dimanche 20 avril 2008

Corrigé du cas pratique de la séance 5 relative au droit à la vie

Monsieur Smirnoff est décédé après que des agents de l’OMON, une force spéciale de la police russe cagoulée et armée de fusils automatiques, l’eût abattu, par crainte que celui-ci ne commette un attentat terroriste, dont ils avaient été prévenus par lettre anonyme. Les coups de feu furent tirés avant que la menace d’attentat ne fût confirmée, par d’autres agents mieux placés pour voir si M. Smirnoff allait sortir une arme ou non. Ce dernier dirigeait une association, la Société pour l'amitié russo-tchétchène, qui participait le jour où il a été tué, à une manifestation pacifique ; il était considéré à ce titre comme un traitre et un terroriste par le gouvernement. Suite au décès de M. Smirnoff aucune enquête ne fût diligentée par les autorités russes.

Afin d’examiner si les faits de ce cas peuvent entraîner la responsabilité de la Russie au titre de ses obligations issues de la Convention européenne des droits de l’homme, à laquelle elle est partie (vous soulignez), il convient d’examiner la question du décès de M. Smirnoff (I) et celle de l’absence d’enquête (II).

I. Le décès de M. SMIRNOFF :

Après avoir déterminé et envisagé les règles droit applicables relativement au décès de M. Smirnoff (A), il conviendra d’examiner les faits à leur lumière et déterminer si l’Etat russe a violé ou non ses obligations (B).

A. Le droit applicable relativement au décès de M. SMIRNOFF :

Le droit à la vie est protégé par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui dispose : « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire : a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ; c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. ». Cet article est applicable dès lors que décède une personne.
L’Etat a une obligation positive de protéger la vie des personnes se trouvant sous sa juridiction : est prohibée toute atteinte intentionnelle à la vie, excepté le cas de la peine de mort, ainsi que toute atteinte non intentionnelle à la vie, excepté le cas de recours à la force rendu absolument nécessaire, dans trois motifs précis.
S’agissant de cette dernière hypothèse, la Cour européenne des droits de l’homme a pu préciser, en 1995, la signification du paragraphe 2 de l’article 2, dans l’affaire Mac Cann. Dans cette affaire, dont les faits rappellent le présent cas, la Cour a mis en exergue trois conditions cumulatives à la charge de l’Etat afin que le recours à la force soit rendu absolument nécessaire.
Le recours à la force doit, en premier lieu, répondre à l’une des hypothèses prévues au a, b et c du §2 de l’article 2. Le recours à la force doit donc viser à assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ou à permettre une arrestation régulière ou à empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ou enfin, à réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. Tout recours à la force ne visant pas à satisfaire l’une de ces hypothèse est prohibé.
La force employée doit, en second lieu, être strictement proportionnée au but poursuivi. La proportionnalité est appréciée par le juge de Strasbourg, au regard du but recherché, du danger pour les vies humaines et l’intégrité corporelle et, enfin, la possibilité que la violence provoque des victimes. La Cour a pu préciser, dans l’affaire Mac Cann, que le recours à la force devait se fonder sur « une conviction honnête considérée pour de bonnes raisons, comme valables à l’époque des évènements, mais qui se révèle ensuite erronée ». Est donc prise en compte la bonne foi, au moment de l’usage de la force, des agents.

En troisième lieu, la Cour a précisé que le recours à la force devait répondre à un principe de précaution. En d’autres termes, tout doit être fait pour épargner les vies innocentes. Le contrôle du juge porte à la fois sur les actes de préparation et le contrôle de l’opération meurtrière.
Le droit applicable ayant été déterminé, reste à l’envisager à la lumière des faits de cette affaire.

B. L’examen des faits à la lumière des règles applicables au cas de M. SMIRNOFF :

Le décès de M. Smirnoff ne laisse aucun doute quant à l’applicabilité de l’article 2, puisque celui-ci s’applique dès lors que nous nous trouvons en présence du décès d’une personne. Celui-ci s’étant trouvé au moment des faits sous la juridiction de l’Etat russe, il convient de s’interroger sur le point de savoir si le décès dont il a été victime peut entraîner la responsabilité de la Russie, au titre de l’article 2.
En l’espèce, l’OMON a attenté de manière non intentionnelle à la vie de M. Smirnoff, aussi la question à laquelle nous tenterons de répondre est donc celle de savoir si l’usage de la force par l’OMON était « rendue absolument nécessaire » par la menace d’attentat, dont M. Smirnoff était l’auteur présumé.
Conformément à l’affaire Mac Cann, le recours à la force rendu absolument nécessaire doit répondre à trois conditions. Afin de vérifier la conformité de l’opération de l’OMON aux règles établies par la Cour, il convient de répondre aux questions suivantes : l’action de l’OMON visait-elle un des buts prévus par le §2 de l’article 2 ? Le fait de tirer avec des fusils automatiques et de tuer M. Smirnoff était-il proportionné au risque d’attentat ? Peut-on considérer que les forces de l’OMON ont usé de toutes les précautions nécessaires dans la préparation et le contrôle de l’opération, alors qu’il n’a pas été confirmé que M. Smirnoff allait user d’une arme ?
A priori, l’usage de la force visait à prévenir d’importantes pertes en vies humaines du fait d’un attentat terroriste, aussi, la Russie a-t-elle satisfait à la première condition posée par le a, §2 de l’article 2, dans la mesure où la force a été employée afin d’ « assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ».
S’agissant de la deuxième condition, l’appréciation du recours à la force sera apprécié au regard du but recherché, du danger pour les vies humaines et l’intégrité corporelle et, enfin, la possibilité que la violence provoque des victimes. En l’espèce, le fait de tirer avec des fusils automatiques comportait un risque élevé d’attenter à la vie de M. Smirnoff, qui est identique, a priori, au risque de pertes en vies humaines du fait d’un attentat. Partant, à risques identiques, l’emploi de la force semble être proportionné au but d’éviter la mort de plusieurs personnes du fait de l’attentat. La Cour précise en outre que le recours à la force doit se fonder « une conviction honnête considérée pour de bonnes raisons, comme valables à l’époque des évènements, mais qui se révèle ensuite erronée ». En l’espèce, plusieurs agents ont ouvert le feu, avant que la menace eut été confirmée, leur visibilité n’était pas parfaite, il est donc permis de s’interroger sur la bonne foi de ceux-ci, qui ont agi avant même de recevoir confirmation de ce que l’un de leurs collègues avait vu. Ainsi, le collègue ayant cru voir la victime sortir une arme a demandé confirmation par talkie walkie à d’autres agents mieux placés, et celui-ci n’était pas l’auteur des coups de feu. Ce sont d’autres agents, qui ont entendu par talkie walkie la demande de confirmation, qui ont tiré. A priori, ils n’auraient eux-mêmes rien vu de suspect : leur bonne foi est donc en l’espèce tout à fait discutable.

En troisième lieu, la Cour a précisé que le recours à la force devait répondre à un principe de précaution. En d’autres termes, tout doit être fait pour épargner les vies innocentes. Le contrôle du juge porte à la fois sur les actes de préparation et le contrôle de l’opération meurtrière.
L’opération a été effectuée par des agents spécialisés dans les attaques terroristes. Contