux obligations stipulées par la Loi.
b) Chacun des partenaires d'un couple a droit au respect et à la considération de l'autre.c) Tout époux est tenu d'entretenir son épouse et ses enfants selon ses moyens.
d) Tout enfant a le droit d'être entretenu et correctement élevé par ses parents, et il est interdit de faire travailler les jeunes enfants et de leur imposer aucune charge qui s'opposerait ou nuirait à leur développement naturel.e) Si pour une raison quelconque, des parents sont dans l'incapacité d'assumer leurs obligations vis-à-vis d'un enfant, il incombe à la communauté d'assumer ces obligations sur le compte de la dépense publique.
f) Toute personne a droit au soutien matériel, ainsi qu'aux soins et à la protection de sa famille pendant son enfance, sa vieillesse ou en cas d'incapacité. Les parents ont droit au soutien matériel ainsi qu'aux soins et à la protection de leurs enfants.
g) La maternité a droit à un respect, des soins et une assistance particuliers de la part de la famille et des organismes publics de la communauté (ummah).
h) Au sein de la famille, les hommes et les femmes doivent se partager leurs obligations et leurs responsabilités selon leur sexe, leurs dons, talents et inclinations naturels, en tenant compte de leurs responsabilités communes vis-à-vis de leurs enfants et de leurs parents.
i) Personne ne peut être marié contre sa volonté, ni perdre sa personnalité juridique ou en subir une diminution du fait de son mariage.
Section 1 : Le droit à la vie privée
La notion de vie privée est une notion contingente ne pouvant être définie avec précision. La Cour européenne a adopté une conception extensive en jugeant que la vie privée ne se limite pas seulement à la sphère des relations personnelles, mais englobe aussi « le droit pour l’individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables ».
Dans la jurisprudence, le respect de la vie privée comporte quatre volets : le droit à la vie privée personnelle, le droit à la vie privée sociale, le droit au développement personnel et le droit de vivre dans un environnement sain.
I. Le droit à la vie privée personnelle :
Ce droit vise la sphère intime des relations personnelles, et comporte le droit au secret de la vie privée et le droit à la liberté de la vie sexuelle.
A. Le droit au secret de la vie privée :
C’est le droit de vivre à l’abri des regards étrangers. Ainsi cela implique :
- que le domicile, lieu où s’exerce la vie privée soit protégé,
- que les correspondances soient gardées secrètes en cela qu’elles révèlent des opinions privées. Notamment, le respect de la correspondance doit être assuré contre les moyens d’investigations dont déposent les autorités publiques (comme les écoutes téléphoniques, la constitution et la communication de fichiers de données à caractère personnel),
- enfin, que les informations sur l’état de santé soient tenues confidentielles.
Ø Exemple : affaire Peers c. Grèce du 14 avril 2001
Faits et procédure : Ressortissant britannique, Donald Peers, qui avait suivi un traitement pour héroïnomanie au Royaume-Uni, fut arrêté en août 1994 à l’aéroport d’Athènes pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Le 24 août, il fut conduit à la prison de Koridallos, en Grèce, pour y être mis en détention provisoire. Il fut par la suite condamné.
Il fut tout d’abord détenu au sein de l’hôpital psychiatrique de la prison, avant d’être placé dans l’unité d’isolement de l’aile Delta, puis dans l’aile Alpha. Dans l’aile Delta, il affirme avoir partagé avec un autre détenu une petite cellule étouffante et exigüe, dépourvue de système d’aération, qui comportait des toilettes non séparées et fréquemment hors d’usage, et où la lumière du jour ne pénétrait pratiquement pas. Il prétend avoir souffert également dans l’aile Alpha d’inconfort et d’un manque d’hygiène. De plus, il ne put bénéficier d’aucune formation ou activité professionnelle, ni accéder à une bibliothèque.
Le requérant se plaint que les conditions dans lesquelles il a été détenu emportent violation de l’article 3 de la Convention. Il invoque également l’article 8, en cela que les lettres que lui adressait la Commission européenne des Droits de l’Homme ayant été ouvertes par l’administration pénitentiaire.
Problèmes de droit : Les conditions de M. Peers ont-elles constitué un traitement inhumain ou dégradant, prohibé par l’article 3 ? L’ouverture de la correspondance d’un détenu relative à une procédure judiciaire est-elle contraire au secret de la correspondance, protégé par l’article 8 ?
Raisonnement de la Cour :
Sur l’article 3 : La Cour estime que rien ne prouve l’existence d’une véritable intention d’humilier ou de rabaisser l’intéressé. Toutefois, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3. Le fait que les autorités compétentes n’aient pris aucune mesure pour améliorer les conditions de détention du requérant, que l’on peut objectivement décrire comme inacceptables, dénote un manque de respect pour l’intéressé.
La Cour tient particulièrement compte du fait que, pendant deux mois au moins, le requérant a dû passer une grande partie de la journée sur son lit, dans une cellule dépourvue de fenêtres et de système d’aération, où la chaleur était quelquefois insupportable. Lui-même et son compagnon de cellule devaient en outre utiliser les toilettes en présence l’un de l’autre. La Cour est d’avis que les conditions de détention litigieuses ont porté atteinte à la dignité du requérant et ont provoqué chez lui des sentiments de désespoir et d’infériorité propres à l’humilier et le rabaisser, voire à briser sa résistance physique et morale. Partant, la Cour estime que les conditions de détention du requérant dans l’unité d’isolement de l’aile Delta de la prison de Koridallos s’analysent en un traitement dégradant au sens de l’article 3.
Sur l’article 8 : La Cour relève que les lettres adressées au requérant par la Commission ont été ouvertes, ce qui constitue une atteinte au droit de l’intéressé au respect de sa correspondance. Or, elle ne voit aucune raison impérieuse justifiant de contrôler les lettres en question, dont il était important de respecter la confidentialité. Dès lors, l’ingérence litigieuse n’était pas nécessaire dans une société démocratique au sens de l’article 8 § 2.
B. Le droit à la liberté de la vie sexuelle :
Dans l’affaire X et Y c. Pays-Bas, du 26 mars 1985, la Cour a considéré que « la vie privée recouvrait l’intégrité physique et morale de la personne et comprenait aussi la vie sexuelle ».
Ainsi, chacun a le droit de mener la vie sexuelle de son choix, même si le comportement sexuel est susceptible de « heurter, choquer ou inquiéter le plus grand nombre ». Par conséquent, l’accomplissement d’actes homosexuels entre adultes consentants, en privé, ne peut faire l’objet d’une répression pénale (affaire Dudgeon c. Royaume-Uni, du 22 octobre 1981), ni constituer un motif exclusif de révocation d’un emploi public (affaire Smith et Grady c. Royaume-Uni, du 27 septembre 1999). Il en va de même pour le transsexualisme (affaire B c. France, du 25 mars 1992). Cependant, l’orientation sexuelle n’emporte pas ipso facto de droit à se marier.
La liberté du comportement sexuel n’est pas absolue : ces restrictions sont prévues au §2 de l’article 8, et la loi peut intervenir pour concilier ce droit avec la protection des droits ou intérêts d’autrui. Par exemple, l’Etat peut interdire une manifestation publique d’une attitude homosexuelle, pour protéger directement les mineurs ou les incapables majeurs (affaire Dudgeon, précitée), ou encore pour protéger l’intégrité physique des individus (voyez l’affaire Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, du 19 février 1997, ci-dessous).
Ø Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, 19 février 1997 : exemple de limitation à la liberté sexuelle
Faits et procédure : En 1987, plusieurs vidéocassettes enregistrées lors de réunions à caractère sadomasochiste impliquant MM. Laskey, Jaggard et Brown et quarante-quatre autres homosexuels tombèrent entre les mains de la police alors que celle-ci procédait à des enquêtes de routine sur d'autres questions. Lors de ces séances, les membres du groupe se livraient à des sévices sur les parties génitales, à des rituels de flagellation ainsi qu’à des marquages au fer rouge. Les participants étaient pleinement consentants et leurs pratiques se déroulaient en privé. Les souffrances étaient infligées selon certaines règles, dont un mot de code qui permettait à la « victime » de mettre un terme à l' « agression », et ne donnèrent lieu en aucun cas à des infections ou à des lésions permanentes ni ne nécessitèrent l'assistance d'un médecin. Ces séances étaient enregistrées sur des vidéocassettes puis copiées et distribuées aux membres du groupe. Les poursuites se fondèrent essentiellement sur la teneur de ces vidéocassettes. Nul ne prétendit qu'elles avaient été vendues ou utilisées par d'autres personnes que les membres du groupe.
Les requérants, avec plusieurs autres hommes, furent condamnés à des peines d’emprisonnement ferme (4 ans) pour atteinte à l’intégrité physique et coups et blessures. La chambre criminelle de la Cour d’appel réduisit les peines initiales, et la chambre des Lords rejeta le pourvoi visant à établir que le consentement des participants aux activités sadomasochistes était de nature à lever l’incrimination de délit pour coups et blessures.
Les requérants affirment que les poursuites dirigées contre eux et leur condamnation pour coups et blessures infligés dans le cadre de pratiques sadomasochistes entre adultes consentants ont enfreint l'article 8 de la Convention. Il s’agirait d’une ingérence qui ne saurait passer pour « nécessaire dans une société démocratique », en cela que toutes les personnes ayant participé à ces séances étaient des adultes consentants triés sur le volet, ayant des tendances sadomasochistes, que le public n'a pas été témoin de ces actes, et enfin qu'il n'y a eu aucune lésion grave ou permanente, et qu'aucun traitement médical n'a été nécessaire. Les requérants soutiennent que leur affaire se rapporte à des questions d’expression sexuelle plutôt que de violence.
Problème de droit : L’accomplissement d’actes sadomasochistes, en groupe et à huis clos, relève-t-il de la protection de l’article 8 ?
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour fait observer que toute pratique sexuelle menée à huis clos ne relève pas nécessairement du domaine de l'article 8. Bien qu’il ne fasse aucun doute que les tendances et le comportement sexuels se rapportent à un aspect intime de la vie, les mesures prises par l’Etat à l’encontre des requérants étaient nécessaires compte tenu du nombre considérable de personnes qui ont pris part à ces actes, et aussi du « caractère extrême » des pratiques en cause. Ces actes sont assimilables à des tortures génitales, or, le droit de ne pas subir de tels traitements est un attribut inaliénable de la personne humaine, peu important le consentement de la personne à ces traitements. Il ne faudrait en effet pas qu’un « Etat contractant se trouve dans l’obligation de tolérer des actes de torture sous prétexte qu’ils sont commis dans le cadre d’une relation sexuelle consentie ». Par conséquent, la Cour a conclu à la non violation de l’article 8.
II. Le droit à la vie privée sociale :
Il s’agit de protéger la vie de l’individu avec ses semblables (droit reconnu dans l’affaire Niemetz c. Allemagne, du 16 décembre 1992). Dès lors, les notions de domicile, correspondance et vie privée englobent les activités professionnelles ou commerciales, ainsi que les locaux où ils s’exercent, car c’est dans leur travail que la plupart des gens ont le plus l’occasion de resserrer leurs liens avec le monde extérieur.
Cependant, le juge européen refuse de faire produire à la notion de vie privée tous ses effets : elle juge, en effet, dans la décision Fretté c. France, du 26 février 2002, que le refus d’agrément à l’adoption opposé à un homosexuel ne relève pas de la « vie privée ». Cette décision est contestable dans la mesure où est bien en cause le droit d’entretenir des relations avec autrui dans le domaine affectif.
De même, la Cour refuse d’intégrer les droits sociaux (qui sont garantis par ailleurs dans la Charte sociale européenne) dans le droit au respect de la « vie privée sociale ». Voyez l’affaire Botta c. Italie, ci-dessous.
Ø Botta c. Italie, 24 février 1998 : accès d’un handicapé à un établissement de bains
Faits et procédure : M. Botta se rendit dans une station balnéaire italienne, en compagnie d’une amie, également handicapée physique, pour y passer des vacances. Il constata que les établissements de bains n’étaient pas équipés des dispositifs nécessaires aux personnes handicapées pour accéder à la plage et à la mer (en particulier parcours spéciaux, locaux hygiéniques adaptés), au mépris de la législation italienne qui imposait de tels aménagements et prévoyait un contrôle par les administrations locales compétentes. Le requérant précise qu’après avoir accédé pendant un certain temps avec son véhicule à des plages publiques non équipées, cette possibilité lui fut interdite par la suite, l’entrée ayant été barrée sur ordre de la capitainerie.
Le requérant envoya une lettre au maire, le priant de prendre les mesures nécessaires pour remédier aux défaillances constatées l’année précédente. Cette lettre resta sans réponse.
Un an plus tard, M. Botta retourna dans la même station balnéaire et constata qu’aucune des mesures sollicitées, pourtant obligatoires, n’avait été prise. Il fut en conséquence contraint de demander au bureau maritime local une autorisation d’accès avec son véhicule à une plage publique non équipée. Il s’adressa par ailleurs à différentes autorités locales dont il reçut les réponses suivantes : le président de la coopérative des établissements de bains de la station lui signala qu’aucune obligation de se doter des structures réclamées.
Le requérant a saisi la juridiction européenne, en se plaignant d'une atteinte à sa vie privée et au développement de sa personnalité qui résulterait de l’inactivité de l'Etat italien face aux omissions imputables aux établissements de bains privés, à savoir le défaut de locaux hygiéniques et de passerelles d'accès à la mer pour personnes handicapées. L'intéressé affirme ne pouvoir jouir d’une vie relationnelle normale qui lui permette de participer à la vie de la collectivité et d’exercer des droits essentiels, comme les droits de la personnalité, à cause non pas d’une ingérence de l'Etat, mais d'un manquement à ses obligations positives d'adopter des mesures et d'exercer des contrôles sur le respect des dispositions internes relatives aux établissements de bains privés.
Problème de droit : L’absence de mesures portant à remédier à l’impossibilité pour un handicapé physique d’accéder à un établissement de bains viole-t-elle son droit à la vie privée sociale ?
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour rappelle que la sphère de la vie privée couvre l'intégrité physique et morale d'une personne et est principalement destinée à assurer le développement, sans ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans les relations avec ses semblables. La Cour réaffirme que si l'article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l'individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l'Etat de s'abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s'ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. La notion de respect manque pourtant de netteté : pour déterminer si pareilles obligations existent il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l'intérêt général et les intérêts de l'individu, l'Etat jouissant en toute hypothèse d'une marge d'appréciation.
La Cour a conclu à l'existence de ce type d'obligations à la charge d'un Etat lorsqu'elle a constaté la présence d'un lien direct et immédiat entre, d'une part, les mesures demandées par un requérant et, d'autre part, la vie privée et/ou familiale de celui-ci. Par exemple, dans l'affaire X et Y c. Pays-Bas, portant sur le viol d'une personne handicapée mentale et donc relative à l'intégrité physique et morale de celle-ci, la Cour a affirmé que les lacunes du code pénal néerlandais n'assuraient pas à ladite personne une protection concrète et effective.
Or en l'espèce, le droit revendiqué par M. Botta, à savoir celui de pouvoir accéder à la plage et à la mer loin de sa demeure habituelle pendant ses vacances, concerne des relations interpersonnelles d'un contenu si ample et indéterminé qu'aucun lien direct entre les mesures exigées de l'Etat pour remédier aux omissions des établissements de bains privés et la vie privée de l'intéressé, n'est envisageable. La Cour a donc décidé que l'article 8 ne s'appliquait pas. Cette décision est très critiquable car il semblait pourtant, dans cette affaire que soit en cause le droit pour un handicapé d’avoir des relations de nature récréative avec ses semblables, dont le contenu n’est pas si ample que le prétend la Cour.
III. Le droit au développement personnel :
La Cour reconnaît que l’individu à un droit au nom, et au prénom, en tant que moyen d’identification personnelle et de relations avec autrui, au titre de la « vie privée et familiale », alors même que ce droit n’est pas reconnu dans la CEDH (contrairement au Pacte international relatif aux droits civils et politiques).
La Cour reconnaît en particulier, dans l’affaire Odièvre c. France, du 13 février 2003, que « le droit à la connaissance de ses origines » est inclus dans la notion de « vie privée », par une interprétation extensive de l’article 8. La Cour a, par conséquent, jugé que l’article 8 était applicable à la détermination du lien de filiation entre un enfant né hors mariage et son père (affaire Mikulic c. Croatie, du 7 février 2002) et à l’impossibilité de voir lever le secret de sa naissance du fait de l’accouchement sous X (affaire Odièvre c. France, précitée). L’affaire Odièvre souligne que « l’établissement des détails de son identité d’être humain » participe du droit à « l’épanouissement personnel », protégé par l’article 8.
Pour autant, les conditions d’exercice du droit de connaître ses origines, dans le cadre français de l’accouchement anonyme, ont été jugées compatibles avec l’article 8, dans l’affaire Odièvre, en cela que le « droit de savoir » n’impliquait pas « l’obligation de divulguer ». La Cour a refusé dans cette affaire de mettre à la charge de l’Etat l’obligation positive de divulguer le secret de la naissance lorsqu’il avait été demandé : la Cour a fait prévaloir le droit au secret de la mère. Le raisonnement de la Cour reste critiquable.
Voici un résumé de cette affaire :
Ø Odièvre c. France, 13 février 2003 : droit au développement personnel par l’accès à ses données personnelles (accès aux dossiers administratifs)
Faits et procédure : La requérante est née sous X, le 23 mars 1965 à Paris. Demandant le secret de cette naissance, sa mère souscrivit aux services de l’assistance publique un acte d’abandon de son enfant. Confiée aux services de la Direction de l’aide sociale à l’enfance et de la protection de la jeunesse (DASS), la requérante fut immatriculée au nombre des pupilles de l’Etat et, par la suite, adoptée, sous la forme plénière, par M. et Mme Odièvre dont elle porte aujourd’hui le nom. Ayant pris connaissance de son dossier d’ancienne pupille du service de l’aide sociale à l’enfance du département de la Seine en 1990, la requérante réussit à obtenir des éléments non identifiants concernant sa famille naturelle (elle avait appris que ses parents naturels avaient donné naissance à un garçon né en 1963, puis à deux autres garçons après 1965). La requérante présenta une requête auprès du tribunal de grande instance afin de demander de « lever le secret de sa naissance en l’autorisant à se faire communiquer tous documents, pièces d’état civils et extraits intégraux d’actes de naissance complets ». Elle exposait qu’elle s’était heurtée au refus de la DASS de lui fournir des informations sur l’état civil de ses collatéraux au motif qu’une telle communication porterait atteinte au secret de sa naissance et qu’ayant appris l’existence d’une fratrie elle était bien fondée à demander que soit levé le secret de cette naissance. Le greffier du tribunal renvoya le dossier à l’avocat de la requérante en précisant que « (…) il apparaît que la requérante doive éventuellement saisir le tribunal administratif pour contraindre si elle le peut l’administration à lever le secret ce qui serait en tout état de cause contraire à la loi du 8 janvier 1993 » (qui édicte une fin de non-recevoir à la recherche en maternité naturelle en cas d’accouchement secret).
Invoquant l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, la requérante se plaint de ne pouvoir obtenir communication d’éléments identifiants sur sa famille naturelle. Elle dénonce le lourd préjudice qui en résulte pour elle dans la mesure où elle est privée de la possibilité de réécrire son histoire personnelle.
Problème de droit : Le principe de l’accouchement sous X est-il contraire au respect de la vie privée et familiale de l’enfant abandonné ?
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour n’estime pas nécessaire d’examiner l’affaire sous l’angle de la vie familiale, mais sous celui de la vie privée. En effet, l’article 8 de la Convention protège un droit à l’épanouissement personnel, au titre duquel figurent l’établissement des détails de son identité d’être humain et l’intérêt vital à obtenir des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle (par exemple l’identité de ses géniteurs).
La Cour relève que les intérêts en présence font apparaître, d’une part, le droit à la connaissance de ses origines et l’intérêt vital de l’enfant dans son épanouissement, et d’autre part, l’intérêt d’une femme à conserver l’anonymat pour sauvegarder sa santé en accouchant dans des conditions médicales appropriées. Il s’agit de deux intérêts difficilement conciliables concernant deux adultes jouissant chacune de l’autonomie de sa volonté. De surcroît, il y a lieu de tenir compte de l’intérêt des tiers et de leur protection, essentiellement les parents adoptifs, le père ou le restant de la famille biologique. Enfin, l’intérêt général est également en jeu dans la mesure où la loi française a pour objectif de protéger la santé de la mère et de l’enfant lors de l’accouchement, d’éviter des avortements en particulier clandestins et des abandons « sauvages ». Le droit au respect de la vie n’est ainsi pas étranger aux buts recherchés par le système français.
La Cour rappelle que les Etats disposent d’une marge d’appréciation dans le choix des mesures de nature à garantir le respect de l’article 8 dans les rapports entre individus. En l’espèce, la Cour considère que la législation française tente d’atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisantes entre les intérêts en cause : la requérante a pu avoir accès à des informations non identifiantes sur sa mère et sa famille biologique lui permettant d’établir quelques racines de son histoire dans le respect de la préservation des intérêts des tiers.
Ainsi, pour la Cour le « droit de savoir » n’implique pas « l’obligation de divulguer » pour l’Etat. Par ailleurs, elle note que la loi du 22 janvier 2002, qui conserve le principe de l’accouchement sous X, renforce la possibilité de lever le secret de l’identité en facilitant la recherche des origines biologiques par à la mise en place d’un conseil national de l’accès aux origines personnelles. Cette loi étant d’application immédiate, la requérante peut solliciter la réversibilité du secret de l’identité de sa mère, sous réserve de l’accord de celle-ci. Au final c’est donc le droit au secret de la mère qui prévaut. La Cour conclut à la non violation de l’article 8 de la Convention.
En outre, la Cour précise que ce droit implique l’obligation positive pour l’Etat de reconnaître juridiquement l’identité sexuelle en cas de changement de sexe. Voyez l’affaire Goodwin c. Royaume-Uni reproduite ci-dessous.
Ø GOODWIN C. Royaume-Uni, 11 juillet 2002 : la reconnaissance juridique de l’identité sexuelle en cas de changement de sexe :
Faits et procédure : Christine Goodwin, est une transsexuelle opérée passée du sexe masculin au sexe féminin. Elle affirme avoir eu des problèmes et été victime de harcèlement sexuel à son travail pendant et après sa conversion sexuelle. Très récemment, elle se heurta à des difficultés quant à ses cotisations sociales. Etant toujours un homme au regard de la loi, elle doit continuer à payer ses cotisations sociales jusqu’à l’âge de 65 ans. Si son identité sexuelle féminine avait été reconnue, elle aurait cessé d’être redevable de ces cotisations en avril 1997, à l’âge de 60 ans. Pour éviter des questions de la part de ses employeurs au sujet de cette anomalie, elle dut passer un accord spécifique en vertu duquel elle continua de payer directement ses cotisations elle-même. Elle allègue également que le fait qu’elle ait conservé le même numéro d’assurance nationale a permis à son employeur de se rendre compte qu’elle avait travaillé pour lui par le passé en tant qu’homme et sous un autre nom, ce qui a été source de gêne et d’humiliation pour elle.
La requérante se plaint de la non-reconnaissance juridique de sa nouvelle identité sexuelle et du statut juridique des transsexuels au Royaume-Uni. Elle dénonce en particulier la manière dont elle est traitée dans les domaines de l’emploi, de la sécurité sociale et des pensions et l’impossibilité pour elle de se marier. Elle invoque en particulier les articles 8 et 12 de la Convention.
Problème de droit : L’absence de reconnaissance juridique de changement de sexe d’un individu porte-t-il atteinte au droit à la vie privée de celui-ci ?
Réponse et raisonnement de la Cour : La requérante a subi une opération de conversion sexuelle, qui a été prise en charge par le service national de santé, et mène une vie sociale de femme, mais elle demeure un homme sur le plan juridique.
Il existe des éléments clairs et incontestés montrant une tendance internationale continue non seulement vers une acceptation sociale accrue des transsexuels mais aussi vers la reconnaissance juridique de la nouvelle identité sexuelle des transsexuels opérés. Selon la Cour il est étonnant que la conversion sexuelle ait pu s’opérer en toute légalité sans déboucher sur une pleine consécration en droit, qui pourrait pourtant être considéré comme une étape ultime, comme l’aboutissement d’un processus de transformation long et difficile.
Tout en constatant que les difficultés et anomalies de la situation de la requérante en tant que transsexuelle opérée n’atteignent pas le niveau d’ingérence quotidienne que subissait la requérante dans l’affaire B. c. France, la Cour souligne que la dignité et la liberté de l’homme sont l’essence même de la Convention. Sur le terrain de l’article 8 de la Convention en particulier, où la notion d’autonomie personnelle reflète un principe important qui sous-tend l’interprétation des garanties de cette disposition, la sphère personnelle de chaque individu est protégée, y compris le droit pour chacun d’établir les détails de son identité d’être humain.
La Cour a réitéré depuis 1986, l’importance d’examiner de manière permanente la nécessité de mesures juridiques appropriées, eu égard à l’évolution de la science et de la société, mais rien n’a réellement été fait par l’Etat défendeur. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que l’Etat défendeur ne peut plus invoquer sa marge d’appréciation en la matière, sauf pour ce qui concerne les moyens à mettre en œuvre pour assurer la reconnaissance du droit protégé par la Convention. La Cour conclut donc que « le juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu » commande à l’Etat de satisfaire à son obligation positive de procéder à la reconnaissance juridique de la conversion sexuelle. Dès lors, il y a eu manquement au respect du droit de l’intéressée à sa vie privée, en violation de l’article 8.
IV. Le droit de vivre dans un environnement sain :
C’est dans l’affaire Lopez Ostra c. Espagne, du 9 décembre 1994, que la Cour a jugé, avec audace que les atteintes graves à l’environnement portaient atteinte à la jouissance effective du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile, protégé par l’article 8.
La Cour considère, dans son arrêt Guerra c. Italie, du 19 février 1998, que l’article 8 implique l’obligation positive pour l’Etat de prendre des mesures afin de faire cesser ou de réduire les pollutions et, également de fournir aux intéressés des informations pertinentes quant aux risques graves de pollution.
En voici un résumé :
Ø Guerra c. Italie, 19 février 1998
Faits et procédure : Les requérantes résidaient toutes dans la commune de Manfredonia (Foggia) sise à un kilomètre environ de l'usine chimique de la société anonyme Enichem agricoltura, implantée, elle, sur le territoire de la commune de Monte Sant'Angelo.
En novembre 1985, 420 habitants de Manfredonia saisirent le juge d'instance de Foggia en dénonçant la présence dans l'atmosphère de fumées d'échappement provenant de l'usine et dont la composition chimique et le degré de toxicité n'étaient pas connus. Le juge n'infligea aucune peine aux inculpés sauf à deux administrateurs, qui furent condamnés à cinq mois d'emprisonnement et deux millions de lires d'amende, ainsi qu'à la réparation des dommages civils, pour avoir fait construire des décharges sans avoir obtenu au préalable l'autorisation nécessaire. La cour d'appel de Bari acquitta les appelants, au motif que le délit n'était pas constitué.
En 1988, l'usine, qui produisait des fertilisants et du caprolactame fut classée à haut risque, en application de la directive « Seveso » du Conseil des Communautés européennes, concernant les risques d'accidents majeurs liés à certaines activités industrielles dangereuses pour l'environnement et le bien-être des populations concernées.
Selon les requérantes, au cours de son cycle de fabrication, l'usine aurait libéré de grandes quantités de gaz inflammable – ce qui aurait pu entraîner des réactions chimiques explosives libérant des substances hautement toxiques. Des accidents de fonctionnement s'étaient, en effet, déjà produits par le passé.
Par ailleurs, dans un rapport du 8 décembre 1988, une commission technique nommée par la municipalité de Manfredonia établit notamment, qu'à cause de la position géographique de l'usine, les émissions de substances dans l'atmosphère étaient souvent canalisées vers la ville. Le rapport faisait état d'un refus de l'usine à une inspection de ladite commission et du fait que, d'après les résultats d'une étude menée par l'usine elle-même, les installations de traitement des fumées étaient insuffisantes et l'étude d'impact environnemental était incomplète.
En 1989, l'usine limita son activité à la production de fertilisants, ce qui justifia son maintien dans la catégorie des usines dangereuses. En 1993, les ministères de l'Environnement et de la Santé adoptèrent conjointement un arrêté prescrivant des mesures à adopter par l'usine afin d'améliorer la sécurité de la production en cours de fertilisants et, en cas de reprise de la production de caprolactame, la sécurité de celle-ci. En 1994, l'usine arrêta définitivement la production de fertilisant. Seules une centrale thermoélectrique et des installations de traitement des eaux primaires et usées continuent de fonctionner.
Un comité paritaire Etat-région des Pouilles fut créé auprès du ministère de l'Environnement pour donner suite à la directive Seveso. Ce comité ordonna une enquête technique confiée à une commission. Le comité paritaire Etat-région formula ses conclusions le 6 juillet 1990, fixant au 30 décembre 1990 la date de remise au ministre de l'Environnement du rapport sur les risques d'accidents majeurs.
Les problèmes liés au fonctionnement de l'usine firent l'objet, le 20 juin 1989, d'une question parlementaire au ministre de l'Environnement, et le 7 novembre 1989, au sein du Parlement européen, d'une question à la Commission des Communautés européennes. En réponse à cette dernière, le commissaire compétent indiqua : 1) que la société Enichem avait envoyé au gouvernement italien le rapport demandé sur la sécurité des installations ; 2) que sur la base de ce rapport, ledit gouvernement avait procédé à l'instruction de l'affaire afin de contrôler la sécurité des installations et, le cas échéant, d'indiquer les mesures supplémentaires de sécurité qui s’avéreraient nécessaires ; et 3) qu'en ce qui concernait l'application de la directive Seveso, le gouvernement avait pris à l'égard de l'usine les mesures requises.
Les articles 11 et 17 du DPR 175/88 prévoient l'obligation, à la charge du maire et du préfet compétents, d'informer la population concernée sur les risques liés à l'activité industrielle en question, les mesures de sécurité adoptées, les plans d'urgence préparés et la procédure à suivre en cas d'accident. Toutefois, dans un courrier du 7 décembre 1995 à la Commission européenne des Droits de l'Homme, le maire de Monte Sant'Angelo affirma qu'à cette dernière date, l'instruction en vue des conclusions prévues par l'article 19 se poursuivait et qu'aucun document concernant ces conclusions ne lui était parvenu. Il précisait que la municipalité attendait toujours de recevoir des directives du service de la protection civile afin d'arrêter les mesures de sécurité à prendre et les règles à suivre en cas d'accident et à communiquer à la population, et que les mesures visant l'information de la population seraient prises immédiatement après les conclusions de l'instruction, dans l'hypothèse d'un redémarrage de la production de l'usine.
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour a rappelé, dans cette décision, que des atteintes graves à l'environnement peuvent toucher le bien-être des personnes et les priver de la jouissance de leur domicile de manière à nuire à leur vie privée et familiale.
En l'espèce, la Cour a décidé que l’Italie avait enfreint l’article 8 de la C.E.D.H. pour ne pas avoir communiqué aux requérantes, jusqu’à l’arrêt de la production de fertilisants en 1994, des informations essentielles qui leur auraient permis d'évaluer les risques pouvant résulter pour elles et leur proches du fait de continuer à résider sur le territoire de Manfredonia, une commune aussi exposée au danger en cas d'accident dans l'enceinte de l'usine. La Cour constate donc que l’Etat défendeur a failli à son obligation de garantir le droit des requérantes au respect de leur vie privée et familiale, au mépris de l’article 8 de la Convention.
SECTION 2 : La protection de la vie familiale
La protection de la vie familiale s’ordonne autour de deux grands axes : le droit au mariage, d’une part, et le droit au respect de la vie familiale, d’autre part.
I. Le droit au mariage :
L’article 12 de la CEDH ne définit pas le mariage. Il semble toutefois que le droit au mariage ne soit reconnu que pour les couples hétérosexuels, puisque l’article 12 dispose que le mariage n’est possible qu’entre un homme et une femme. La réglementation de l’exercice du mariage relève donc des législations nationales. Le droit interne ne peut cependant ni restreindre ni réduire le mariage dans sa substance même. Par exemple, lorsqu’une loi interne reconnaît le divorce, elle ne doit pas limiter de manière « déraisonnable » le droit du divorcé de se remarier.
L’article 12 vise le droit de se marier et le droit de fonder une famille. Au prix d’une lente évolution, la jurisprudence de la Cour européenne en est arrivée à dissocier ces deux éléments : il apparaît aujourd’hui qu’il n’est pas nécessaire que le mariage ait pour conséquence automatique de fonder une famille, ou tout du moins, d’être en mesure de fonder une famille.
Sur ce point, la Commission s’est montrée beaucoup plus progressiste que la Cour. En effet, pour la Commission, le mariage consistait à former « une association juridiquement solidaire entre un homme et une femme ». Partant, la Commission a tout d’abord reconnu le droit des détenus de se marier. Ainsi, elle a considéré que l’impossibilité d’avoir des rapports conjugaux ne faisait pas obstacle au mariage. Elle a ensuite consacré, dans sa décision Van Ooesterwijck c. Belgique du 1er mars 1979, le droit pour les transsexuels de se marier, sous-entendant que la capacité de procréer ne faisait pas obstacle au mariage.
La Cour a, dans un premier temps, stoppé cette évolution, dans sa décision de principe Rees c. Royaume-Uni, du 17 octobre 1986, où elle a entendu protéger « le mariage en tant que fondement de la famille ». Le juge européen a refusé de reconnaître le droit pour un transsexuel de se marier en cela que l’article 12 visait « le mariage traditionnel entre deux personnes de sexe biologiquement différent ». Elle a ensuite actualisé sa jurisprudence en procédant à une relecture de l’article 12, en reconnaissant le droit de se marier à un transsexuel, dans sa décision C.Goodwin c. Royaume-Uni, du 11 juillet 2002. Elle estime désormais que le droit au mariage n’implique plus que le sexe doit être déterminé selon des conditions purement biologiques. Voyez ci-dessous, le résumé du raisonnement de la Cour (faits et procédure précités).
Ø GOODWIN C. Royaume-Uni, 11 juillet 2002 :droit pour un transsexuel de se marier
Faits et procédure : voir supra
Problème de droit : Un transsexuel a-t-il le droit de se marier avec une personne du même sexe que celui qu’il avait avant de procéder à son changement de sexe ?
Raisonnement de la Cour : Certes, l’article 12 vise expressément le droit pour un homme et une femme de se marier, mais la Cour n’est pas convaincue que l’on puisse aujourd’hui continuer d’admettre que ces termes impliquent que le sexe doive être déterminé selon des critères purement biologiques. Depuis l’adoption de la Convention, l’institution du mariage a été profondément bouleversée par l’évolution de la société, et les progrès de la médecine et de la science ont entraîné des changements radicaux dans le domaine de la transsexualité. La Cour a constaté ci-dessus, sur le terrain de l’article 8, que la non-concordance des facteurs biologiques chez un transsexuel opéré ne pouvait plus constituer un motif suffisant pour justifier le refus de reconnaître juridiquement le changement de sexe de l’intéressé. D’autres facteurs doivent être pris en compte : la reconnaissance par la communauté médicale et les autorités sanitaires dans les Etats contractants de l’état médical de trouble de l’identité sexuelle, l’offre de traitements, y compris des interventions chirurgicales, censés permettre à la personne concernée de se rapprocher autant que possible du sexe auquel elle a le sentiment d’appartenir, et l’adoption par celle-ci du rôle social de son nouveau sexe.
La Cour constate que si le nombre des pays qui autorisent le mariage des transsexuels sous leur nouvelle identité sexuelle est inférieur à celui des Etats qui reconnaissent la conversion sexuelle elle-même, elle n’est pas convaincue que cela soit de nature à conforter la thèse selon laquelle les Etats contractants doivent pouvoir entièrement régler la question dans le cadre de leur marge d’appréciation. La marge d’appréciation ne saurait être aussi large. S’il appartient à l’Etat contractant de déterminer, notamment, les conditions que doit remplir une personne transsexuelle qui revendique la reconnaissance juridique de sa nouvelle identité sexuelle pour établir que sa conversion sexuelle a bien été opérée et les formalités applicables à un futur mariage (par exemple, les informations à fournir aux futurs époux), la Cour ne voit aucune raison justifiant que les transsexuels soient privés en toutes circonstances du droit de se marier. Elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 12.
La Cour refuse cependant de se livrer à une interprétation évolutive de la Convention « en dégageant un droit qui n’y est pas au départ » : elle considère de ce fait, dans sa décision Johnston c. Irlande, du 18 décembre 1986, que le droit au mariage ne vise que la formation des relations conjugales et non leur dissolution. L’article 12 ne comporte donc pas le droit au divorce.
L’article 12 ne contient pas de dispositions ayant trait à l’égalité des droits entre époux contrairement à l’article 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et l’article 16 de la déclaration universelle des droits de l’homme. C’est l’article 5 du Protocole 7 de la Convention européenne qui reconnaît l’égalité des droits entre époux durant le mariage et lors de sa dissolution, mais aussi dans les relations avec les enfants. L’Etat a, en la matière, l’obligation positive d’offrir un cadre juridique satisfaisant garantissant ces droits.
II. Le droit au respect de la vie familiale :
Le respect de la vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme présuppose l’existence d’une famille. La Cour considère, dans l’affaire Fretté c. France, du 26 février 2002, que le seul désir de fonder une famille, notamment par la voie de l’adoption, n’est pas protégé par l’article 8 de la CEDH au titre de la vie familiale.
Ø FRETTE c. France, 26 février 2002 : la potentialité de paternité adoptive n’est pas protégée
Faits et procédure : Philippe Fretté, homosexuel et célibataire, se vit rejeter sa demande d’agrément préalable en vue d’adopter un enfant par la direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé du département de Paris, le 3 mai 1993. Le recours gracieux que le requérant forma, fut rejeté. La décision de refus indiquait que les « choix de vie » du requérant ne semblaient pas de nature à présenter les garanties suffisantes quant aux conditions d’accueil d’un enfant sur les plans familial, éducatif et psychologique.
Par jugement du 25 janvier 1995, le tribunal administratif de Paris annula les décisions lui refusant l’agrément, relevant qu’aucune pièce du dossier ne permettait d’établir ni même n’autorisait à alléguer « que le mode de vie de M. Frette traduirait un manque de rigueur morale, une instabilité affective, la possibilité de le voir détourner l’adoption de ses fins, ou tout autre comportement de nature à faire considérer son projet comme dangereux pour tout enfant adopté ».
Sur recours du département de Paris, le Conseil d’Etat annula le jugement et, statuant sur le fond, rejeta la demande d’agrément du requérant, estimant que le requérant, « eu égard à ses conditions de vie et malgré les qualités humaines et éducatives certaines, ne présentait pas des garanties suffisantes sur les plans familial, éducatif et psychologique pour accueillir un enfant adopté ».
Le requérant se plaint de ce que la décision rejetant sa demande d’agrément en vue d’une adoption s’analyse en une ingérence arbitraire dans sa vie privée et familiale car elle se fonderait exclusivement sur un a priori défavorable envers son orientation sexuelle. Il invoque à cet égard l’article 14, combiné avec l’article 8.
Problème de droit : L’impossibilité pour un homosexuel de pouvoir adopter un enfant viole-t-il son droit à la vie familiale ?
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour constate d’abord que les décisions de rejet de la demande d’agrément poursuivaient un but légitime : protéger la santé et les droits de l’enfant.
La Cour a dû, ensuite, rechercher si le traitement différencié se trouvait justifié. Le droit de jouir des droits garantis par la Convention sans être soumis à discrimination est transgressé lorsque, sans justification objective et raisonnable, les Etats n’appliquent pas un traitement différent à des personnes dont les situations ont sensiblement différentes.
La Cour a rappelé que les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement juridique. Dans une affaire comme celle de l’espèce où les questions délicates soulevées touchent à des domaines où il n’y a guère de communauté de vues entre les Etats membres du Conseil de l’Europe et où, de manière générale, le droit paraît traverser une phase de transition, il faut laisser une large marge d’appréciation aux autorités de chaque Etat, qui sont en prise directe et permanente avec les forces vitales de leur pays et donc en principe mieux placées qu’une juridiction internationale pour évaluer les sensibilités et le contexte locaux.
Dans la présente affaire où sont en cause les intérêts concurrents du requérant et des enfants pouvant être adoptés, force est de constater que la communauté scientifique - et plus particulièrement les spécialistes de l’enfance, les psychiatres et les psychologues - est divisée sur les conséquences éventuelles de l’accueil d’un enfant par un ou des parents homosexuels, compte tenu notamment du nombre restreint d’études scientifiques réalisées sur la question à ce jour. S’ajoute à cela les profondes divergences des opinions publiques nationales et internationales, sans compter le constat de l’insuffisance du nombre d’enfants adoptables par rapports aux demandes. Dans ces conditions, les autorités nationales, ont légitimement et raisonnablement pu considérer que le droit de pouvoir adopter dont le requérant se prévalait selon l’article 343-1 du code civil trouvait sa limite dans l’intérêt des enfants susceptibles d’être adoptés, nonobstant les aspirations légitimes du requérant et sans que soit remis en cause ses choix personnels. La Cour conclut donc à la non violation de l’article 14 combiné à l’article 8.
Le seul désir de fonder une famille n’est donc pas protégé par l’article 8 au titre de la vie familiale.
Pour une évolution de cette question écoutez l’exposé de vos camarades relativement à l’affaire E.B. c. France
A. La notion de famille :
La Cour a une conception ouverte et tolérante de la famille. La jurisprudence européenne a dessiné deux « modèles » contemporains de « vie familiale ».
1°) C’est un lien de parenté auquel s’ajoute une relation effective.
v La nature du lien de parenté est apprécié avec souplesse. La famille ne se borne pas aux seules relations fondées sur le mariage : elle inclut la famille « naturelle » (ainsi en va-t-il de la relation entre une mère célibataire et sa fille naturelle, affaire Marckx c. Belgique, du 13 juin 1979), ou adultérine (affaire Johnston c. Irlande, du 18 décembre 1986). Par ailleurs, le lien de parenté s’étend aux rapports entre proches parents et comprend les rapports entre grands-parents et petits-enfants, voire entre oncle et neveu. Cependant le seul lien de parenté ne suffit pas à ce qu’il y ait « une vie familiale », au sens de l’article 8 : il faut aussi un lien de fait constitutif d’une vie familiale effective.
v C’est l’effectivité du lien unissant les parents qui est déterminant. En principe, la cohabitation est une condition décisive, mais pas nécessaire, pour établir l’effectivité du lien familial. La Cour européenne admet également l’hypothèse de l’effectivité du lien en l’absence de cohabitation. Ainsi, un divorce ou la fin d’une vie commune ne met pas fin en soi à une vie familiale. De même, le défaut de vie commune entre les parents au moment de la naissance de l’enfant ne fait pas obstacle à l’établissement du lien familial, à partir du moment où il a existé, à un moment donné une « vie familiale » entre les parents et l’enfant. La Cour a fait preuve de beaucoup de souplesse dans son arrêt Keegan c. Irlande, du 26 mai 1994.
En voici un résumé :
Ø Keegan c. Royaume-Uni, 26 mai 1994 : l’enfant naturel et son père
Faits et procédure : M. Keegan et son amie, Mlle V., se rencontrèrent en 1986. Ils vécurent ensemble de février 1987 à février 1988. Aux environs de Noël 1987, ils décidèrent d'avoir un enfant, et se fiancèrent le 14 février 1988. Le 22 février 1988, la grossesse de Mlle V. fut confirmée. Peu après, la relation entre V. et le requérant se brisa et ils cessèrent de cohabiter. Le 29 septembre 1988, V. donna naissance à une fille, S., dont M. Keegan était le père. Il rendit visite à V. à une maternité privée et y vit le bébé alors âgé d'un jour. Deux semaines plus tard, il se rendit au domicile des parents de V., mais on ne lui permit de voir ni celle-ci ni l'enfant. Alors qu'elle était enceinte, V. avait pris des dispositions afin de voir adopter son enfant et le 17 novembre 1988 elle le fit placer par un service d'adoption agréé chez des candidats à l'adoption. Elle en informa le requérant par une lettre du 22 novembre 1988.
Le requérant n’avait ni le droit d’attaquer devant le Conseil d’adoption, ou les tribunaux, le placement de son enfant en vue de l’adoption, ni la qualité pour intervenir dans la procédure d’adoption de manière générale, selon le droit irlandais. Par conséquent, M. Keegan a saisi la juridiction européenne au motif d’une violation de l’article 8 de la CEDH.
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour rappelle que la notion de « famille » visée par l’article 8 ne se borne pas aux seules relations fondées sur le mariage et peut englober d'autres liens « familiaux » de facto lorsque les parties cohabitent en dehors du mariage. Un enfant issu d'une telle relation s'insère de plein droit dans cette cellule « familiale » dès sa naissance et par le fait même de celle-ci. Il existe donc entre l'enfant et ses parents un lien constitutif d'une vie familiale même si à l'époque de sa naissance, les parents ne vivaient plus ensemble ou si leurs relations avaient alors pris fin.
En l'espèce, la relation entre M. Keegan et la mère de l'enfant dura deux ans, dont un pendant lequel ils cohabitèrent. En outre, la conception de leur enfant résultait d'une décision délibérée et ils avaient aussi projeté de se marier. A l'époque, leur relation se plaçait donc sous le sceau de la vie familiale aux fins de l'article 8. Le fait qu'elle se brisa par la suite ne modifie pas davantage cette conclusion qu'elle ne le ferait pour un couple légalement marié et dans une situation comparable. A partir de la naissance de l'enfant, il y a eu en conséquence entre elle et le requérant un lien constitutif d'une vie familiale.
2°)En l’absence de lien de parenté, c’est l’effectivité de la relation qui compte.
Dans son arrêt X, Y et Z c. Royaume-Uni, du 22 avril 1997, la Cour a reconnu qu’il existait un lien constitutif d’une vie familiale, en dehors de tout lien de parenté. Le juge européen qualifie de « liens familiaux de facto » les liens unissant un transsexuel né de sexe féminin, sa compagne et l’enfant de celle-ci née d’une insémination artificielle par tiers donneur. Elle justifie sa position par l’effectivité de leurs relations et par les apparences (X menait une vie sociale d’homme, assumait aux yeux de tous le rôle de partenaire masculin et se comportait à tous égards comme le père de Z). Cependant, la Cour ne fait pas peser sur l’Etat une obligation positive, au titre de l’article 8, de reconnaître officiellement comme père de l’enfant une personne qui n’en est pas le père biologique, parce qu’il n’existe pas de norme européenne commune en matière d’octroi des droits parentaux aux transsexuels. Par conséquent la reconnaissance d’une vie familiale entre un transsexuel et l’enfant de sa compagne n’a pas été suivie d’effets. On peut cependant présager une évolution en la matière du fait de la jurisprudence européenne plus tolérante concernant les transsexuels, initiée par l’affaire C. Goodwin (précitée). En revanche, la reconnaissance d’une vie familiale ne bénéficie pas aux homosexuels.
Une fois établie la vie familiale, le droit au respect de celle-ci fait peser sur l’Etat l’obligation d’agir de manière à permettre aux intéressés de mener une vie familiale normale et de développer des relations effectives. Il s’agit d’une obligation de moyens. Ce droit au respect de la vie familiale a été développé par la jurisprudence dans trois directions : les droits de l’enfant naturel et adultérin, les rapports entre parents et enfant et enfin l’unité de la vie familiale.
B. Les droits de l’enfant naturel ou adultérin :
La protection de la vie familiale suppose l’établissement des relations familiales par une reconnaissance juridique de celles-ci. L’enfant naturel et l’enfant adultérin ont fait l’objet d’une jurisprudence établissant à leur égard un véritable statut qui faisait défaut dans la CEDH. La Cour a consacré l’égalité entre les enfants quelle que soit la nature de leur filiation, par sa décision Mazurek c. France, du 1er février 2000.
Deux principes ont été énoncés par la Cour : l’égalité de la filiation naturelle et légitime et l’égalité dans les droits patrimoniaux de l’enfant naturel et de l’enfant légitime.
L’égalité dans la filiation naturelle et légitime consacre l’adage mater semper certa est, selon lequel l’établissement de la filiation découle automatiquement du lien biologique. Ce droit doit bénéficier à tous les enfants qu’ils soient légitimes ou naturels.
En consacrant l’égalité des droits patrimoniaux des enfants naturels et légitimes, la Cour a fait entrer les successions et les libéralités dans le domaine de la « vie familiale ». La Cour a ainsi pris en compte la dimension socio-économique du droit au respect de la vie familiale. Ce principe implique la reconnaissance des droits successoraux des enfants naturels et adultérins, dans la succession de leurs proches parents (père et mère, ainsi que leurs grands-parents). Ce principe exige également l’absence de réduction de leur part successorale en raison de la nature de leur lien de filiation. La Cour européenne a ainsi jugé, dans l’affaire Mazurek c. France (précitée) que l’article 760 du c. civ., qui prévoyait une réduction de la part successorale de l’enfant adultérin en concurrence avec un enfant légitime issu du mariage, était incompatible avec la CEDH parce que constitutif d’une discrimination dans l’exercice du droit de propriété et implicitement du droit au respect de la vie privée et familiale.
C. Les rapports entre parents et enfants :
L’effectivité de la vie familiale suppose que les rapports entre parents et enfants, base de la vie familiale, soient protégés. La Cour considère en effet que « pour un enfant et son parent être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale ».
L’Etat a l’obligation positive de prendre les mesures propres à réunir un parent à son enfant, sous réserve de la prise en compte des intérêts supérieurs de l’enfant. La Cour tente de réaliser un équilibre entre les nécessités de la protection de l’enfant et le respect des droits des parents.
Parents et enfants peuvent être séparés pour deux motifs principaux : en cas de placement de l’enfant, et en cas de séparation des parents.
1. En cas de placement de l’enfant :
La Cour intervient à l’occasion de la prise de la décision de placement et à propos des modalités d’exécution de la mesure de placement.
a. La décision de placement de l’enfant :
La Cour exerce un contrôle minimum sur le caractère nécessaire de la décision de placement : les Etats ont, en la matière, une large marge d’appréciation. Néanmoins cette décision doit répondre à des motifs pertinents et suffisants justifiés par la considération de l’intérêt supérieur de l’enfant. Par exemple, le placement d’un nouveau né sans avertissement des parents, dès la naissance constitue une « ingérence extrême dans la vie familiale », ne pouvant être justifiée que par des « raisons extraordinairement impérieuses » (affaire K et T c. Finlande, du 12 juillet 2001). L’Etat a l’obligation positive de rechercher s’il n’y a pas d’autres mesures moins radicales que le placement de l’enfant.
En voici un résumé :
Ø K. & T. c. Finlande, 12 juillet 2001 : placement d’un nouveau né
Faits et procédure : K. a trois enfants : une fille, P., avec X , née en 1986, un fils avec V., prénommé M., né en 1988, et J, dont le père est T, née le 18 juin 1993.
K avait fait l’objet de plusieurs hospitalisations de son plein gré pour problèmes psychiatriques (de mars à mai 1989, d’août à novembre 1989, de décembre à mars 1990, et pendant une semaine en 1990), et internements (du 22 avril au 7 mai 1992, du 13 mai au 10 juin 1992, du 11 au 17 janvier 1993, puis du 15 mai au 10 juin 1992, et du 24 mars au 5 mai 1993, sous contrainte) : d’après un rapport médical, elle était paranoïaque et psychotique.
K et T cohabitèrent d’abord de l’été 1991 à juillet 1993. En 1991, la fille et le fils de K vivaient avec eux. De 1991 à 1993, K. et X furent en litige au sujet de la garde de leur fille et du droit de visite la concernant : la garde de P. fut confiée à son père. Le 11 mai 1993 – K. attendait alors un autre enfant – le tribunal de district limita encore le droit pour K. de voir P., sa fille, au motif que le développement mental de l’enfant se trouverait compromis si les rencontres entre elle et sa mère se poursuivaient sans surveillance.
Le 3 mai 1993, une assistante sociale décida au nom du conseil de protection sociale de placer M. dans un foyer pour enfants pendant trois mois, car M. manifestait des troubles du comportements sérieux, avec le consentement des parents. Il fallait y voir une mesure de soutien à court terme au titre de la loi de 1983. Cependant, lors d’une visite de K et T à M., ce dernier changea brusquement de comportement et devint brutal.
Le 11 juin 1993, l’assistante sociale qui avait décidé de confier M. à un foyer pour enfants écrivit au centre hospitalier universitaire et à l’hôpital local pour leur faire part de ses vives préoccupations quant à la santé de K. et du bébé que celle-ci attendait. Le 18 juin 1993, K. fut emmenée dans un hôpital de quartier où, le même jour, elle donna naissance à J.
J. fit immédiatement l’objet d’une prise en charge d’urgence en application de l’article 18 de la loi de 1983. Après la naissance de l’enfant, deux travailleurs sociaux de l’hôpital informèrent K. et T. de cette décision. Le directeur social, qui avait pris la décision au nom du conseil de protection sociale, releva que K. avait témoigné d’instabilité mentale à la fin de sa grossesse. Selon lui, la santé du bébé se trouverait en péril puisque K. avait découvert que l’on envisageait de confier son bébé à l’autorité publique. Le directeur social considéra enfin que le père du bébé, T., ne pouvait assurer son développement et sa sécurité. Les requérants ne furent pas entendus avant la décision. Le 24 juin 1993, ils reçurent eux aussi notification écrite de la décision de prendre la nouveau-née en charge. Cette notification fut également envoyée à K. par télécopieur. Le 21 juin 1993, le directeur social ordonna aussi la prise en charge d’urgence de M. ; il invoquait pour l’essentiel les mêmes raisons que dans sa décision du 18 juin 1993 concernant J. Les requérants ne formèrent pas appel contre les décisions de prise en charge d’urgence.
M et J firent ensuite l’objet de mesures de prise en charge ordinaire, pour des motifs similaires à la prise en charge d’urgence. K. ne fut autorisée à voir les enfants que si elle était accompagnée de son infirmière personnelle. Avant les décisions du 15 juillet 1993, les requérants avaient été entendus et ils avaient exprimé leur opposition aux décisions de placement envisagées.
K. fut à nouveau internée le 20 juillet 1993 de son plein gré au pavillon ouvert de l’hôpital de H. pour psychose. Elle quitta toutefois l’hôpital le lendemain. Le 26 juillet 1993, on la plaça en observation afin de déterminer s’il y avait lieu de l’interner sous contrainte dans un service psychiatrique. Ce qui fut fait le 30 juillet 1993. D’après son dossier, ses proches étaient préoccupés par son état et avaient pris contact avec l’hôpital afin qu’elle y fût admise. Ils signalèrent que K. avait disparu de son domicile, où elle s’était comportée de manière agitée et agressive. Son internement dura jusqu’au 27 octobre 1993, soit trois mois.
Le 12 août 1993, le conseil de protection sociale saisit le tribunal administratif de comté des deux décisions de prise en charge par l’autorité publique pour qu’il les entérine, les requérants s’y étant opposés. Le tribunal confirma la décision de prise en charge relative à J. et à M. le 9 septembre 1993. La Cour administrative suprême saisie du recours contre la confirmation de la décision de prise en charge de M. par l’autorité publique, confirma la décision du tribunal administratif.
Devant la chambre initiale comme devant la Grande Chambre, les requérants ont allégué que la prise en charge de M. et J. par l’autorité publique avait méconnu leur droit au respect de leur vie familiale tel que le garantit l’article 8 de la Convention.
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour relève tout d’abord que la question de l’existence ou de l’absence d’une « vie familiale » est d’abord une question de fait dépendant de la réalité pratique de liens personnels étroits. En l’occurrence, les requérants vivaient l’un et l’autre avec M. jusqu’à ce qu’il soit placé de leur plein gré dans un foyer pour enfants puis pris en charge par l’autorité publique. Avant la naissance de J., les requérants et M. formaient une famille dans la claire intention de poursuivre ensemble leur vie familiale. Ils avaient cette même intention avec J., leur bébé nouveau-né dont T. s’est effectivement occupé pendant quelque temps après la naissance et avant de s’en voir légalement confier la tutelle. Dans ces conditions, force est à la Cour de conclure qu’au moment où les autorités sont intervenues, il existait bien entre les requérants une vie familiale, au sens de l’article 8 § 1 de la Convention, qui englobait les deux enfants, M. et J.
Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale et des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l’article 8 de la Convention. Les mesures en cause, cela n’est pas contesté, constituaient à l’évidence des ingérences dans le droit des requérants au respect de leur vie familiale tel que le garantit le paragraphe 1 de l’article 8 de la Convention. Pareille ingérence méconnaît cet article à moins qu’elle ne soit « prévue par la loi », ne vise un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 de l’article 8 et ne puisse passer pour « nécessaire dans une société démocratique ». La Cour a donc dû déterminer si les ingérences des autorités finlandaises étaient justifiées. La Cour a relevé que les ingérences étaient prévues par la Loi et qu’elles poursuivaient un but légitime : le droit finlandais tendait assurément à protéger « la santé ou la morale » et « les droits et libertés » des enfants.
Sur la question de savoir si les ingérences étaient « nécessaires dans une société démocratique », la Cour considère que la prise en charge d’un nouveau-né par l’autorité publique immédiatement après sa naissance, à la suite d’une procédure à laquelle ni la mère ni son compagnon n’ont été mêlés, est une ingérence extrême dans la vie familiale que seules des raisons extraordinairement impérieuses peuvent justifier. En l’espèce, la Cour n’avait pas la conviction que l’existence de pareilles raisons ait été démontrée en ce qui concerne J. La Cour a considéré que lorsqu’elles envisagèrent une mesure aussi radicale pour la mère, les autorités internes compétentes se devaient de rechercher s’il n’était pas possible de recourir à une ingérence moins extrême dans la vie familiale, à un moment aussi décisif de la vie des parents et de l’enfant. Par conséquent, le recours à la prise en charge d’urgence à l’égard de J. et les méthodes employées pour la mettre en œuvre étaient disproportionnés dans les effets qu’ils ont eus sur les perspectives qu’avaient les requérants de jouir d’une vie familiale avec leur nouveau-née dès sa naissance. Dès lors, s’il pouvait y avoir une « nécessité » d’user de mesures de précaution pour protéger l’enfant J., l’ingérence dans la vie familiale des requérants qu’a entraînée la décision de prendre l’enfant en charge d’urgence ne saurait passer pour « nécessaire » dans une société démocratique. L’article 8 a donc été violé.
La Cour estime en revanche que des considérations différentes entrent en jeu en ce qui concerne l’autre enfant, M. La prise en charge d’urgence qui fut décidée à son sujet, même si elle est intervenue immédiatement après la naissance de J., n’était pas susceptible d’avoir la même incidence sur la vie familiale des requérants que celle décidée à l’égard de J., sa demi-sœur. Il était déjà physiquement séparé de sa famille puisque les requérants l’avaient confié de leur plein gré au foyer pour enfants, la décision était nécessaire car il aurait pu être retiré à tout moment du cadre de vie rassurant que représentait ce foyer, et la décision portait sur une durée limitée. Les autorités finlandaises n’ont par conséquent pas violé l’article 8 en ce qui concerne la décision de prise en charge d’urgence de M.
Par ailleurs, la Cour a relevé que la mesure d’assistance éducative devait être vue en principe comme une mesure temporaire, qui sous réserve de l’intérêt supérieur de l’enfant, devait être levée dès que les circonstances le permettaient, le but ultime étant de favoriser la réunion de la famille. Les autorités finlandaises auraient dû donc mettre fin à la mesure de placement de l’enfant à l’assistance lorsque la situation qui avait conduit à la décision de placement s’était améliorée. La Cour conclut donc à la violation de l’article 8 pour ce motif.
La Cour recherche l’équilibre entre l’intérêt supérieur de l’enfant et l’intérêt des parents. Ce dernier passe par le fait que le processus décisionnel débouchant sur la mesure de placement doit être équitable et ménager aux parents un rôle respectant leurs intérêts (affaire W c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987). Ainsi le contrôle de la Cour porte non seulement sur les mesures substantielles, mais aussi sur le respect des « exigences procédurales » découlant implicitement de l’article 8. C’est l’arrêt Mac Michael c. Royaume-Uni, du 24 février 1995, qui consacre expressément l’article 8 comme fondement de la protection des droits procéduraux des parents. Ainsi, le caractère inéquitable d’une procédure d’assistance éducative, déjà sanctionné sur le terrain de l’article 6, peut emporter violation de l’article 8. Il y a cependant actuellement un tendance à l’absorption de l’article 6 par l’article 8 en matière de garanties procédurales. La protection procédurale des parents n’est cependant pas absolue : une décision de prise en charge d’urgence de l’enfant peut être prise pour protéger l’enfant sans qu’il soit possible d’associer les parents au processus décisionnel. Il est nécessaire dans ce cas qu’il ait été procédé à une évaluation soigneuse de l’impact de cette décision sur les parents et l’enfant, et à la recherche de solutions alternatives (affaire K et T c. Finlande, précitée).
b. Les modalités d’exécution de la mesure de placement :
Les modalités d’exécution de la mesure de placement touchent aux restrictions ou interdictions de contact entre parents et enfants lors du placement de ce dernier. La Cour exerce ici un contrôle plus rigoureux. La Cour a jugé, dans l’affaire Scozzari et Giunta c. Italie, du 13 juillet 2000, que l’Etat contrevenait à l’article 8 lorsqu’il prenait des mesures telles que la suspension de l’autorité parentale, l’interdiction de tout contact entre l’enfant et ses parents, en cela que ces mesures compromettent les chances de regrouper la famille et comportent un risque réel de séparation irréversible entre le parent et son enfant. La mesure d’assistance éducative doit être considérée en principe comme une mesure temporaire qui doit être levée dès que les circonstances le permettent, par exemple, lorsque la situation s’est améliorée (affaire K et T c. Finlande, précitée). Le but ultime est de favoriser la réunion de la famille.
2. En cas de séparation des parents :
La jurisprudence pose le principe du maintien des relations personnelles de l’enfant avec chacun de ses parents séparés.
Globalement, chaque parent qui ne vit pas avec son enfant a le droit d’entretenir avec lui des relations, comme un droit de visite par exemple, sauf si la protection des intérêts de l’enfant s’y oppose. Ce droit bénéficie tant aux pères légitimes qu’aux pères naturels.
En matière d’enlèvement international d’enfants, voyez l’affaire Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, du 25 janvier 2000, ci-dessous.
Ø Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, 25 janvier 2000 : la famille légitime monoparentale
Faits et procédure : Suite au divorce de Mme Ignaccolo-Zenide, une décision de justice définitive rendue en France fixa chez elle la résidence de ses deux enfants issues du mariage. L'ex-époux, ressortissant français et roumain habitant aux États-Unis, accueillit les enfants pendant l’été 1990, mais à l’issue des vacances d’été refusa de les rendre à la requérante. Après avoir changé de domicile à plusieurs reprises pour fuir la justice américaine, saisie en application de la Convention de la Haye sur l’enlèvement international des enfants du 25 octobre 1980, l’ex-époux réussit à s’enfuir en Roumanie en mars 1994, où il vit depuis cette date. Par un jugement en référé du 14 décembre 1994, le tribunal de première instance de Bucarest ordonna le retour des enfants auprès de la requérante. Toutefois, les efforts de la requérante d’obtenir l’exécution du jugement du 14 décembre 1994 se soldèrent pas des échecs. Depuis 1990, la requérante vit une seule fois ses enfants, lors d’une entrevue organisée par les autorités roumaines le 29 janvier 1997.
La requérante se plaint d’une atteinte à son droit au respect de sa vie familiale, prévu à l’article 8 de la Convention, du fait que les autorités roumaines de n’ont pas procédé à l’exécution du jugement en référé du 14 décembre 1994 du tribunal de première instance de Bucarest.
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour rappelle que si l’article 8 de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il engendre de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. L’article 8 implique le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir à son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre. Cette obligation n’est pas absolue, car la réunion d’un parent à ses enfants vivant depuis un certain temps avec l’autre parent peut requérir parfois des préparatifs. La nature et l’étendue de ceux-ci dépendent des circonstances de chaque espèce et l’obligation des autorités de recourir à la coercition en la matière est limitée. En effet, elles doivent tenir compte des intérêts et des droits et libertés des personnes concernées, et notamment des intérêts supérieurs de l’enfant et des droits que lui reconnaît l’article 8 de la Convention. Dans l’hypothèse où des contacts avec les parents risquent de menacer ces intérêts ou de porter atteinte à ces droits, il revient aux autorités nationales de veiller à un juste équilibre entre eux.
La Cour estime que les obligations positives que l’article 8 de la Convention fait peser sur les Etats contractants en matière de réunion d’un parent à ses enfants doivent s’interpréter à la lumière de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international des enfants. Il en va d’autant plus ainsi en l’espèce que l’Etat défendeur est également partie à cet instrument.
Le point décisif en l’espèce consiste donc à savoir si les autorités nationales ont pris, pour faciliter l’exécution de l’ordonnance du 14 décembre 1994, toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles.
Si les premières tentatives d’exécution de l’ordonnance en question ont eu lieu rapidement, en décembre 1994, la Cour relève qu’à partir de janvier 1995, les huissiers ne se sont déplacés qu’à deux reprises en vue de l’exécution, en mai et en décembre 1995. Elle relève aussi une inactivité totale des autorités entre décembre 1995 et janvier 1997, ainsi que l’absence d’une explication satisfaisante à ce sujet de la part du Gouvernement.
En outre, aucune autre mesure n’a été prise par les autorités pour créer les conditions nécessaires à l’exécution de l’ordonnance litigieuse, qu’il s’agisse de mesures coercitives à l’encontre de D. Z. ou de mesures préparatoires en vue du retour des enfants, en associant, par exemple, des pédopsychiatres ou des psychologues. Aucun travailleur social ou psychologue n’a été associé à la préparation de la rencontre du 29 janvier 1997. La Cour note enfin que les autorités n’ont pas adopté les mesures propres à assurer le retour des enfants auprès de la requérante énumérées à l’article 7 de la Convention de La Haye.
La Cour juge que les autorités roumaines ont omis de déployer des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit de la requérante au retour de ses enfants, méconnaissant ainsi son droit au respect de sa vie familiale garanti par l’article 8. La Cour conclut donc à la violation de l’article 8.
La Cour veille également à l’égalité entre père et mère en matière de droits parentaux après la séparation. Elle a ainsi jugé, dans l’affaire Hoffman c. Autriche, du 23 juin 1993, que le retrait de l’autorité parentale de la mère, témoin de Jéhovah, motivé par l’intérêt de l’enfant, constituait une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 (discrimination).
Ø HOFFMAN c. Autriche, 23 juin 1993
Faits et procédure : M. S. et Mme Hoffmann eurent deux enfants de leur mariage. La requérante devint témoin de Jéhovah. En 1983, elle intenta une action en divorce contre son mari. Emmenant les enfants, elle le quitta, à un moment où la procédure demeurait pendante. Le divorce fut prononcé en juin 1986. Après leur séparation, tant la requérante que M. S. saisirent le tribunal de district afin de se voir conférer l'autorité parentale sur les enfants.
M. S. alléguait que ses enfants courraient le risque d'être élevés d'une manière qui leur porterait tort, notamment en cela que la confession à laquelle appartenait Mme Hoffman conduirait à l'isolement social des enfants, et représentait une menace pour leur vie et leur santé.
Se référant notamment à l'avis d'un expert en psychologie infantile, le bureau de la jeunesse de l'administration du district d'Innsbruck se déclara favorable à l'octroi de l'autorité parentale à Mme Hoffman. Le tribunal de district débouta M. S. et octroya l’autorité parentale à la requérante. M. S. interjeta appel devant le tribunal régional qui le débouta de sa demande. M. S. saisit la Cour suprême d'un pourvoi en cassation, qui infirma la décision du tribunal régional et conféra l'autorité parentale à M. S., en allant dans son sens plutôt que dans celui de la requérante.
Mme Hoffman saisit la juridiction européenne en alléguant une violation de l’article 8 et de l’article 14 combiné avec l’article 8. Elle reprochait à la Cour suprême d'Autriche d'avoir attribué à son ex-époux, plutôt qu'à elle-même, l'autorité parentale sur leurs enfants Martin et Sandra, en raison de son appartenance à la communauté religieuse des témoins de Jéhovah.
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour rappelle que dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention, l'article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables.
La Cour constate que pour conférer l'autorité parentale à la mère plutôt qu'au père, le tribunal de district et le tribunal régional eurent à se prononcer sur le point de savoir si la première était capable de se charger de la garde et de l'éducation des enfants. A cet effet, ils tinrent compte des conséquences pratiques des convictions religieuses des témoins de Jéhovah (rejet des jours de fête tels que Noël et Pâques, opposition aux transfusions sanguines et, plus largement, situation de minorité sociale vivant selon ses propres règles distinctives). Ils soulignèrent que Mme Hoffmann s'était déclarée prête à laisser les enfants passer les jours de fête avec leur père, demeuré catholique, et à autoriser l'administration de transfusions sanguines à leur profit, dans la mesure exigée par la loi; ils se fondèrent en outre sur la relation psychologique existant entre les enfants, très jeunes à l'époque, et leur mère, ainsi que sur l'aptitude générale de celle-ci à s'occuper d'eux. Pour apprécier l'intérêt des enfants, la Cour suprême prit en considération les incidences que pouvait avoir sur leur vie sociale le fait de se trouver associés à une minorité religieuse particulière et les dangers que la requérante, par son refus de toute transfusion sanguine, créait non seulement pour elle-même mais aussi - sauf ordonnance judiciaire - pour Martin et Sandra.
La Cour relève qu’il y a eu différence de traitement en l’espèce et qu’elle reposait sur la religion. Pareille différence de traitement est discriminatoire en l'absence de « justification objective et raisonnable », c'est-à-dire si elle ne repose pas sur un « but légitime » et s'il n'y a pas de « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ».
La Cour suprême poursuivait un but légitime : protéger la santé et les droits des enfants. Cependant, dans la mesure où la Cour suprême d'Autriche apprécia les faits autrement que les juridictions inférieures, qui dans leurs motifs s'appuyaient en outre sur des expertises psychologiques, on ne saurait tolérer une distinction dictée pour l'essentiel par des considérations de religion.
Dès lors, la Cour ne peut conclure à l'existence d'un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé; partant, il y a eu violation de l'article 8 combiné avec l'article 14.
3. L’unité de vie familiale pour les étrangers :
Par le mécanisme de la protection par ricochet, la Cour européenne a affirmé, dans sa décision Abdulaziz, Cabales et Balkandi c. Royaume-Uni, du 28 mai 1985, le principe qu’une décision d’éloignement forcé d’un étranger d’un pays où vivent des membres proches de sa famille peut porter atteinte à son droit à la vie familiale et constituer une violation de l’article 8 de la CEDH.
La Cour considère, dans l’affaire Cruz Varas c. Suède du 20 mars 1991, que l’article 8 ne garantit cependant que l’exercice du droit au respect d’une vie familiale « existante », et ne comporte pas le droit de choisir l’implantation géographique de cette vie familiale : l’article 8 ne comporte pas pour l’Etat l’obligation de permettre le regroupement familial.
Dans le cadre des restrictions autorisées au droit au respect de la vie familiale (§2 de l’art. 8), ce droit de l’étranger connaît une limite importante : il s’efface devant les nécessités du contrôle de l’immigration et plus généralement de la protection de l’ordre public. La Cour a, sur cette base, longtemps traité dans un sens plus protecteur les « immigrés de deuxième génération » (ce sont des étrangers nés sur le territoire de l’Etat d’accueil, ou par extension, qui y sont entrés très jeunes) que les étrangers « ordinaires ».
Pour les étrangers de la « deuxième génération », la notion de vie familiale « existante » s’avérait fort protectrice. En effet, la Cour considère que la vie familiale effective se trouve sur le territoire de l’Etat partie à la Convention alors que le lien de nationalité ne correspond à aucune réalité concrète (affaire Moustaquim c. Belgique du 18 février 1991). Sa jurisprudence fortement protectrice, semblait garantir aux immigrés de la deuxième génération le droit quasi absolu de demeurer sur le territoire. La Cour a cependant nuancé sa jurisprudence en considérant que seule une infraction particulièrement grave (le proxénétisme aggravé, le trafic de drogue, le viol) peut justifier une mesure d’éloignement du territoire, lorsque l’effectivité de la vie familiale dans le pays d’accueil est établie (affaires Ezzoudhi c. France, du 13 février 2001).
Les étrangers « ordinaires » étaient traités plus durement que les autres parce que la Cour jugeait sévèrement, qu’en matière d’immigration, l’article 8 n’emportait pas d’obligation pour l’Etat de permettre le regroupement familial sur son territoire. La Cour a, par la suite, fait peser sur l’Etat l’obligation positive d’autoriser un enfant à résider avec ses parents afin de permettre aux intéressés de « maintenir et de développer » une vie familiale sur son territoire, sans pour autant consacrer un droit général des étrangers au regroupement familial. La Cour renonce, heureusement, à analyser la question du seul point de vue de l’immigration, et se livre à un véritable contrôle de proportionnalité. Par l’arrêt Boultif c. Suisse, du 2 août 2001, la Cour a enfin alignée la situation des étrangers « ordinaires » sur celle des étrangers de « deuxième génération ».
Voyez également les décisions ci-dessous :
Ø EL Boudjaïdi c. France, 26 septembre 1997.
Faits et procédure : M. El Boudjaïdi, de nationalité marocaine, est arrivé en France en 1974, à l’âge de 7 ans, avec sa mère et ses trois frères et sœurs afin de rejoindre son père. Il a habité en France où il a suivi une grande partie de sa scolarité et travaillé pendant plusieurs années, jusqu’au 26 août 1993, date à laquelle une interdiction définitive du territoire français a été mise en œuvre à son égard. Le 24 mars 1988, le tribunal correctionnel condamna M. El Boujaïdi à trois ans d'emprisonnement pour trafic de stupéfiants et prononça en outre l'interdiction du territoire, à titre définitif à l'encontre de M. El Boujaïdi. A la suite d'une tentative de vol, le requérant fut appréhendé et, le 6 décembre 1992, placé sous mandat de dépôt. Pour ce fait ainsi que pour avoir séjourné en France malgré l'interdiction définitive du territoire prononcée à son encontre, le tribunal correctionnel le condamna à un an de prison le 11 janvier 1993. Après deux requêtes de relèvement de l’interdiction du territoire infructueuses, le 22 juillet 1993, M. El Boujaïdi présenta une troisième requête similaire devant la cour d'appel de Lyon. A l'appui de son moyen fondé sur l'article 8 de la Convention, il invoquait des changements dans sa situation personnelle : son concubinage avec une Française, Mme M., et la paternité de l'enfant mis au monde le 6 juillet par celle-ci. Le 26 août 1993, la mesure d'interdiction du territoire fut exécutée. Selon M. El Boujaïdi, l'interdiction définitive du territoire français prononcée à son encontre porte atteinte à sa vie privée et familiale et viole l'article 8 de la Convention.
Réponse et raisonnement de la Cour : Il s'agit en premier lieu de déterminer si en France le requérant peut se prévaloir d'une « vie privée et familiale » au sens de l'article 8 § 1 et si la mesure litigieuse s'analyse en une ingérence dans celle-ci.
M. El Boujaïdi fait valoir qu'il est arrivé en France en 1974 à l'âge de sept ans, qu'il y a habité jusqu'au 26 août 1993 (date de l'exécution de l'interdiction du territoire) et que ses parents, ses trois sœurs et son frère y résident régulièrement. Il ajoute qu'il est le père d'un enfant né dans ce pays le 6 juillet 1993 ; il aurait rencontré la mère – française – de celui-ci en janvier 1992 puis vécu en concubinage avec elle. Ces faits, bien que postérieurs au prononcé de l'interdiction définitive du territoire, ne pourraient être ignorés.
La Commission a estimé que l'exécution de la mesure d'interdiction du territoire constituait une ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale.
Pour examiner la question de savoir si le requérant avait une vie privée et familiale au sens de l'article 8, la Cour s’est placée à l'époque à laquelle la mesure d'interdiction du territoire est devenue définitive. Il s'agit du début de l'année 1989 puisque le dernier arrêt relatif à la condamnation de l'intéressé est celui de la cour d'appel de Lyon du 12 janvier 1989. M. El Boujaïdi ne peut donc se prévaloir de sa relation avec Mme M. et de la paternité de l'enfant de celle-ci, l'avènement de ces faits étant nettement postérieur à cette date.
Cependant, la Cour n’a pas douté que l’exécution de la mesure litigieuse d’interdiction du territoire constituait bien une ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale. Elle s’est alors attachée à déterminer si l’interdiction en cause remplissait les conditions du §2 de l’article 8, c’est-à-dire déterminer si elle était « prévue par la loi », poursuivait un ou plusieurs des buts légitimes, et était « nécessaire », « dans une société démocratique », pour le ou les réaliser.
En l’espèce, il n'est pas contesté que l'interdiction définitive du territoire prononcée à l'encontre de M. El Boujaïdi se fondait sur l'article L. 630-1 du code de la santé publique : elle était donc prévue par la loi. Il n'est pas davantage controversé que l'ingérence en cause visait des fins pleinement compatibles avec la Convention : la « défense de l'ordre » et la « prévention des infractions pénales ». Il y avait donc là un but légitime.
En ce qui concerne le caractère « nécessaire », « dans une société démocratique », la Cour rappelle qu'il incombe aux Etats contractants d'assurer l'ordre public, en particulier dans l'exercice de leur droit de contrôler, en vertu d'un principe de droit international bien établi, l'entrée et le séjour des non-nationaux. A ce titre, ils ont la faculté d'expulser les délinquants parmi ceux-ci.
Toutefois, leurs décisions en la matière, dans la mesure où elles porteraient atteinte à un droit protégé par le paragraphe 1 de l'article 8, doivent se révéler nécessaires dans une société démocratique, c'est-à-dire justifiées par un besoin social impérieux et, notamment, proportionnées au but légitime poursuivi.
La Cour note que si M. El Boudjaidi affirme ne pas avoir de famille proche au Maroc, il ne prétend ni ignorer l’arabe ni ne jamais être retourné dans ce pays avant l’exécution de la mesure litigieuse d’interdiction du territoire. Il semble ainsi qu’il n’a jamais manifesté la volonté de devenir français.
Il avait en outre un passé pénal lorsque la Cour d’appel de Lyon le condamna pour usage et trafic de drogue à 6 ans de prison et à l’interdiction définitive du territoire français. Une fois remis en liberté et alors qu’il était en situation irrégulière en France, il persévéra dans la délinquance et commit une tentative de vol.
La gravité de l’infraction qui lui valut l’interdiction du territoire ainsi que le comportement ultérieur du délinquant pèsent lourd dans la balance. En conséquence, la Cour considère que la mesure d’interdiction définitive du territoire n’est pas disproportionnée au but légitime poursuivi.
Ø Affaire LUPSA c. ROUMANIE, 8 juin 2006
Faits et procédure : Dorjel Lupsa, ressortissant serbe âgé de 40 ans, réside actuellement à Belgrade. Il résida en Roumanie durant 14 ans, jusqu’à son expulsion en août 2003. En 1989, M. Lupsa entra et s’établit en Roumanie où il créa une société commerciale roumaine de torréfaction et commercialisation du café en 1993. Il vécut maritalement avec une ressortissante roumaine à partir de 1994 avec laquelle il eut un fils, aujourd’hui âgé de trois ans, qui possède la double nationalité roumaine et serbe. Le 6 août 2003, le requérant, qui se trouvait à l’étranger, entra en Roumanie, sans opposition de la police des frontières. Toutefois, le lendemain, des agents de la police des frontières se présentèrent à son domicile et le reconduisirent à la frontière.
L’avocate de M. Lupsa forma un recours contre la mesure d’éloignement. A l’audience de la cour d’appel de Bucarest le 18 août 2003, l’avocate reçut copie de l’ordonnance du 28 mai 2003 prise par le parquet, par laquelle, sur demande du Service roumain de renseignements et en vertu de l’ordonnance d’urgence no 194/2002 sur le régime des étrangers en Roumanie, M. Lupsa avait été déclaré « personne indésirable » et interdit de séjour en Roumanie pour une période de dix ans au motif qu’il existait « des informations suffisantes et sérieuses selon lesquelles il menait des activités de nature à mettre en danger la sécurité nationale ». La cour d’appel refusa de faire droit à la demande d’ajournement de l’affaire présentée par l’avocate du requérant et rejeta son recours.
Au cours des années 2003 et 2004, la compagne du requérant et leur fils se rendirent en Serbie-Monténégro à plusieurs reprises pour des séjours allant de quelques jours à plusieurs mois.
Le requérant alléguait notamment que l’expulsion et l’interdiction de séjour prononcées à son encontre ont emporté violation de l’article 8.
Raisonnement de la Cour : L’intégration du requérant dans la société roumaine et le caractère effectif de sa vie familiale étant incontestables, la Cour estime que son expulsion et l’interdiction du territoire roumain ont mis fin à cette intégration et engendré un bouleversement radical de sa vie privée et familiale, auquel les visites régulières de sa compagne et de leur enfant ne sauraient remédier. Dès lors, il y a eu ingérence dans la vie privée et familiale de M. Lupsa, ingérence qui était prévue par l’ordonnance d’urgence no 194/2002.
La Cour rappelle que toute personne qui fait l’objet d’une mesure basée sur des motifs de sécurité nationale ne doit pas être dépourvue de garanties contre l’arbitraire. Elle doit notamment avoir la possibilité de faire contrôler ladite mesure par un organe indépendant et impartial, habilité à se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinents, pour trancher sur la légalité de la mesure et sanctionner un éventuel abus des autorités.
En l’espèce, aucune poursuite n’a été engagée contre le requérant pour avoir participé à la commission d’une quelconque infraction en Roumanie ou dans un autre pays et les autorités n’ont fourni à l’intéressé aucune autre précision qu’un motif général. De surcroît, la Cour note qu’en violation du droit roumain l’ordonnance déclarant M. Lupsa indésirable ne lui a été communiquée qu’après son expulsion. La Cour attache également de l’importance au fait que la cour d’appel s’est bornée à un examen purement formel de l’ordonnance du parquet sans vérifier si le requérant présentait réellement un danger pour la sécurité nationale ou pour l’ordre public.
Le requérant n’ayant joui ni devant les autorités administratives ni devant la cour d’appel du degré minimal de protection contre l’arbitraire des autorités, la Cour conclut que l’ingérence dans sa vie privée n’était pas prévue par « une loi » répondant aux exigences de la Convention. Elle conclut dès lors à la violation de l’article 8.
En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour a alloué au requérant 15 000 euros (EUR) pour dommage matériel et moral, ainsi que 3 000 EUR pour frais et dépens.
Julia MARQUIS
Plan de la fiche :
LES TEXTES PROTECTEURS
SECTION 1 : LA PROTECTION DE LA VIE PRIVEE
I. Le droit à la vie privée personnelle
A. Le droit au secret de la vie privée
B. Le droit à la liberté de la vie sexuelle
II. Le droit à la vie privée sociale :
III. Le droit au développement personnel :
IV. Le droit de vivre dans un environnement sain :
SECTION 2 : LA PROTECTION DE LA VIE FAMILIALE
I. Le droit au mariage :
II. Le droit au respect de la vie familiale :
A. La notion de famille :
B. Les droits de l’enfant naturel ou adultérin :
C. Les rapports entre parents et enfants :
1. En cas de placement de l’enfant :
2. En cas de séparation des parents :
3. L’unité de vie familiale pour les étrangers :
Cas pratique :
Zaza ressortissante mexicaine, n’a pas beaucoup eu de chance dans sa vie : travaillant comme travesti dans les rues d’Acuna, elle a été la victime de nombreuses violences de la part du patron de la pègre locale, l’infâme Esteban Ramirez. Par une sombre nuit, alors que celui-ci vient la rançonner une fois de plus, elle commet l’irréparable : d’un coup de poignard, elle tue Esteban. Le sang lui glace les veines, elle se rappelle la cruauté des hommes de mains d’Esteban qui font subir « aux filles » les pires sévices, si celles-ci ne sont pas suffisamment dociles (l’une de ses amies a eu son visage lacéré au cuter pour avoir osé répondre à Esteban ; une autre, qui avait tenté de s’échapper, a été retrouvée morte aux portes de la ville). Sa vie est en danger. Paniquée, elle cherche à quitter le pays et à rejoindre son cousin Carlos, à Paris, où elle sera à l’abri de la clique d’Esteban.
Quelques mois plus tard, Zaza rencontre Marc, un jeune veuf qui a deux enfants en bas âge qu’elle affectionne particulièrement : c’est le coup de foudre. Elle se comporte comme une véritable mère pour les deux enfants de Marc : elle passe les chercher à l’école, organise des goûters pour leur anniversaire, leur fait réviser leurs leçons. Les enfants de Marc aiment profondément la nouvelle compagne de leur père, et un jour de printemps l’appellent spontanément « maman ». Zaza en est bouleversée. Elle décide d’adopter les enfants de Marc, et engage une procédure dans ce sens. Quelques temps plus tard, son visa expire, et elle se retrouve en situation irrégulière. Un arrêté d’expulsion est pris à son encontre, et elle doit être reconduite au Mexique. Zaza, en sus de sa profonde tristesse de ne pouvoir construire une famille, est de plus terriblement inquiète du sort qui l’attend au Mexique. En effet, si elle est expulsée vers son pays d’origine, une mort certaine l’y attend.
Ayant épuisé toutes les voies de recours françaises, elle vient vous voir, afin que vous la sortiez de cette inextricable situation. Selon, vous quels arguments peut-elle invoquer ?
III. Le droit au développement personnel :
IV. Le droit de vivre dans un environnement sain :
SECTION 2 : LA PROTECTION DE LA VIE FAMILIALE
I. Le droit au mariage :
II. Le droit au respect de la vie familiale :
A. La notion de famille :
B. Les droits de l’enfant naturel ou adultérin :
C. Les rapports entre parents et enfants :
1. En cas de placement de l’enfant :
2. En cas de séparation des parents :
3. L’unité de vie familiale pour les étrangers :
Cas pratique :
Zaza ressortissante mexicaine, n’a pas beaucoup eu de chance dans sa vie : travaillant comme travesti dans les rues d’Acuna, elle a été la victime de nombreuses violences de la part du patron de la pègre locale, l’infâme Esteban Ramirez. Par une sombre nuit, alors que celui-ci vient la rançonner une fois de plus, elle commet l’irréparable : d’un coup de poignard, elle tue Esteban. Le sang lui glace les veines, elle se rappelle la cruauté des hommes de mains d’Esteban qui font subir « aux filles » les pires sévices, si celles-ci ne sont pas suffisamment dociles (l’une de ses amies a eu son visage lacéré au cuter pour avoir osé répondre à Esteban ; une autre, qui avait tenté de s’échapper, a été retrouvée morte aux portes de la ville). Sa vie est en danger. Paniquée, elle cherche à quitter le pays et à rejoindre son cousin Carlos, à Paris, où elle sera à l’abri de la clique d’Esteban.
Quelques mois plus tard, Zaza rencontre Marc, un jeune veuf qui a deux enfants en bas âge qu’elle affectionne particulièrement : c’est le coup de foudre. Elle se comporte comme une véritable mère pour les deux enfants de Marc : elle passe les chercher à l’école, organise des goûters pour leur anniversaire, leur fait réviser leurs leçons. Les enfants de Marc aiment profondément la nouvelle compagne de leur père, et un jour de printemps l’appellent spontanément « maman ». Zaza en est bouleversée. Elle décide d’adopter les enfants de Marc, et engage une procédure dans ce sens. Quelques temps plus tard, son visa expire, et elle se retrouve en situation irrégulière. Un arrêté d’expulsion est pris à son encontre, et elle doit être reconduite au Mexique. Zaza, en sus de sa profonde tristesse de ne pouvoir construire une famille, est de plus terriblement inquiète du sort qui l’attend au Mexique. En effet, si elle est expulsée vers son pays d’origine, une mort certaine l’y attend.
Ayant épuisé toutes les voies de recours françaises, elle vient vous voir, afin que vous la sortiez de cette inextricable situation. Selon, vous quels arguments peut-elle invoquer ?
LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME
Article 8 : Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Article 12 : Droit au mariage
« A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit. »
Article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
1. Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes
LE PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
Article 23
1. La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'Etat.
2. Le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l'homme et à la femme à partir de l'âge nubile.
3. Nul mariage ne peut être conclu sans le libre et plein consentement des futurs époux.
4. Les Etats parties au présent Pacte prendront les mesures appropriées pour assurer l'égalité de droits et de responsabilités des époux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. En cas de dissolution, des dispositions seront prises afin d'assurer aux enfants la protection nécessaire.
LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UNION EUROPEENNE
Article 7 : Respect de la vie privée et familiale
Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.
Article 8 : Protection des données à caractère personnel
1. Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant.2. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d'un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d'accéder aux données collectées la concernant et d'en obtenir la rectification.3.Le respect de ces règles est soumis au contrôle d'une autorité indépendante.
Article 9 : Droit de se marier et droit de fonder une famille
Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice.
LA CONVENTION AMERICAINE RELATIVE AUX DROITS DE L’HOMME
Article 17 : Protection de la famille
1. La famille est l'élément naturel et fondamental de la société; elle doit être protégée par la société et par l'Etat.
2. Le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l'homme et à la femme s'ils ont l'âge requis et réunissent les conditions exigées à cet effet par les lois nationales, dans la mesure où celles-ci ne heurtent pas le principe de la non-discrimination établi dans le présente Convention.
3. Le mariage ne peut être conclu sans le libre et plein consentement des parties.
4. Les Etats parties prendront les mesures appropriées pour assurer l'égalité des droits et l'équivalence judicieuse des responsabilités des époux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. En cas de dissolution, des dispositions seront prises afin d'assurer la protection nécessaire aux enfants, en fonction uniquement de leur intérêt et de leur bien-être.
5. La loi doit reconnaître les mêmes droits aux enfants nés hors des liens du mariage qu'à ceux qui y sont nés.
LA NOUVELLE CHARTE ARABE DES DROITS DE L’HOMME
Article 21
a) Nul ne fera l'objet d'immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteinte à son honneur ou à sa réputation;
b) Toute personne a droit à la protection de la loi contre une telle immixtion ou atteinte.
Article 33
a) La famille est la cellule naturelle et fondamentale de la société; elle est fondée sur le mariage entre l'homme et la femme; le droit de se marier et de fonder une famille selon les règles et les conditions régissant le mariage, est reconnu à l'homme et à la femme dès qu'ils sont en âge de contracter un mariage. Il ne peut y avoir de mariage sans le plein et libre consentement des deux parties. La législation en vigueur réglemente les droits et les devoirs de l'homme et de la femme au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution;
b) L'Etat et la société garantissent la protection de la famille, le renforcement de ses liens, la protection de ses membres, l'interdiction de toutes les formes de violence ou de mauvais traitements dans les relations entre ses membres, en particulier à l'égard de la femme et de l'enfant. Ils garantissent également à la mère, à l'enfant, à la personne âgée et aux personnes ayant des besoins particuliers la protection et l'assistance nécessaires et assurent aux adolescents et aux jeunes les meilleures chances de développement physique et mental;
c) Les Etats partie prennent toutes les dispositions législatives, administratives et judiciaires requises pour assurer la protection, la survie et le bien-être de l'enfant dans un climat de liberté et de dignité et pour faire en sorte que son intérêt supérieur soit, en toutes circonstances, le critère à la base de toutes les mesures le concernant qu'il s'agisse d'un enfant à risque ou d'un enfant délinquant;d) Les Etats parties prennent toutes les mesures nécessaires pour garantir notamment aux jeunes le droit d'exercer une activité sportive.
LA CHARTE AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
Article 18
1. La famille est l'élément naturel et la base de la société. Elle doit être protégée par l'Etat qui doit veiller à sa santé physique et morale.
2. L'Etat a l'obligation d'assister la famille dans sa mission de gardienne de la morale et des valeurs traditionnelles reconnues par la Communauté.
3. L' Etat a le devoir de veiller à l'élimination de toute discrimination contre la femme et d'assurer la protection des droits de la femme et de l'enfant tels que stipulés dans les déclarations et conventions internationales.
4. Les personnes âgées ou handicapées ont également droit à des mesures spécifiques de protection en rapport avec leurs besoins physiques ou moraux.
Article 27
1. Chaque individu a des devoirs envers la famille et la société, envers l'Etat et les autres collectivités légalement reconnues et envers la Communauté Internationale.2. Les droits et les libertés de chaque personne s'exercent dans le respect du droit d'autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l'intérêt commun.
Article 29
L'individu a en outre le devoir:
1. De préserver le développement harmonieux de la famille et d'œuvrer en faveur de la cohésion et du respect de cette famille ; de respecter à tout moment ses parents, de les nourrir, et de les assister en cas de nécessité;
2. De servir sa communauté nationale en mettant ses capacités physiques et intellectuelles à son service;3. De ne pas compromettre la sécurité de l'Etat dont il est national ou résident;
4. De préserver et de renforcer la solidarité sociale et nationale, singulièrement lorsque celle-ci est menacée;
5. De préserver et de renforcer l'indépendance nationale et l'intégrité territoriale de la patrie et, d'une façon générale, de contribuer à la défense de son pays, dans les conditions fixées par la loi;
6. De travailler, dans la mesure de ses capacités et de ses possibilités, et de s'acquitter des contributions fixées par la loi pour la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la société;
7. De veiller, dans ses relations avec la société, à la préservation et au renforcement des valeurs culturelles africaines positives, dans un esprit de tolérance, de dialogue et de concertation et d'une façon générale de contribuer à la promotion de la santé morale de la société;
8. De contribuer au mieux de ses capacités, à tout moment et à tous les niveaux, à la promotion et à la réalisation de l'unité africaine.
LA DECLARATION ISLAMIQUE UNIVERSELLE DES DROITS DE L’HOMME
Article 19 : Droit de fonder une famille et questions connexes
a) Toute personne a le droit de se marier, de fonder une famille et d'élever des enfants conformément à sa religion, à ses traditions et à sa culture. Tout conjoint possède ces droits et privilèges et est soumis aux obligations stipulées par la Loi.
b) Chacun des partenaires d'un couple a droit au respect et à la considération de l'autre.c) Tout époux est tenu d'entretenir son épouse et ses enfants selon ses moyens.
d) Tout enfant a le droit d'être entretenu et correctement élevé par ses parents, et il est interdit de faire travailler les jeunes enfants et de leur imposer aucune charge qui s'opposerait ou nuirait à leur développement naturel.e) Si pour une raison quelconque, des parents sont dans l'incapacité d'assumer leurs obligations vis-à-vis d'un enfant, il incombe à la communauté d'assumer ces obligations sur le compte de la dépense publique.
f) Toute personne a droit au soutien matériel, ainsi qu'aux soins et à la protection de sa famille pendant son enfance, sa vieillesse ou en cas d'incapacité. Les parents ont droit au soutien matériel ainsi qu'aux soins et à la protection de leurs enfants.
g) La maternité a droit à un respect, des soins et une assistance particuliers de la part de la famille et des organismes publics de la communauté (ummah).
h) Au sein de la famille, les hommes et les femmes doivent se partager leurs obligations et leurs responsabilités selon leur sexe, leurs dons, talents et inclinations naturels, en tenant compte de leurs responsabilités communes vis-à-vis de leurs enfants et de leurs parents.
i) Personne ne peut être marié contre sa volonté, ni perdre sa personnalité juridique ou en subir une diminution du fait de son mariage.
Section 1 : Le droit à la vie privée
La notion de vie privée est une notion contingente ne pouvant être définie avec précision. La Cour européenne a adopté une conception extensive en jugeant que la vie privée ne se limite pas seulement à la sphère des relations personnelles, mais englobe aussi « le droit pour l’individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables ».
Dans la jurisprudence, le respect de la vie privée comporte quatre volets : le droit à la vie privée personnelle, le droit à la vie privée sociale, le droit au développement personnel et le droit de vivre dans un environnement sain.
I. Le droit à la vie privée personnelle :
Ce droit vise la sphère intime des relations personnelles, et comporte le droit au secret de la vie privée et le droit à la liberté de la vie sexuelle.
A. Le droit au secret de la vie privée :
C’est le droit de vivre à l’abri des regards étrangers. Ainsi cela implique :
- que le domicile, lieu où s’exerce la vie privée soit protégé,
- que les correspondances soient gardées secrètes en cela qu’elles révèlent des opinions privées. Notamment, le respect de la correspondance doit être assuré contre les moyens d’investigations dont déposent les autorités publiques (comme les écoutes téléphoniques, la constitution et la communication de fichiers de données à caractère personnel),
- enfin, que les informations sur l’état de santé soient tenues confidentielles.
Ø Exemple : affaire Peers c. Grèce du 14 avril 2001
Faits et procédure : Ressortissant britannique, Donald Peers, qui avait suivi un traitement pour héroïnomanie au Royaume-Uni, fut arrêté en août 1994 à l’aéroport d’Athènes pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Le 24 août, il fut conduit à la prison de Koridallos, en Grèce, pour y être mis en détention provisoire. Il fut par la suite condamné.
Il fut tout d’abord détenu au sein de l’hôpital psychiatrique de la prison, avant d’être placé dans l’unité d’isolement de l’aile Delta, puis dans l’aile Alpha. Dans l’aile Delta, il affirme avoir partagé avec un autre détenu une petite cellule étouffante et exigüe, dépourvue de système d’aération, qui comportait des toilettes non séparées et fréquemment hors d’usage, et où la lumière du jour ne pénétrait pratiquement pas. Il prétend avoir souffert également dans l’aile Alpha d’inconfort et d’un manque d’hygiène. De plus, il ne put bénéficier d’aucune formation ou activité professionnelle, ni accéder à une bibliothèque.
Le requérant se plaint que les conditions dans lesquelles il a été détenu emportent violation de l’article 3 de la Convention. Il invoque également l’article 8, en cela que les lettres que lui adressait la Commission européenne des Droits de l’Homme ayant été ouvertes par l’administration pénitentiaire.
Problèmes de droit : Les conditions de M. Peers ont-elles constitué un traitement inhumain ou dégradant, prohibé par l’article 3 ? L’ouverture de la correspondance d’un détenu relative à une procédure judiciaire est-elle contraire au secret de la correspondance, protégé par l’article 8 ?
Raisonnement de la Cour :
Sur l’article 3 : La Cour estime que rien ne prouve l’existence d’une véritable intention d’humilier ou de rabaisser l’intéressé. Toutefois, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3. Le fait que les autorités compétentes n’aient pris aucune mesure pour améliorer les conditions de détention du requérant, que l’on peut objectivement décrire comme inacceptables, dénote un manque de respect pour l’intéressé.
La Cour tient particulièrement compte du fait que, pendant deux mois au moins, le requérant a dû passer une grande partie de la journée sur son lit, dans une cellule dépourvue de fenêtres et de système d’aération, où la chaleur était quelquefois insupportable. Lui-même et son compagnon de cellule devaient en outre utiliser les toilettes en présence l’un de l’autre. La Cour est d’avis que les conditions de détention litigieuses ont porté atteinte à la dignité du requérant et ont provoqué chez lui des sentiments de désespoir et d’infériorité propres à l’humilier et le rabaisser, voire à briser sa résistance physique et morale. Partant, la Cour estime que les conditions de détention du requérant dans l’unité d’isolement de l’aile Delta de la prison de Koridallos s’analysent en un traitement dégradant au sens de l’article 3.
Sur l’article 8 : La Cour relève que les lettres adressées au requérant par la Commission ont été ouvertes, ce qui constitue une atteinte au droit de l’intéressé au respect de sa correspondance. Or, elle ne voit aucune raison impérieuse justifiant de contrôler les lettres en question, dont il était important de respecter la confidentialité. Dès lors, l’ingérence litigieuse n’était pas nécessaire dans une société démocratique au sens de l’article 8 § 2.
B. Le droit à la liberté de la vie sexuelle :
Dans l’affaire X et Y c. Pays-Bas, du 26 mars 1985, la Cour a considéré que « la vie privée recouvrait l’intégrité physique et morale de la personne et comprenait aussi la vie sexuelle ».
Ainsi, chacun a le droit de mener la vie sexuelle de son choix, même si le comportement sexuel est susceptible de « heurter, choquer ou inquiéter le plus grand nombre ». Par conséquent, l’accomplissement d’actes homosexuels entre adultes consentants, en privé, ne peut faire l’objet d’une répression pénale (affaire Dudgeon c. Royaume-Uni, du 22 octobre 1981), ni constituer un motif exclusif de révocation d’un emploi public (affaire Smith et Grady c. Royaume-Uni, du 27 septembre 1999). Il en va de même pour le transsexualisme (affaire B c. France, du 25 mars 1992). Cependant, l’orientation sexuelle n’emporte pas ipso facto de droit à se marier.
La liberté du comportement sexuel n’est pas absolue : ces restrictions sont prévues au §2 de l’article 8, et la loi peut intervenir pour concilier ce droit avec la protection des droits ou intérêts d’autrui. Par exemple, l’Etat peut interdire une manifestation publique d’une attitude homosexuelle, pour protéger directement les mineurs ou les incapables majeurs (affaire Dudgeon, précitée), ou encore pour protéger l’intégrité physique des individus (voyez l’affaire Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, du 19 février 1997, ci-dessous).
Ø Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, 19 février 1997 : exemple de limitation à la liberté sexuelle
Faits et procédure : En 1987, plusieurs vidéocassettes enregistrées lors de réunions à caractère sadomasochiste impliquant MM. Laskey, Jaggard et Brown et quarante-quatre autres homosexuels tombèrent entre les mains de la police alors que celle-ci procédait à des enquêtes de routine sur d'autres questions. Lors de ces séances, les membres du groupe se livraient à des sévices sur les parties génitales, à des rituels de flagellation ainsi qu’à des marquages au fer rouge. Les participants étaient pleinement consentants et leurs pratiques se déroulaient en privé. Les souffrances étaient infligées selon certaines règles, dont un mot de code qui permettait à la « victime » de mettre un terme à l' « agression », et ne donnèrent lieu en aucun cas à des infections ou à des lésions permanentes ni ne nécessitèrent l'assistance d'un médecin. Ces séances étaient enregistrées sur des vidéocassettes puis copiées et distribuées aux membres du groupe. Les poursuites se fondèrent essentiellement sur la teneur de ces vidéocassettes. Nul ne prétendit qu'elles avaient été vendues ou utilisées par d'autres personnes que les membres du groupe.
Les requérants, avec plusieurs autres hommes, furent condamnés à des peines d’emprisonnement ferme (4 ans) pour atteinte à l’intégrité physique et coups et blessures. La chambre criminelle de la Cour d’appel réduisit les peines initiales, et la chambre des Lords rejeta le pourvoi visant à établir que le consentement des participants aux activités sadomasochistes était de nature à lever l’incrimination de délit pour coups et blessures.
Les requérants affirment que les poursuites dirigées contre eux et leur condamnation pour coups et blessures infligés dans le cadre de pratiques sadomasochistes entre adultes consentants ont enfreint l'article 8 de la Convention. Il s’agirait d’une ingérence qui ne saurait passer pour « nécessaire dans une société démocratique », en cela que toutes les personnes ayant participé à ces séances étaient des adultes consentants triés sur le volet, ayant des tendances sadomasochistes, que le public n'a pas été témoin de ces actes, et enfin qu'il n'y a eu aucune lésion grave ou permanente, et qu'aucun traitement médical n'a été nécessaire. Les requérants soutiennent que leur affaire se rapporte à des questions d’expression sexuelle plutôt que de violence.
Problème de droit : L’accomplissement d’actes sadomasochistes, en groupe et à huis clos, relève-t-il de la protection de l’article 8 ?
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour fait observer que toute pratique sexuelle menée à huis clos ne relève pas nécessairement du domaine de l'article 8. Bien qu’il ne fasse aucun doute que les tendances et le comportement sexuels se rapportent à un aspect intime de la vie, les mesures prises par l’Etat à l’encontre des requérants étaient nécessaires compte tenu du nombre considérable de personnes qui ont pris part à ces actes, et aussi du « caractère extrême » des pratiques en cause. Ces actes sont assimilables à des tortures génitales, or, le droit de ne pas subir de tels traitements est un attribut inaliénable de la personne humaine, peu important le consentement de la personne à ces traitements. Il ne faudrait en effet pas qu’un « Etat contractant se trouve dans l’obligation de tolérer des actes de torture sous prétexte qu’ils sont commis dans le cadre d’une relation sexuelle consentie ». Par conséquent, la Cour a conclu à la non violation de l’article 8.
II. Le droit à la vie privée sociale :
Il s’agit de protéger la vie de l’individu avec ses semblables (droit reconnu dans l’affaire Niemetz c. Allemagne, du 16 décembre 1992). Dès lors, les notions de domicile, correspondance et vie privée englobent les activités professionnelles ou commerciales, ainsi que les locaux où ils s’exercent, car c’est dans leur travail que la plupart des gens ont le plus l’occasion de resserrer leurs liens avec le monde extérieur.
Cependant, le juge européen refuse de faire produire à la notion de vie privée tous ses effets : elle juge, en effet, dans la décision Fretté c. France, du 26 février 2002, que le refus d’agrément à l’adoption opposé à un homosexuel ne relève pas de la « vie privée ». Cette décision est contestable dans la mesure où est bien en cause le droit d’entretenir des relations avec autrui dans le domaine affectif.
De même, la Cour refuse d’intégrer les droits sociaux (qui sont garantis par ailleurs dans la Charte sociale européenne) dans le droit au respect de la « vie privée sociale ». Voyez l’affaire Botta c. Italie, ci-dessous.
Ø Botta c. Italie, 24 février 1998 : accès d’un handicapé à un établissement de bains
Faits et procédure : M. Botta se rendit dans une station balnéaire italienne, en compagnie d’une amie, également handicapée physique, pour y passer des vacances. Il constata que les établissements de bains n’étaient pas équipés des dispositifs nécessaires aux personnes handicapées pour accéder à la plage et à la mer (en particulier parcours spéciaux, locaux hygiéniques adaptés), au mépris de la législation italienne qui imposait de tels aménagements et prévoyait un contrôle par les administrations locales compétentes. Le requérant précise qu’après avoir accédé pendant un certain temps avec son véhicule à des plages publiques non équipées, cette possibilité lui fut interdite par la suite, l’entrée ayant été barrée sur ordre de la capitainerie.
Le requérant envoya une lettre au maire, le priant de prendre les mesures nécessaires pour remédier aux défaillances constatées l’année précédente. Cette lettre resta sans réponse.
Un an plus tard, M. Botta retourna dans la même station balnéaire et constata qu’aucune des mesures sollicitées, pourtant obligatoires, n’avait été prise. Il fut en conséquence contraint de demander au bureau maritime local une autorisation d’accès avec son véhicule à une plage publique non équipée. Il s’adressa par ailleurs à différentes autorités locales dont il reçut les réponses suivantes : le président de la coopérative des établissements de bains de la station lui signala qu’aucune obligation de se doter des structures réclamées.
Le requérant a saisi la juridiction européenne, en se plaignant d'une atteinte à sa vie privée et au développement de sa personnalité qui résulterait de l’inactivité de l'Etat italien face aux omissions imputables aux établissements de bains privés, à savoir le défaut de locaux hygiéniques et de passerelles d'accès à la mer pour personnes handicapées. L'intéressé affirme ne pouvoir jouir d’une vie relationnelle normale qui lui permette de participer à la vie de la collectivité et d’exercer des droits essentiels, comme les droits de la personnalité, à cause non pas d’une ingérence de l'Etat, mais d'un manquement à ses obligations positives d'adopter des mesures et d'exercer des contrôles sur le respect des dispositions internes relatives aux établissements de bains privés.
Problème de droit : L’absence de mesures portant à remédier à l’impossibilité pour un handicapé physique d’accéder à un établissement de bains viole-t-elle son droit à la vie privée sociale ?
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour rappelle que la sphère de la vie privée couvre l'intégrité physique et morale d'une personne et est principalement destinée à assurer le développement, sans ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans les relations avec ses semblables. La Cour réaffirme que si l'article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l'individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l'Etat de s'abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s'ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. La notion de respect manque pourtant de netteté : pour déterminer si pareilles obligations existent il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l'intérêt général et les intérêts de l'individu, l'Etat jouissant en toute hypothèse d'une marge d'appréciation.
La Cour a conclu à l'existence de ce type d'obligations à la charge d'un Etat lorsqu'elle a constaté la présence d'un lien direct et immédiat entre, d'une part, les mesures demandées par un requérant et, d'autre part, la vie privée et/ou familiale de celui-ci. Par exemple, dans l'affaire X et Y c. Pays-Bas, portant sur le viol d'une personne handicapée mentale et donc relative à l'intégrité physique et morale de celle-ci, la Cour a affirmé que les lacunes du code pénal néerlandais n'assuraient pas à ladite personne une protection concrète et effective.
Or en l'espèce, le droit revendiqué par M. Botta, à savoir celui de pouvoir accéder à la plage et à la mer loin de sa demeure habituelle pendant ses vacances, concerne des relations interpersonnelles d'un contenu si ample et indéterminé qu'aucun lien direct entre les mesures exigées de l'Etat pour remédier aux omissions des établissements de bains privés et la vie privée de l'intéressé, n'est envisageable. La Cour a donc décidé que l'article 8 ne s'appliquait pas. Cette décision est très critiquable car il semblait pourtant, dans cette affaire que soit en cause le droit pour un handicapé d’avoir des relations de nature récréative avec ses semblables, dont le contenu n’est pas si ample que le prétend la Cour.
III. Le droit au développement personnel :
La Cour reconnaît que l’individu à un droit au nom, et au prénom, en tant que moyen d’identification personnelle et de relations avec autrui, au titre de la « vie privée et familiale », alors même que ce droit n’est pas reconnu dans la CEDH (contrairement au Pacte international relatif aux droits civils et politiques).
La Cour reconnaît en particulier, dans l’affaire Odièvre c. France, du 13 février 2003, que « le droit à la connaissance de ses origines » est inclus dans la notion de « vie privée », par une interprétation extensive de l’article 8. La Cour a, par conséquent, jugé que l’article 8 était applicable à la détermination du lien de filiation entre un enfant né hors mariage et son père (affaire Mikulic c. Croatie, du 7 février 2002) et à l’impossibilité de voir lever le secret de sa naissance du fait de l’accouchement sous X (affaire Odièvre c. France, précitée). L’affaire Odièvre souligne que « l’établissement des détails de son identité d’être humain » participe du droit à « l’épanouissement personnel », protégé par l’article 8.
Pour autant, les conditions d’exercice du droit de connaître ses origines, dans le cadre français de l’accouchement anonyme, ont été jugées compatibles avec l’article 8, dans l’affaire Odièvre, en cela que le « droit de savoir » n’impliquait pas « l’obligation de divulguer ». La Cour a refusé dans cette affaire de mettre à la charge de l’Etat l’obligation positive de divulguer le secret de la naissance lorsqu’il avait été demandé : la Cour a fait prévaloir le droit au secret de la mère. Le raisonnement de la Cour reste critiquable.
Voici un résumé de cette affaire :
Ø Odièvre c. France, 13 février 2003 : droit au développement personnel par l’accès à ses données personnelles (accès aux dossiers administratifs)
Faits et procédure : La requérante est née sous X, le 23 mars 1965 à Paris. Demandant le secret de cette naissance, sa mère souscrivit aux services de l’assistance publique un acte d’abandon de son enfant. Confiée aux services de la Direction de l’aide sociale à l’enfance et de la protection de la jeunesse (DASS), la requérante fut immatriculée au nombre des pupilles de l’Etat et, par la suite, adoptée, sous la forme plénière, par M. et Mme Odièvre dont elle porte aujourd’hui le nom. Ayant pris connaissance de son dossier d’ancienne pupille du service de l’aide sociale à l’enfance du département de la Seine en 1990, la requérante réussit à obtenir des éléments non identifiants concernant sa famille naturelle (elle avait appris que ses parents naturels avaient donné naissance à un garçon né en 1963, puis à deux autres garçons après 1965). La requérante présenta une requête auprès du tribunal de grande instance afin de demander de « lever le secret de sa naissance en l’autorisant à se faire communiquer tous documents, pièces d’état civils et extraits intégraux d’actes de naissance complets ». Elle exposait qu’elle s’était heurtée au refus de la DASS de lui fournir des informations sur l’état civil de ses collatéraux au motif qu’une telle communication porterait atteinte au secret de sa naissance et qu’ayant appris l’existence d’une fratrie elle était bien fondée à demander que soit levé le secret de cette naissance. Le greffier du tribunal renvoya le dossier à l’avocat de la requérante en précisant que « (…) il apparaît que la requérante doive éventuellement saisir le tribunal administratif pour contraindre si elle le peut l’administration à lever le secret ce qui serait en tout état de cause contraire à la loi du 8 janvier 1993 » (qui édicte une fin de non-recevoir à la recherche en maternité naturelle en cas d’accouchement secret).
Invoquant l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, la requérante se plaint de ne pouvoir obtenir communication d’éléments identifiants sur sa famille naturelle. Elle dénonce le lourd préjudice qui en résulte pour elle dans la mesure où elle est privée de la possibilité de réécrire son histoire personnelle.
Problème de droit : Le principe de l’accouchement sous X est-il contraire au respect de la vie privée et familiale de l’enfant abandonné ?
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour n’estime pas nécessaire d’examiner l’affaire sous l’angle de la vie familiale, mais sous celui de la vie privée. En effet, l’article 8 de la Convention protège un droit à l’épanouissement personnel, au titre duquel figurent l’établissement des détails de son identité d’être humain et l’intérêt vital à obtenir des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle (par exemple l’identité de ses géniteurs).
La Cour relève que les intérêts en présence font apparaître, d’une part, le droit à la connaissance de ses origines et l’intérêt vital de l’enfant dans son épanouissement, et d’autre part, l’intérêt d’une femme à conserver l’anonymat pour sauvegarder sa santé en accouchant dans des conditions médicales appropriées. Il s’agit de deux intérêts difficilement conciliables concernant deux adultes jouissant chacune de l’autonomie de sa volonté. De surcroît, il y a lieu de tenir compte de l’intérêt des tiers et de leur protection, essentiellement les parents adoptifs, le père ou le restant de la famille biologique. Enfin, l’intérêt général est également en jeu dans la mesure où la loi française a pour objectif de protéger la santé de la mère et de l’enfant lors de l’accouchement, d’éviter des avortements en particulier clandestins et des abandons « sauvages ». Le droit au respect de la vie n’est ainsi pas étranger aux buts recherchés par le système français.
La Cour rappelle que les Etats disposent d’une marge d’appréciation dans le choix des mesures de nature à garantir le respect de l’article 8 dans les rapports entre individus. En l’espèce, la Cour considère que la législation française tente d’atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisantes entre les intérêts en cause : la requérante a pu avoir accès à des informations non identifiantes sur sa mère et sa famille biologique lui permettant d’établir quelques racines de son histoire dans le respect de la préservation des intérêts des tiers.
Ainsi, pour la Cour le « droit de savoir » n’implique pas « l’obligation de divulguer » pour l’Etat. Par ailleurs, elle note que la loi du 22 janvier 2002, qui conserve le principe de l’accouchement sous X, renforce la possibilité de lever le secret de l’identité en facilitant la recherche des origines biologiques par à la mise en place d’un conseil national de l’accès aux origines personnelles. Cette loi étant d’application immédiate, la requérante peut solliciter la réversibilité du secret de l’identité de sa mère, sous réserve de l’accord de celle-ci. Au final c’est donc le droit au secret de la mère qui prévaut. La Cour conclut à la non violation de l’article 8 de la Convention.
En outre, la Cour précise que ce droit implique l’obligation positive pour l’Etat de reconnaître juridiquement l’identité sexuelle en cas de changement de sexe. Voyez l’affaire Goodwin c. Royaume-Uni reproduite ci-dessous.
Ø GOODWIN C. Royaume-Uni, 11 juillet 2002 : la reconnaissance juridique de l’identité sexuelle en cas de changement de sexe :
Faits et procédure : Christine Goodwin, est une transsexuelle opérée passée du sexe masculin au sexe féminin. Elle affirme avoir eu des problèmes et été victime de harcèlement sexuel à son travail pendant et après sa conversion sexuelle. Très récemment, elle se heurta à des difficultés quant à ses cotisations sociales. Etant toujours un homme au regard de la loi, elle doit continuer à payer ses cotisations sociales jusqu’à l’âge de 65 ans. Si son identité sexuelle féminine avait été reconnue, elle aurait cessé d’être redevable de ces cotisations en avril 1997, à l’âge de 60 ans. Pour éviter des questions de la part de ses employeurs au sujet de cette anomalie, elle dut passer un accord spécifique en vertu duquel elle continua de payer directement ses cotisations elle-même. Elle allègue également que le fait qu’elle ait conservé le même numéro d’assurance nationale a permis à son employeur de se rendre compte qu’elle avait travaillé pour lui par le passé en tant qu’homme et sous un autre nom, ce qui a été source de gêne et d’humiliation pour elle.
La requérante se plaint de la non-reconnaissance juridique de sa nouvelle identité sexuelle et du statut juridique des transsexuels au Royaume-Uni. Elle dénonce en particulier la manière dont elle est traitée dans les domaines de l’emploi, de la sécurité sociale et des pensions et l’impossibilité pour elle de se marier. Elle invoque en particulier les articles 8 et 12 de la Convention.
Problème de droit : L’absence de reconnaissance juridique de changement de sexe d’un individu porte-t-il atteinte au droit à la vie privée de celui-ci ?
Réponse et raisonnement de la Cour : La requérante a subi une opération de conversion sexuelle, qui a été prise en charge par le service national de santé, et mène une vie sociale de femme, mais elle demeure un homme sur le plan juridique.
Il existe des éléments clairs et incontestés montrant une tendance internationale continue non seulement vers une acceptation sociale accrue des transsexuels mais aussi vers la reconnaissance juridique de la nouvelle identité sexuelle des transsexuels opérés. Selon la Cour il est étonnant que la conversion sexuelle ait pu s’opérer en toute légalité sans déboucher sur une pleine consécration en droit, qui pourrait pourtant être considéré comme une étape ultime, comme l’aboutissement d’un processus de transformation long et difficile.
Tout en constatant que les difficultés et anomalies de la situation de la requérante en tant que transsexuelle opérée n’atteignent pas le niveau d’ingérence quotidienne que subissait la requérante dans l’affaire B. c. France, la Cour souligne que la dignité et la liberté de l’homme sont l’essence même de la Convention. Sur le terrain de l’article 8 de la Convention en particulier, où la notion d’autonomie personnelle reflète un principe important qui sous-tend l’interprétation des garanties de cette disposition, la sphère personnelle de chaque individu est protégée, y compris le droit pour chacun d’établir les détails de son identité d’être humain.
La Cour a réitéré depuis 1986, l’importance d’examiner de manière permanente la nécessité de mesures juridiques appropriées, eu égard à l’évolution de la science et de la société, mais rien n’a réellement été fait par l’Etat défendeur. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que l’Etat défendeur ne peut plus invoquer sa marge d’appréciation en la matière, sauf pour ce qui concerne les moyens à mettre en œuvre pour assurer la reconnaissance du droit protégé par la Convention. La Cour conclut donc que « le juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu » commande à l’Etat de satisfaire à son obligation positive de procéder à la reconnaissance juridique de la conversion sexuelle. Dès lors, il y a eu manquement au respect du droit de l’intéressée à sa vie privée, en violation de l’article 8.
IV. Le droit de vivre dans un environnement sain :
C’est dans l’affaire Lopez Ostra c. Espagne, du 9 décembre 1994, que la Cour a jugé, avec audace que les atteintes graves à l’environnement portaient atteinte à la jouissance effective du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile, protégé par l’article 8.
La Cour considère, dans son arrêt Guerra c. Italie, du 19 février 1998, que l’article 8 implique l’obligation positive pour l’Etat de prendre des mesures afin de faire cesser ou de réduire les pollutions et, également de fournir aux intéressés des informations pertinentes quant aux risques graves de pollution.
En voici un résumé :
Ø Guerra c. Italie, 19 février 1998
Faits et procédure : Les requérantes résidaient toutes dans la commune de Manfredonia (Foggia) sise à un kilomètre environ de l'usine chimique de la société anonyme Enichem agricoltura, implantée, elle, sur le territoire de la commune de Monte Sant'Angelo.
En novembre 1985, 420 habitants de Manfredonia saisirent le juge d'instance de Foggia en dénonçant la présence dans l'atmosphère de fumées d'échappement provenant de l'usine et dont la composition chimique et le degré de toxicité n'étaient pas connus. Le juge n'infligea aucune peine aux inculpés sauf à deux administrateurs, qui furent condamnés à cinq mois d'emprisonnement et deux millions de lires d'amende, ainsi qu'à la réparation des dommages civils, pour avoir fait construire des décharges sans avoir obtenu au préalable l'autorisation nécessaire. La cour d'appel de Bari acquitta les appelants, au motif que le délit n'était pas constitué.
En 1988, l'usine, qui produisait des fertilisants et du caprolactame fut classée à haut risque, en application de la directive « Seveso » du Conseil des Communautés européennes, concernant les risques d'accidents majeurs liés à certaines activités industrielles dangereuses pour l'environnement et le bien-être des populations concernées.
Selon les requérantes, au cours de son cycle de fabrication, l'usine aurait libéré de grandes quantités de gaz inflammable – ce qui aurait pu entraîner des réactions chimiques explosives libérant des substances hautement toxiques. Des accidents de fonctionnement s'étaient, en effet, déjà produits par le passé.
Par ailleurs, dans un rapport du 8 décembre 1988, une commission technique nommée par la municipalité de Manfredonia établit notamment, qu'à cause de la position géographique de l'usine, les émissions de substances dans l'atmosphère étaient souvent canalisées vers la ville. Le rapport faisait état d'un refus de l'usine à une inspection de ladite commission et du fait que, d'après les résultats d'une étude menée par l'usine elle-même, les installations de traitement des fumées étaient insuffisantes et l'étude d'impact environnemental était incomplète.
En 1989, l'usine limita son activité à la production de fertilisants, ce qui justifia son maintien dans la catégorie des usines dangereuses. En 1993, les ministères de l'Environnement et de la Santé adoptèrent conjointement un arrêté prescrivant des mesures à adopter par l'usine afin d'améliorer la sécurité de la production en cours de fertilisants et, en cas de reprise de la production de caprolactame, la sécurité de celle-ci. En 1994, l'usine arrêta définitivement la production de fertilisant. Seules une centrale thermoélectrique et des installations de traitement des eaux primaires et usées continuent de fonctionner.
Un comité paritaire Etat-région des Pouilles fut créé auprès du ministère de l'Environnement pour donner suite à la directive Seveso. Ce comité ordonna une enquête technique confiée à une commission. Le comité paritaire Etat-région formula ses conclusions le 6 juillet 1990, fixant au 30 décembre 1990 la date de remise au ministre de l'Environnement du rapport sur les risques d'accidents majeurs.
Les problèmes liés au fonctionnement de l'usine firent l'objet, le 20 juin 1989, d'une question parlementaire au ministre de l'Environnement, et le 7 novembre 1989, au sein du Parlement européen, d'une question à la Commission des Communautés européennes. En réponse à cette dernière, le commissaire compétent indiqua : 1) que la société Enichem avait envoyé au gouvernement italien le rapport demandé sur la sécurité des installations ; 2) que sur la base de ce rapport, ledit gouvernement avait procédé à l'instruction de l'affaire afin de contrôler la sécurité des installations et, le cas échéant, d'indiquer les mesures supplémentaires de sécurité qui s’avéreraient nécessaires ; et 3) qu'en ce qui concernait l'application de la directive Seveso, le gouvernement avait pris à l'égard de l'usine les mesures requises.
Les articles 11 et 17 du DPR 175/88 prévoient l'obligation, à la charge du maire et du préfet compétents, d'informer la population concernée sur les risques liés à l'activité industrielle en question, les mesures de sécurité adoptées, les plans d'urgence préparés et la procédure à suivre en cas d'accident. Toutefois, dans un courrier du 7 décembre 1995 à la Commission européenne des Droits de l'Homme, le maire de Monte Sant'Angelo affirma qu'à cette dernière date, l'instruction en vue des conclusions prévues par l'article 19 se poursuivait et qu'aucun document concernant ces conclusions ne lui était parvenu. Il précisait que la municipalité attendait toujours de recevoir des directives du service de la protection civile afin d'arrêter les mesures de sécurité à prendre et les règles à suivre en cas d'accident et à communiquer à la population, et que les mesures visant l'information de la population seraient prises immédiatement après les conclusions de l'instruction, dans l'hypothèse d'un redémarrage de la production de l'usine.
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour a rappelé, dans cette décision, que des atteintes graves à l'environnement peuvent toucher le bien-être des personnes et les priver de la jouissance de leur domicile de manière à nuire à leur vie privée et familiale.
En l'espèce, la Cour a décidé que l’Italie avait enfreint l’article 8 de la C.E.D.H. pour ne pas avoir communiqué aux requérantes, jusqu’à l’arrêt de la production de fertilisants en 1994, des informations essentielles qui leur auraient permis d'évaluer les risques pouvant résulter pour elles et leur proches du fait de continuer à résider sur le territoire de Manfredonia, une commune aussi exposée au danger en cas d'accident dans l'enceinte de l'usine. La Cour constate donc que l’Etat défendeur a failli à son obligation de garantir le droit des requérantes au respect de leur vie privée et familiale, au mépris de l’article 8 de la Convention.
SECTION 2 : La protection de la vie familiale
La protection de la vie familiale s’ordonne autour de deux grands axes : le droit au mariage, d’une part, et le droit au respect de la vie familiale, d’autre part.
I. Le droit au mariage :
L’article 12 de la CEDH ne définit pas le mariage. Il semble toutefois que le droit au mariage ne soit reconnu que pour les couples hétérosexuels, puisque l’article 12 dispose que le mariage n’est possible qu’entre un homme et une femme. La réglementation de l’exercice du mariage relève donc des législations nationales. Le droit interne ne peut cependant ni restreindre ni réduire le mariage dans sa substance même. Par exemple, lorsqu’une loi interne reconnaît le divorce, elle ne doit pas limiter de manière « déraisonnable » le droit du divorcé de se remarier.
L’article 12 vise le droit de se marier et le droit de fonder une famille. Au prix d’une lente évolution, la jurisprudence de la Cour européenne en est arrivée à dissocier ces deux éléments : il apparaît aujourd’hui qu’il n’est pas nécessaire que le mariage ait pour conséquence automatique de fonder une famille, ou tout du moins, d’être en mesure de fonder une famille.
Sur ce point, la Commission s’est montrée beaucoup plus progressiste que la Cour. En effet, pour la Commission, le mariage consistait à former « une association juridiquement solidaire entre un homme et une femme ». Partant, la Commission a tout d’abord reconnu le droit des détenus de se marier. Ainsi, elle a considéré que l’impossibilité d’avoir des rapports conjugaux ne faisait pas obstacle au mariage. Elle a ensuite consacré, dans sa décision Van Ooesterwijck c. Belgique du 1er mars 1979, le droit pour les transsexuels de se marier, sous-entendant que la capacité de procréer ne faisait pas obstacle au mariage.
La Cour a, dans un premier temps, stoppé cette évolution, dans sa décision de principe Rees c. Royaume-Uni, du 17 octobre 1986, où elle a entendu protéger « le mariage en tant que fondement de la famille ». Le juge européen a refusé de reconnaître le droit pour un transsexuel de se marier en cela que l’article 12 visait « le mariage traditionnel entre deux personnes de sexe biologiquement différent ». Elle a ensuite actualisé sa jurisprudence en procédant à une relecture de l’article 12, en reconnaissant le droit de se marier à un transsexuel, dans sa décision C.Goodwin c. Royaume-Uni, du 11 juillet 2002. Elle estime désormais que le droit au mariage n’implique plus que le sexe doit être déterminé selon des conditions purement biologiques. Voyez ci-dessous, le résumé du raisonnement de la Cour (faits et procédure précités).
Ø GOODWIN C. Royaume-Uni, 11 juillet 2002 :droit pour un transsexuel de se marier
Faits et procédure : voir supra
Problème de droit : Un transsexuel a-t-il le droit de se marier avec une personne du même sexe que celui qu’il avait avant de procéder à son changement de sexe ?
Raisonnement de la Cour : Certes, l’article 12 vise expressément le droit pour un homme et une femme de se marier, mais la Cour n’est pas convaincue que l’on puisse aujourd’hui continuer d’admettre que ces termes impliquent que le sexe doive être déterminé selon des critères purement biologiques. Depuis l’adoption de la Convention, l’institution du mariage a été profondément bouleversée par l’évolution de la société, et les progrès de la médecine et de la science ont entraîné des changements radicaux dans le domaine de la transsexualité. La Cour a constaté ci-dessus, sur le terrain de l’article 8, que la non-concordance des facteurs biologiques chez un transsexuel opéré ne pouvait plus constituer un motif suffisant pour justifier le refus de reconnaître juridiquement le changement de sexe de l’intéressé. D’autres facteurs doivent être pris en compte : la reconnaissance par la communauté médicale et les autorités sanitaires dans les Etats contractants de l’état médical de trouble de l’identité sexuelle, l’offre de traitements, y compris des interventions chirurgicales, censés permettre à la personne concernée de se rapprocher autant que possible du sexe auquel elle a le sentiment d’appartenir, et l’adoption par celle-ci du rôle social de son nouveau sexe.
La Cour constate que si le nombre des pays qui autorisent le mariage des transsexuels sous leur nouvelle identité sexuelle est inférieur à celui des Etats qui reconnaissent la conversion sexuelle elle-même, elle n’est pas convaincue que cela soit de nature à conforter la thèse selon laquelle les Etats contractants doivent pouvoir entièrement régler la question dans le cadre de leur marge d’appréciation. La marge d’appréciation ne saurait être aussi large. S’il appartient à l’Etat contractant de déterminer, notamment, les conditions que doit remplir une personne transsexuelle qui revendique la reconnaissance juridique de sa nouvelle identité sexuelle pour établir que sa conversion sexuelle a bien été opérée et les formalités applicables à un futur mariage (par exemple, les informations à fournir aux futurs époux), la Cour ne voit aucune raison justifiant que les transsexuels soient privés en toutes circonstances du droit de se marier. Elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 12.
La Cour refuse cependant de se livrer à une interprétation évolutive de la Convention « en dégageant un droit qui n’y est pas au départ » : elle considère de ce fait, dans sa décision Johnston c. Irlande, du 18 décembre 1986, que le droit au mariage ne vise que la formation des relations conjugales et non leur dissolution. L’article 12 ne comporte donc pas le droit au divorce.
L’article 12 ne contient pas de dispositions ayant trait à l’égalité des droits entre époux contrairement à l’article 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et l’article 16 de la déclaration universelle des droits de l’homme. C’est l’article 5 du Protocole 7 de la Convention européenne qui reconnaît l’égalité des droits entre époux durant le mariage et lors de sa dissolution, mais aussi dans les relations avec les enfants. L’Etat a, en la matière, l’obligation positive d’offrir un cadre juridique satisfaisant garantissant ces droits.
II. Le droit au respect de la vie familiale :
Le respect de la vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme présuppose l’existence d’une famille. La Cour considère, dans l’affaire Fretté c. France, du 26 février 2002, que le seul désir de fonder une famille, notamment par la voie de l’adoption, n’est pas protégé par l’article 8 de la CEDH au titre de la vie familiale.
Ø FRETTE c. France, 26 février 2002 : la potentialité de paternité adoptive n’est pas protégée
Faits et procédure : Philippe Fretté, homosexuel et célibataire, se vit rejeter sa demande d’agrément préalable en vue d’adopter un enfant par la direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé du département de Paris, le 3 mai 1993. Le recours gracieux que le requérant forma, fut rejeté. La décision de refus indiquait que les « choix de vie » du requérant ne semblaient pas de nature à présenter les garanties suffisantes quant aux conditions d’accueil d’un enfant sur les plans familial, éducatif et psychologique.
Par jugement du 25 janvier 1995, le tribunal administratif de Paris annula les décisions lui refusant l’agrément, relevant qu’aucune pièce du dossier ne permettait d’établir ni même n’autorisait à alléguer « que le mode de vie de M. Frette traduirait un manque de rigueur morale, une instabilité affective, la possibilité de le voir détourner l’adoption de ses fins, ou tout autre comportement de nature à faire considérer son projet comme dangereux pour tout enfant adopté ».
Sur recours du département de Paris, le Conseil d’Etat annula le jugement et, statuant sur le fond, rejeta la demande d’agrément du requérant, estimant que le requérant, « eu égard à ses conditions de vie et malgré les qualités humaines et éducatives certaines, ne présentait pas des garanties suffisantes sur les plans familial, éducatif et psychologique pour accueillir un enfant adopté ».
Le requérant se plaint de ce que la décision rejetant sa demande d’agrément en vue d’une adoption s’analyse en une ingérence arbitraire dans sa vie privée et familiale car elle se fonderait exclusivement sur un a priori défavorable envers son orientation sexuelle. Il invoque à cet égard l’article 14, combiné avec l’article 8.
Problème de droit : L’impossibilité pour un homosexuel de pouvoir adopter un enfant viole-t-il son droit à la vie familiale ?
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour constate d’abord que les décisions de rejet de la demande d’agrément poursuivaient un but légitime : protéger la santé et les droits de l’enfant.
La Cour a dû, ensuite, rechercher si le traitement différencié se trouvait justifié. Le droit de jouir des droits garantis par la Convention sans être soumis à discrimination est transgressé lorsque, sans justification objective et raisonnable, les Etats n’appliquent pas un traitement différent à des personnes dont les situations ont sensiblement différentes.
La Cour a rappelé que les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement juridique. Dans une affaire comme celle de l’espèce où les questions délicates soulevées touchent à des domaines où il n’y a guère de communauté de vues entre les Etats membres du Conseil de l’Europe et où, de manière générale, le droit paraît traverser une phase de transition, il faut laisser une large marge d’appréciation aux autorités de chaque Etat, qui sont en prise directe et permanente avec les forces vitales de leur pays et donc en principe mieux placées qu’une juridiction internationale pour évaluer les sensibilités et le contexte locaux.
Dans la présente affaire où sont en cause les intérêts concurrents du requérant et des enfants pouvant être adoptés, force est de constater que la communauté scientifique - et plus particulièrement les spécialistes de l’enfance, les psychiatres et les psychologues - est divisée sur les conséquences éventuelles de l’accueil d’un enfant par un ou des parents homosexuels, compte tenu notamment du nombre restreint d’études scientifiques réalisées sur la question à ce jour. S’ajoute à cela les profondes divergences des opinions publiques nationales et internationales, sans compter le constat de l’insuffisance du nombre d’enfants adoptables par rapports aux demandes. Dans ces conditions, les autorités nationales, ont légitimement et raisonnablement pu considérer que le droit de pouvoir adopter dont le requérant se prévalait selon l’article 343-1 du code civil trouvait sa limite dans l’intérêt des enfants susceptibles d’être adoptés, nonobstant les aspirations légitimes du requérant et sans que soit remis en cause ses choix personnels. La Cour conclut donc à la non violation de l’article 14 combiné à l’article 8.
Le seul désir de fonder une famille n’est donc pas protégé par l’article 8 au titre de la vie familiale.
Pour une évolution de cette question écoutez l’exposé de vos camarades relativement à l’affaire E.B. c. France
A. La notion de famille :
La Cour a une conception ouverte et tolérante de la famille. La jurisprudence européenne a dessiné deux « modèles » contemporains de « vie familiale ».
1°) C’est un lien de parenté auquel s’ajoute une relation effective.
v La nature du lien de parenté est apprécié avec souplesse. La famille ne se borne pas aux seules relations fondées sur le mariage : elle inclut la famille « naturelle » (ainsi en va-t-il de la relation entre une mère célibataire et sa fille naturelle, affaire Marckx c. Belgique, du 13 juin 1979), ou adultérine (affaire Johnston c. Irlande, du 18 décembre 1986). Par ailleurs, le lien de parenté s’étend aux rapports entre proches parents et comprend les rapports entre grands-parents et petits-enfants, voire entre oncle et neveu. Cependant le seul lien de parenté ne suffit pas à ce qu’il y ait « une vie familiale », au sens de l’article 8 : il faut aussi un lien de fait constitutif d’une vie familiale effective.
v C’est l’effectivité du lien unissant les parents qui est déterminant. En principe, la cohabitation est une condition décisive, mais pas nécessaire, pour établir l’effectivité du lien familial. La Cour européenne admet également l’hypothèse de l’effectivité du lien en l’absence de cohabitation. Ainsi, un divorce ou la fin d’une vie commune ne met pas fin en soi à une vie familiale. De même, le défaut de vie commune entre les parents au moment de la naissance de l’enfant ne fait pas obstacle à l’établissement du lien familial, à partir du moment où il a existé, à un moment donné une « vie familiale » entre les parents et l’enfant. La Cour a fait preuve de beaucoup de souplesse dans son arrêt Keegan c. Irlande, du 26 mai 1994.
En voici un résumé :
Ø Keegan c. Royaume-Uni, 26 mai 1994 : l’enfant naturel et son père
Faits et procédure : M. Keegan et son amie, Mlle V., se rencontrèrent en 1986. Ils vécurent ensemble de février 1987 à février 1988. Aux environs de Noël 1987, ils décidèrent d'avoir un enfant, et se fiancèrent le 14 février 1988. Le 22 février 1988, la grossesse de Mlle V. fut confirmée. Peu après, la relation entre V. et le requérant se brisa et ils cessèrent de cohabiter. Le 29 septembre 1988, V. donna naissance à une fille, S., dont M. Keegan était le père. Il rendit visite à V. à une maternité privée et y vit le bébé alors âgé d'un jour. Deux semaines plus tard, il se rendit au domicile des parents de V., mais on ne lui permit de voir ni celle-ci ni l'enfant. Alors qu'elle était enceinte, V. avait pris des dispositions afin de voir adopter son enfant et le 17 novembre 1988 elle le fit placer par un service d'adoption agréé chez des candidats à l'adoption. Elle en informa le requérant par une lettre du 22 novembre 1988.
Le requérant n’avait ni le droit d’attaquer devant le Conseil d’adoption, ou les tribunaux, le placement de son enfant en vue de l’adoption, ni la qualité pour intervenir dans la procédure d’adoption de manière générale, selon le droit irlandais. Par conséquent, M. Keegan a saisi la juridiction européenne au motif d’une violation de l’article 8 de la CEDH.
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour rappelle que la notion de « famille » visée par l’article 8 ne se borne pas aux seules relations fondées sur le mariage et peut englober d'autres liens « familiaux » de facto lorsque les parties cohabitent en dehors du mariage. Un enfant issu d'une telle relation s'insère de plein droit dans cette cellule « familiale » dès sa naissance et par le fait même de celle-ci. Il existe donc entre l'enfant et ses parents un lien constitutif d'une vie familiale même si à l'époque de sa naissance, les parents ne vivaient plus ensemble ou si leurs relations avaient alors pris fin.
En l'espèce, la relation entre M. Keegan et la mère de l'enfant dura deux ans, dont un pendant lequel ils cohabitèrent. En outre, la conception de leur enfant résultait d'une décision délibérée et ils avaient aussi projeté de se marier. A l'époque, leur relation se plaçait donc sous le sceau de la vie familiale aux fins de l'article 8. Le fait qu'elle se brisa par la suite ne modifie pas davantage cette conclusion qu'elle ne le ferait pour un couple légalement marié et dans une situation comparable. A partir de la naissance de l'enfant, il y a eu en conséquence entre elle et le requérant un lien constitutif d'une vie familiale.
2°)En l’absence de lien de parenté, c’est l’effectivité de la relation qui compte.
Dans son arrêt X, Y et Z c. Royaume-Uni, du 22 avril 1997, la Cour a reconnu qu’il existait un lien constitutif d’une vie familiale, en dehors de tout lien de parenté. Le juge européen qualifie de « liens familiaux de facto » les liens unissant un transsexuel né de sexe féminin, sa compagne et l’enfant de celle-ci née d’une insémination artificielle par tiers donneur. Elle justifie sa position par l’effectivité de leurs relations et par les apparences (X menait une vie sociale d’homme, assumait aux yeux de tous le rôle de partenaire masculin et se comportait à tous égards comme le père de Z). Cependant, la Cour ne fait pas peser sur l’Etat une obligation positive, au titre de l’article 8, de reconnaître officiellement comme père de l’enfant une personne qui n’en est pas le père biologique, parce qu’il n’existe pas de norme européenne commune en matière d’octroi des droits parentaux aux transsexuels. Par conséquent la reconnaissance d’une vie familiale entre un transsexuel et l’enfant de sa compagne n’a pas été suivie d’effets. On peut cependant présager une évolution en la matière du fait de la jurisprudence européenne plus tolérante concernant les transsexuels, initiée par l’affaire C. Goodwin (précitée). En revanche, la reconnaissance d’une vie familiale ne bénéficie pas aux homosexuels.
Une fois établie la vie familiale, le droit au respect de celle-ci fait peser sur l’Etat l’obligation d’agir de manière à permettre aux intéressés de mener une vie familiale normale et de développer des relations effectives. Il s’agit d’une obligation de moyens. Ce droit au respect de la vie familiale a été développé par la jurisprudence dans trois directions : les droits de l’enfant naturel et adultérin, les rapports entre parents et enfant et enfin l’unité de la vie familiale.
B. Les droits de l’enfant naturel ou adultérin :
La protection de la vie familiale suppose l’établissement des relations familiales par une reconnaissance juridique de celles-ci. L’enfant naturel et l’enfant adultérin ont fait l’objet d’une jurisprudence établissant à leur égard un véritable statut qui faisait défaut dans la CEDH. La Cour a consacré l’égalité entre les enfants quelle que soit la nature de leur filiation, par sa décision Mazurek c. France, du 1er février 2000.
Deux principes ont été énoncés par la Cour : l’égalité de la filiation naturelle et légitime et l’égalité dans les droits patrimoniaux de l’enfant naturel et de l’enfant légitime.
L’égalité dans la filiation naturelle et légitime consacre l’adage mater semper certa est, selon lequel l’établissement de la filiation découle automatiquement du lien biologique. Ce droit doit bénéficier à tous les enfants qu’ils soient légitimes ou naturels.
En consacrant l’égalité des droits patrimoniaux des enfants naturels et légitimes, la Cour a fait entrer les successions et les libéralités dans le domaine de la « vie familiale ». La Cour a ainsi pris en compte la dimension socio-économique du droit au respect de la vie familiale. Ce principe implique la reconnaissance des droits successoraux des enfants naturels et adultérins, dans la succession de leurs proches parents (père et mère, ainsi que leurs grands-parents). Ce principe exige également l’absence de réduction de leur part successorale en raison de la nature de leur lien de filiation. La Cour européenne a ainsi jugé, dans l’affaire Mazurek c. France (précitée) que l’article 760 du c. civ., qui prévoyait une réduction de la part successorale de l’enfant adultérin en concurrence avec un enfant légitime issu du mariage, était incompatible avec la CEDH parce que constitutif d’une discrimination dans l’exercice du droit de propriété et implicitement du droit au respect de la vie privée et familiale.
C. Les rapports entre parents et enfants :
L’effectivité de la vie familiale suppose que les rapports entre parents et enfants, base de la vie familiale, soient protégés. La Cour considère en effet que « pour un enfant et son parent être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale ».
L’Etat a l’obligation positive de prendre les mesures propres à réunir un parent à son enfant, sous réserve de la prise en compte des intérêts supérieurs de l’enfant. La Cour tente de réaliser un équilibre entre les nécessités de la protection de l’enfant et le respect des droits des parents.
Parents et enfants peuvent être séparés pour deux motifs principaux : en cas de placement de l’enfant, et en cas de séparation des parents.
1. En cas de placement de l’enfant :
La Cour intervient à l’occasion de la prise de la décision de placement et à propos des modalités d’exécution de la mesure de placement.
a. La décision de placement de l’enfant :
La Cour exerce un contrôle minimum sur le caractère nécessaire de la décision de placement : les Etats ont, en la matière, une large marge d’appréciation. Néanmoins cette décision doit répondre à des motifs pertinents et suffisants justifiés par la considération de l’intérêt supérieur de l’enfant. Par exemple, le placement d’un nouveau né sans avertissement des parents, dès la naissance constitue une « ingérence extrême dans la vie familiale », ne pouvant être justifiée que par des « raisons extraordinairement impérieuses » (affaire K et T c. Finlande, du 12 juillet 2001). L’Etat a l’obligation positive de rechercher s’il n’y a pas d’autres mesures moins radicales que le placement de l’enfant.
En voici un résumé :
Ø K. & T. c. Finlande, 12 juillet 2001 : placement d’un nouveau né
Faits et procédure : K. a trois enfants : une fille, P., avec X , née en 1986, un fils avec V., prénommé M., né en 1988, et J, dont le père est T, née le 18 juin 1993.
K avait fait l’objet de plusieurs hospitalisations de son plein gré pour problèmes psychiatriques (de mars à mai 1989, d’août à novembre 1989, de décembre à mars 1990, et pendant une semaine en 1990), et internements (du 22 avril au 7 mai 1992, du 13 mai au 10 juin 1992, du 11 au 17 janvier 1993, puis du 15 mai au 10 juin 1992, et du 24 mars au 5 mai 1993, sous contrainte) : d’après un rapport médical, elle était paranoïaque et psychotique.
K et T cohabitèrent d’abord de l’été 1991 à juillet 1993. En 1991, la fille et le fils de K vivaient avec eux. De 1991 à 1993, K. et X furent en litige au sujet de la garde de leur fille et du droit de visite la concernant : la garde de P. fut confiée à son père. Le 11 mai 1993 – K. attendait alors un autre enfant – le tribunal de district limita encore le droit pour K. de voir P., sa fille, au motif que le développement mental de l’enfant se trouverait compromis si les rencontres entre elle et sa mère se poursuivaient sans surveillance.
Le 3 mai 1993, une assistante sociale décida au nom du conseil de protection sociale de placer M. dans un foyer pour enfants pendant trois mois, car M. manifestait des troubles du comportements sérieux, avec le consentement des parents. Il fallait y voir une mesure de soutien à court terme au titre de la loi de 1983. Cependant, lors d’une visite de K et T à M., ce dernier changea brusquement de comportement et devint brutal.
Le 11 juin 1993, l’assistante sociale qui avait décidé de confier M. à un foyer pour enfants écrivit au centre hospitalier universitaire et à l’hôpital local pour leur faire part de ses vives préoccupations quant à la santé de K. et du bébé que celle-ci attendait. Le 18 juin 1993, K. fut emmenée dans un hôpital de quartier où, le même jour, elle donna naissance à J.
J. fit immédiatement l’objet d’une prise en charge d’urgence en application de l’article 18 de la loi de 1983. Après la naissance de l’enfant, deux travailleurs sociaux de l’hôpital informèrent K. et T. de cette décision. Le directeur social, qui avait pris la décision au nom du conseil de protection sociale, releva que K. avait témoigné d’instabilité mentale à la fin de sa grossesse. Selon lui, la santé du bébé se trouverait en péril puisque K. avait découvert que l’on envisageait de confier son bébé à l’autorité publique. Le directeur social considéra enfin que le père du bébé, T., ne pouvait assurer son développement et sa sécurité. Les requérants ne furent pas entendus avant la décision. Le 24 juin 1993, ils reçurent eux aussi notification écrite de la décision de prendre la nouveau-née en charge. Cette notification fut également envoyée à K. par télécopieur. Le 21 juin 1993, le directeur social ordonna aussi la prise en charge d’urgence de M. ; il invoquait pour l’essentiel les mêmes raisons que dans sa décision du 18 juin 1993 concernant J. Les requérants ne formèrent pas appel contre les décisions de prise en charge d’urgence.
M et J firent ensuite l’objet de mesures de prise en charge ordinaire, pour des motifs similaires à la prise en charge d’urgence. K. ne fut autorisée à voir les enfants que si elle était accompagnée de son infirmière personnelle. Avant les décisions du 15 juillet 1993, les requérants avaient été entendus et ils avaient exprimé leur opposition aux décisions de placement envisagées.
K. fut à nouveau internée le 20 juillet 1993 de son plein gré au pavillon ouvert de l’hôpital de H. pour psychose. Elle quitta toutefois l’hôpital le lendemain. Le 26 juillet 1993, on la plaça en observation afin de déterminer s’il y avait lieu de l’interner sous contrainte dans un service psychiatrique. Ce qui fut fait le 30 juillet 1993. D’après son dossier, ses proches étaient préoccupés par son état et avaient pris contact avec l’hôpital afin qu’elle y fût admise. Ils signalèrent que K. avait disparu de son domicile, où elle s’était comportée de manière agitée et agressive. Son internement dura jusqu’au 27 octobre 1993, soit trois mois.
Le 12 août 1993, le conseil de protection sociale saisit le tribunal administratif de comté des deux décisions de prise en charge par l’autorité publique pour qu’il les entérine, les requérants s’y étant opposés. Le tribunal confirma la décision de prise en charge relative à J. et à M. le 9 septembre 1993. La Cour administrative suprême saisie du recours contre la confirmation de la décision de prise en charge de M. par l’autorité publique, confirma la décision du tribunal administratif.
Devant la chambre initiale comme devant la Grande Chambre, les requérants ont allégué que la prise en charge de M. et J. par l’autorité publique avait méconnu leur droit au respect de leur vie familiale tel que le garantit l’article 8 de la Convention.
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour relève tout d’abord que la question de l’existence ou de l’absence d’une « vie familiale » est d’abord une question de fait dépendant de la réalité pratique de liens personnels étroits. En l’occurrence, les requérants vivaient l’un et l’autre avec M. jusqu’à ce qu’il soit placé de leur plein gré dans un foyer pour enfants puis pris en charge par l’autorité publique. Avant la naissance de J., les requérants et M. formaient une famille dans la claire intention de poursuivre ensemble leur vie familiale. Ils avaient cette même intention avec J., leur bébé nouveau-né dont T. s’est effectivement occupé pendant quelque temps après la naissance et avant de s’en voir légalement confier la tutelle. Dans ces conditions, force est à la Cour de conclure qu’au moment où les autorités sont intervenues, il existait bien entre les requérants une vie familiale, au sens de l’article 8 § 1 de la Convention, qui englobait les deux enfants, M. et J.
Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale et des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l’article 8 de la Convention. Les mesures en cause, cela n’est pas contesté, constituaient à l’évidence des ingérences dans le droit des requérants au respect de leur vie familiale tel que le garantit le paragraphe 1 de l’article 8 de la Convention. Pareille ingérence méconnaît cet article à moins qu’elle ne soit « prévue par la loi », ne vise un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 de l’article 8 et ne puisse passer pour « nécessaire dans une société démocratique ». La Cour a donc dû déterminer si les ingérences des autorités finlandaises étaient justifiées. La Cour a relevé que les ingérences étaient prévues par la Loi et qu’elles poursuivaient un but légitime : le droit finlandais tendait assurément à protéger « la santé ou la morale » et « les droits et libertés » des enfants.
Sur la question de savoir si les ingérences étaient « nécessaires dans une société démocratique », la Cour considère que la prise en charge d’un nouveau-né par l’autorité publique immédiatement après sa naissance, à la suite d’une procédure à laquelle ni la mère ni son compagnon n’ont été mêlés, est une ingérence extrême dans la vie familiale que seules des raisons extraordinairement impérieuses peuvent justifier. En l’espèce, la Cour n’avait pas la conviction que l’existence de pareilles raisons ait été démontrée en ce qui concerne J. La Cour a considéré que lorsqu’elles envisagèrent une mesure aussi radicale pour la mère, les autorités internes compétentes se devaient de rechercher s’il n’était pas possible de recourir à une ingérence moins extrême dans la vie familiale, à un moment aussi décisif de la vie des parents et de l’enfant. Par conséquent, le recours à la prise en charge d’urgence à l’égard de J. et les méthodes employées pour la mettre en œuvre étaient disproportionnés dans les effets qu’ils ont eus sur les perspectives qu’avaient les requérants de jouir d’une vie familiale avec leur nouveau-née dès sa naissance. Dès lors, s’il pouvait y avoir une « nécessité » d’user de mesures de précaution pour protéger l’enfant J., l’ingérence dans la vie familiale des requérants qu’a entraînée la décision de prendre l’enfant en charge d’urgence ne saurait passer pour « nécessaire » dans une société démocratique. L’article 8 a donc été violé.
La Cour estime en revanche que des considérations différentes entrent en jeu en ce qui concerne l’autre enfant, M. La prise en charge d’urgence qui fut décidée à son sujet, même si elle est intervenue immédiatement après la naissance de J., n’était pas susceptible d’avoir la même incidence sur la vie familiale des requérants que celle décidée à l’égard de J., sa demi-sœur. Il était déjà physiquement séparé de sa famille puisque les requérants l’avaient confié de leur plein gré au foyer pour enfants, la décision était nécessaire car il aurait pu être retiré à tout moment du cadre de vie rassurant que représentait ce foyer, et la décision portait sur une durée limitée. Les autorités finlandaises n’ont par conséquent pas violé l’article 8 en ce qui concerne la décision de prise en charge d’urgence de M.
Par ailleurs, la Cour a relevé que la mesure d’assistance éducative devait être vue en principe comme une mesure temporaire, qui sous réserve de l’intérêt supérieur de l’enfant, devait être levée dès que les circonstances le permettaient, le but ultime étant de favoriser la réunion de la famille. Les autorités finlandaises auraient dû donc mettre fin à la mesure de placement de l’enfant à l’assistance lorsque la situation qui avait conduit à la décision de placement s’était améliorée. La Cour conclut donc à la violation de l’article 8 pour ce motif.
La Cour recherche l’équilibre entre l’intérêt supérieur de l’enfant et l’intérêt des parents. Ce dernier passe par le fait que le processus décisionnel débouchant sur la mesure de placement doit être équitable et ménager aux parents un rôle respectant leurs intérêts (affaire W c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987). Ainsi le contrôle de la Cour porte non seulement sur les mesures substantielles, mais aussi sur le respect des « exigences procédurales » découlant implicitement de l’article 8. C’est l’arrêt Mac Michael c. Royaume-Uni, du 24 février 1995, qui consacre expressément l’article 8 comme fondement de la protection des droits procéduraux des parents. Ainsi, le caractère inéquitable d’une procédure d’assistance éducative, déjà sanctionné sur le terrain de l’article 6, peut emporter violation de l’article 8. Il y a cependant actuellement un tendance à l’absorption de l’article 6 par l’article 8 en matière de garanties procédurales. La protection procédurale des parents n’est cependant pas absolue : une décision de prise en charge d’urgence de l’enfant peut être prise pour protéger l’enfant sans qu’il soit possible d’associer les parents au processus décisionnel. Il est nécessaire dans ce cas qu’il ait été procédé à une évaluation soigneuse de l’impact de cette décision sur les parents et l’enfant, et à la recherche de solutions alternatives (affaire K et T c. Finlande, précitée).
b. Les modalités d’exécution de la mesure de placement :
Les modalités d’exécution de la mesure de placement touchent aux restrictions ou interdictions de contact entre parents et enfants lors du placement de ce dernier. La Cour exerce ici un contrôle plus rigoureux. La Cour a jugé, dans l’affaire Scozzari et Giunta c. Italie, du 13 juillet 2000, que l’Etat contrevenait à l’article 8 lorsqu’il prenait des mesures telles que la suspension de l’autorité parentale, l’interdiction de tout contact entre l’enfant et ses parents, en cela que ces mesures compromettent les chances de regrouper la famille et comportent un risque réel de séparation irréversible entre le parent et son enfant. La mesure d’assistance éducative doit être considérée en principe comme une mesure temporaire qui doit être levée dès que les circonstances le permettent, par exemple, lorsque la situation s’est améliorée (affaire K et T c. Finlande, précitée). Le but ultime est de favoriser la réunion de la famille.
2. En cas de séparation des parents :
La jurisprudence pose le principe du maintien des relations personnelles de l’enfant avec chacun de ses parents séparés.
Globalement, chaque parent qui ne vit pas avec son enfant a le droit d’entretenir avec lui des relations, comme un droit de visite par exemple, sauf si la protection des intérêts de l’enfant s’y oppose. Ce droit bénéficie tant aux pères légitimes qu’aux pères naturels.
En matière d’enlèvement international d’enfants, voyez l’affaire Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, du 25 janvier 2000, ci-dessous.
Ø Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, 25 janvier 2000 : la famille légitime monoparentale
Faits et procédure : Suite au divorce de Mme Ignaccolo-Zenide, une décision de justice définitive rendue en France fixa chez elle la résidence de ses deux enfants issues du mariage. L'ex-époux, ressortissant français et roumain habitant aux États-Unis, accueillit les enfants pendant l’été 1990, mais à l’issue des vacances d’été refusa de les rendre à la requérante. Après avoir changé de domicile à plusieurs reprises pour fuir la justice américaine, saisie en application de la Convention de la Haye sur l’enlèvement international des enfants du 25 octobre 1980, l’ex-époux réussit à s’enfuir en Roumanie en mars 1994, où il vit depuis cette date. Par un jugement en référé du 14 décembre 1994, le tribunal de première instance de Bucarest ordonna le retour des enfants auprès de la requérante. Toutefois, les efforts de la requérante d’obtenir l’exécution du jugement du 14 décembre 1994 se soldèrent pas des échecs. Depuis 1990, la requérante vit une seule fois ses enfants, lors d’une entrevue organisée par les autorités roumaines le 29 janvier 1997.
La requérante se plaint d’une atteinte à son droit au respect de sa vie familiale, prévu à l’article 8 de la Convention, du fait que les autorités roumaines de n’ont pas procédé à l’exécution du jugement en référé du 14 décembre 1994 du tribunal de première instance de Bucarest.
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour rappelle que si l’article 8 de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il engendre de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. L’article 8 implique le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir à son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre. Cette obligation n’est pas absolue, car la réunion d’un parent à ses enfants vivant depuis un certain temps avec l’autre parent peut requérir parfois des préparatifs. La nature et l’étendue de ceux-ci dépendent des circonstances de chaque espèce et l’obligation des autorités de recourir à la coercition en la matière est limitée. En effet, elles doivent tenir compte des intérêts et des droits et libertés des personnes concernées, et notamment des intérêts supérieurs de l’enfant et des droits que lui reconnaît l’article 8 de la Convention. Dans l’hypothèse où des contacts avec les parents risquent de menacer ces intérêts ou de porter atteinte à ces droits, il revient aux autorités nationales de veiller à un juste équilibre entre eux.
La Cour estime que les obligations positives que l’article 8 de la Convention fait peser sur les Etats contractants en matière de réunion d’un parent à ses enfants doivent s’interpréter à la lumière de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international des enfants. Il en va d’autant plus ainsi en l’espèce que l’Etat défendeur est également partie à cet instrument.
Le point décisif en l’espèce consiste donc à savoir si les autorités nationales ont pris, pour faciliter l’exécution de l’ordonnance du 14 décembre 1994, toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles.
Si les premières tentatives d’exécution de l’ordonnance en question ont eu lieu rapidement, en décembre 1994, la Cour relève qu’à partir de janvier 1995, les huissiers ne se sont déplacés qu’à deux reprises en vue de l’exécution, en mai et en décembre 1995. Elle relève aussi une inactivité totale des autorités entre décembre 1995 et janvier 1997, ainsi que l’absence d’une explication satisfaisante à ce sujet de la part du Gouvernement.
En outre, aucune autre mesure n’a été prise par les autorités pour créer les conditions nécessaires à l’exécution de l’ordonnance litigieuse, qu’il s’agisse de mesures coercitives à l’encontre de D. Z. ou de mesures préparatoires en vue du retour des enfants, en associant, par exemple, des pédopsychiatres ou des psychologues. Aucun travailleur social ou psychologue n’a été associé à la préparation de la rencontre du 29 janvier 1997. La Cour note enfin que les autorités n’ont pas adopté les mesures propres à assurer le retour des enfants auprès de la requérante énumérées à l’article 7 de la Convention de La Haye.
La Cour juge que les autorités roumaines ont omis de déployer des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit de la requérante au retour de ses enfants, méconnaissant ainsi son droit au respect de sa vie familiale garanti par l’article 8. La Cour conclut donc à la violation de l’article 8.
La Cour veille également à l’égalité entre père et mère en matière de droits parentaux après la séparation. Elle a ainsi jugé, dans l’affaire Hoffman c. Autriche, du 23 juin 1993, que le retrait de l’autorité parentale de la mère, témoin de Jéhovah, motivé par l’intérêt de l’enfant, constituait une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 (discrimination).
Ø HOFFMAN c. Autriche, 23 juin 1993
Faits et procédure : M. S. et Mme Hoffmann eurent deux enfants de leur mariage. La requérante devint témoin de Jéhovah. En 1983, elle intenta une action en divorce contre son mari. Emmenant les enfants, elle le quitta, à un moment où la procédure demeurait pendante. Le divorce fut prononcé en juin 1986. Après leur séparation, tant la requérante que M. S. saisirent le tribunal de district afin de se voir conférer l'autorité parentale sur les enfants.
M. S. alléguait que ses enfants courraient le risque d'être élevés d'une manière qui leur porterait tort, notamment en cela que la confession à laquelle appartenait Mme Hoffman conduirait à l'isolement social des enfants, et représentait une menace pour leur vie et leur santé.
Se référant notamment à l'avis d'un expert en psychologie infantile, le bureau de la jeunesse de l'administration du district d'Innsbruck se déclara favorable à l'octroi de l'autorité parentale à Mme Hoffman. Le tribunal de district débouta M. S. et octroya l’autorité parentale à la requérante. M. S. interjeta appel devant le tribunal régional qui le débouta de sa demande. M. S. saisit la Cour suprême d'un pourvoi en cassation, qui infirma la décision du tribunal régional et conféra l'autorité parentale à M. S., en allant dans son sens plutôt que dans celui de la requérante.
Mme Hoffman saisit la juridiction européenne en alléguant une violation de l’article 8 et de l’article 14 combiné avec l’article 8. Elle reprochait à la Cour suprême d'Autriche d'avoir attribué à son ex-époux, plutôt qu'à elle-même, l'autorité parentale sur leurs enfants Martin et Sandra, en raison de son appartenance à la communauté religieuse des témoins de Jéhovah.
Réponse et raisonnement de la Cour : La Cour rappelle que dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention, l'article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables.
La Cour constate que pour conférer l'autorité parentale à la mère plutôt qu'au père, le tribunal de district et le tribunal régional eurent à se prononcer sur le point de savoir si la première était capable de se charger de la garde et de l'éducation des enfants. A cet effet, ils tinrent compte des conséquences pratiques des convictions religieuses des témoins de Jéhovah (rejet des jours de fête tels que Noël et Pâques, opposition aux transfusions sanguines et, plus largement, situation de minorité sociale vivant selon ses propres règles distinctives). Ils soulignèrent que Mme Hoffmann s'était déclarée prête à laisser les enfants passer les jours de fête avec leur père, demeuré catholique, et à autoriser l'administration de transfusions sanguines à leur profit, dans la mesure exigée par la loi; ils se fondèrent en outre sur la relation psychologique existant entre les enfants, très jeunes à l'époque, et leur mère, ainsi que sur l'aptitude générale de celle-ci à s'occuper d'eux. Pour apprécier l'intérêt des enfants, la Cour suprême prit en considération les incidences que pouvait avoir sur leur vie sociale le fait de se trouver associés à une minorité religieuse particulière et les dangers que la requérante, par son refus de toute transfusion sanguine, créait non seulement pour elle-même mais aussi - sauf ordonnance judiciaire - pour Martin et Sandra.
La Cour relève qu’il y a eu différence de traitement en l’espèce et qu’elle reposait sur la religion. Pareille différence de traitement est discriminatoire en l'absence de « justification objective et raisonnable », c'est-à-dire si elle ne repose pas sur un « but légitime » et s'il n'y a pas de « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ».
La Cour suprême poursuivait un but légitime : protéger la santé et les droits des enfants. Cependant, dans la mesure où la Cour suprême d'Autriche apprécia les faits autrement que les juridictions inférieures, qui dans leurs motifs s'appuyaient en outre sur des expertises psychologiques, on ne saurait tolérer une distinction dictée pour l'essentiel par des considérations de religion.
Dès lors, la Cour ne peut conclure à l'existence d'un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé; partant, il y a eu violation de l'article 8 combiné avec l'article 14.
3. L’unité de vie familiale pour les étrangers :
Par le mécanisme de la protection par ricochet, la Cour européenne a affirmé, dans sa décision Abdulaziz, Cabales et Balkandi c. Royaume-Uni, du 28 mai 1985, le principe qu’une décision d’éloignement forcé d’un étranger d’un pays où vivent des membres proches de sa famille peut porter atteinte à son droit à la vie familiale et constituer une violation de l’article 8 de la CEDH.
La Cour considère, dans l’affaire Cruz Varas c. Suède du 20 mars 1991, que l’article 8 ne garantit cependant que l’exercice du droit au respect d’une vie familiale « existante », et ne comporte pas le droit de choisir l’implantation géographique de cette vie familiale : l’article 8 ne comporte pas pour l’Etat l’obligation de permettre le regroupement familial.
Dans le cadre des restrictions autorisées au droit au respect de la vie familiale (§2 de l’art. 8), ce droit de l’étranger connaît une limite importante : il s’efface devant les nécessités du contrôle de l’immigration et plus généralement de la protection de l’ordre public. La Cour a, sur cette base, longtemps traité dans un sens plus protecteur les « immigrés de deuxième génération » (ce sont des étrangers nés sur le territoire de l’Etat d’accueil, ou par extension, qui y sont entrés très jeunes) que les étrangers « ordinaires ».
Pour les étrangers de la « deuxième génération », la notion de vie familiale « existante » s’avérait fort protectrice. En effet, la Cour considère que la vie familiale effective se trouve sur le territoire de l’Etat partie à la Convention alors que le lien de nationalité ne correspond à aucune réalité concrète (affaire Moustaquim c. Belgique du 18 février 1991). Sa jurisprudence fortement protectrice, semblait garantir aux immigrés de la deuxième génération le droit quasi absolu de demeurer sur le territoire. La Cour a cependant nuancé sa jurisprudence en considérant que seule une infraction particulièrement grave (le proxénétisme aggravé, le trafic de drogue, le viol) peut justifier une mesure d’éloignement du territoire, lorsque l’effectivité de la vie familiale dans le pays d’accueil est établie (affaires Ezzoudhi c. France, du 13 février 2001).
Les étrangers « ordinaires » étaient traités plus durement que les autres parce que la Cour jugeait sévèrement, qu’en matière d’immigration, l’article 8 n’emportait pas d’obligation pour l’Etat de permettre le regroupement familial sur son territoire. La Cour a, par la suite, fait peser sur l’Etat l’obligation positive d’autoriser un enfant à résider avec ses parents afin de permettre aux intéressés de « maintenir et de développer » une vie familiale sur son territoire, sans pour autant consacrer un droit général des étrangers au regroupement familial. La Cour renonce, heureusement, à analyser la question du seul point de vue de l’immigration, et se livre à un véritable contrôle de proportionnalité. Par l’arrêt Boultif c. Suisse, du 2 août 2001, la Cour a enfin alignée la situation des étrangers « ordinaires » sur celle des étrangers de « deuxième génération ».
Voyez également les décisions ci-dessous :
Ø EL Boudjaïdi c. France, 26 septembre 1997.
Faits et procédure : M. El Boudjaïdi, de nationalité marocaine, est arrivé en France en 1974, à l’âge de 7 ans, avec sa mère et ses trois frères et sœurs afin de rejoindre son père. Il a habité en France où il a suivi une grande partie de sa scolarité et travaillé pendant plusieurs années, jusqu’au 26 août 1993, date à laquelle une interdiction définitive du territoire français a été mise en œuvre à son égard. Le 24 mars 1988, le tribunal correctionnel condamna M. El Boujaïdi à trois ans d'emprisonnement pour trafic de stupéfiants et prononça en outre l'interdiction du territoire, à titre définitif à l'encontre de M. El Boujaïdi. A la suite d'une tentative de vol, le requérant fut appréhendé et, le 6 décembre 1992, placé sous mandat de dépôt. Pour ce fait ainsi que pour avoir séjourné en France malgré l'interdiction définitive du territoire prononcée à son encontre, le tribunal correctionnel le condamna à un an de prison le 11 janvier 1993. Après deux requêtes de relèvement de l’interdiction du territoire infructueuses, le 22 juillet 1993, M. El Boujaïdi présenta une troisième requête similaire devant la cour d'appel de Lyon. A l'appui de son moyen fondé sur l'article 8 de la Convention, il invoquait des changements dans sa situation personnelle : son concubinage avec une Française, Mme M., et la paternité de l'enfant mis au monde le 6 juillet par celle-ci. Le 26 août 1993, la mesure d'interdiction du territoire fut exécutée. Selon M. El Boujaïdi, l'interdiction définitive du territoire français prononcée à son encontre porte atteinte à sa vie privée et familiale et viole l'article 8 de la Convention.
Réponse et raisonnement de la Cour : Il s'agit en premier lieu de déterminer si en France le requérant peut se prévaloir d'une « vie privée et familiale » au sens de l'article 8 § 1 et si la mesure litigieuse s'analyse en une ingérence dans celle-ci.
M. El Boujaïdi fait valoir qu'il est arrivé en France en 1974 à l'âge de sept ans, qu'il y a habité jusqu'au 26 août 1993 (date de l'exécution de l'interdiction du territoire) et que ses parents, ses trois sœurs et son frère y résident régulièrement. Il ajoute qu'il est le père d'un enfant né dans ce pays le 6 juillet 1993 ; il aurait rencontré la mère – française – de celui-ci en janvier 1992 puis vécu en concubinage avec elle. Ces faits, bien que postérieurs au prononcé de l'interdiction définitive du territoire, ne pourraient être ignorés.
La Commission a estimé que l'exécution de la mesure d'interdiction du territoire constituait une ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale.
Pour examiner la question de savoir si le requérant avait une vie privée et familiale au sens de l'article 8, la Cour s’est placée à l'époque à laquelle la mesure d'interdiction du territoire est devenue définitive. Il s'agit du début de l'année 1989 puisque le dernier arrêt relatif à la condamnation de l'intéressé est celui de la cour d'appel de Lyon du 12 janvier 1989. M. El Boujaïdi ne peut donc se prévaloir de sa relation avec Mme M. et de la paternité de l'enfant de celle-ci, l'avènement de ces faits étant nettement postérieur à cette date.
Cependant, la Cour n’a pas douté que l’exécution de la mesure litigieuse d’interdiction du territoire constituait bien une ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale. Elle s’est alors attachée à déterminer si l’interdiction en cause remplissait les conditions du §2 de l’article 8, c’est-à-dire déterminer si elle était « prévue par la loi », poursuivait un ou plusieurs des buts légitimes, et était « nécessaire », « dans une société démocratique », pour le ou les réaliser.
En l’espèce, il n'est pas contesté que l'interdiction définitive du territoire prononcée à l'encontre de M. El Boujaïdi se fondait sur l'article L. 630-1 du code de la santé publique : elle était donc prévue par la loi. Il n'est pas davantage controversé que l'ingérence en cause visait des fins pleinement compatibles avec la Convention : la « défense de l'ordre » et la « prévention des infractions pénales ». Il y avait donc là un but légitime.
En ce qui concerne le caractère « nécessaire », « dans une société démocratique », la Cour rappelle qu'il incombe aux Etats contractants d'assurer l'ordre public, en particulier dans l'exercice de leur droit de contrôler, en vertu d'un principe de droit international bien établi, l'entrée et le séjour des non-nationaux. A ce titre, ils ont la faculté d'expulser les délinquants parmi ceux-ci.
Toutefois, leurs décisions en la matière, dans la mesure où elles porteraient atteinte à un droit protégé par le paragraphe 1 de l'article 8, doivent se révéler nécessaires dans une société démocratique, c'est-à-dire justifiées par un besoin social impérieux et, notamment, proportionnées au but légitime poursuivi.
La Cour note que si M. El Boudjaidi affirme ne pas avoir de famille proche au Maroc, il ne prétend ni ignorer l’arabe ni ne jamais être retourné dans ce pays avant l’exécution de la mesure litigieuse d’interdiction du territoire. Il semble ainsi qu’il n’a jamais manifesté la volonté de devenir français.
Il avait en outre un passé pénal lorsque la Cour d’appel de Lyon le condamna pour usage et trafic de drogue à 6 ans de prison et à l’interdiction définitive du territoire français. Une fois remis en liberté et alors qu’il était en situation irrégulière en France, il persévéra dans la délinquance et commit une tentative de vol.
La gravité de l’infraction qui lui valut l’interdiction du territoire ainsi que le comportement ultérieur du délinquant pèsent lourd dans la balance. En conséquence, la Cour considère que la mesure d’interdiction définitive du territoire n’est pas disproportionnée au but légitime poursuivi.
Ø Affaire LUPSA c. ROUMANIE, 8 juin 2006
Faits et procédure : Dorjel Lupsa, ressortissant serbe âgé de 40 ans, réside actuellement à Belgrade. Il résida en Roumanie durant 14 ans, jusqu’à son expulsion en août 2003. En 1989, M. Lupsa entra et s’établit en Roumanie où il créa une société commerciale roumaine de torréfaction et commercialisation du café en 1993. Il vécut maritalement avec une ressortissante roumaine à partir de 1994 avec laquelle il eut un fils, aujourd’hui âgé de trois ans, qui possède la double nationalité roumaine et serbe. Le 6 août 2003, le requérant, qui se trouvait à l’étranger, entra en Roumanie, sans opposition de la police des frontières. Toutefois, le lendemain, des agents de la police des frontières se présentèrent à son domicile et le reconduisirent à la frontière.
L’avocate de M. Lupsa forma un recours contre la mesure d’éloignement. A l’audience de la cour d’appel de Bucarest le 18 août 2003, l’avocate reçut copie de l’ordonnance du 28 mai 2003 prise par le parquet, par laquelle, sur demande du Service roumain de renseignements et en vertu de l’ordonnance d’urgence no 194/2002 sur le régime des étrangers en Roumanie, M. Lupsa avait été déclaré « personne indésirable » et interdit de séjour en Roumanie pour une période de dix ans au motif qu’il existait « des informations suffisantes et sérieuses selon lesquelles il menait des activités de nature à mettre en danger la sécurité nationale ». La cour d’appel refusa de faire droit à la demande d’ajournement de l’affaire présentée par l’avocate du requérant et rejeta son recours.
Au cours des années 2003 et 2004, la compagne du requérant et leur fils se rendirent en Serbie-Monténégro à plusieurs reprises pour des séjours allant de quelques jours à plusieurs mois.
Le requérant alléguait notamment que l’expulsion et l’interdiction de séjour prononcées à son encontre ont emporté violation de l’article 8.
Raisonnement de la Cour : L’intégration du requérant dans la société roumaine et le caractère effectif de sa vie familiale étant incontestables, la Cour estime que son expulsion et l’interdiction du territoire roumain ont mis fin à cette intégration et engendré un bouleversement radical de sa vie privée et familiale, auquel les visites régulières de sa compagne et de leur enfant ne sauraient remédier. Dès lors, il y a eu ingérence dans la vie privée et familiale de M. Lupsa, ingérence qui était prévue par l’ordonnance d’urgence no 194/2002.
La Cour rappelle que toute personne qui fait l’objet d’une mesure basée sur des motifs de sécurité nationale ne doit pas être dépourvue de garanties contre l’arbitraire. Elle doit notamment avoir la possibilité de faire contrôler ladite mesure par un organe indépendant et impartial, habilité à se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinents, pour trancher sur la légalité de la mesure et sanctionner un éventuel abus des autorités.
En l’espèce, aucune poursuite n’a été engagée contre le requérant pour avoir participé à la commission d’une quelconque infraction en Roumanie ou dans un autre pays et les autorités n’ont fourni à l’intéressé aucune autre précision qu’un motif général. De surcroît, la Cour note qu’en violation du droit roumain l’ordonnance déclarant M. Lupsa indésirable ne lui a été communiquée qu’après son expulsion. La Cour attache également de l’importance au fait que la cour d’appel s’est bornée à un examen purement formel de l’ordonnance du parquet sans vérifier si le requérant présentait réellement un danger pour la sécurité nationale ou pour l’ordre public.
Le requérant n’ayant joui ni devant les autorités administratives ni devant la cour d’appel du degré minimal de protection contre l’arbitraire des autorités, la Cour conclut que l’ingérence dans sa vie privée n’était pas prévue par « une loi » répondant aux exigences de la Convention. Elle conclut dès lors à la violation de l’article 8.
En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour a alloué au requérant 15 000 euros (EUR) pour dommage matériel et moral, ainsi que 3 000 EUR pour frais et dépens.
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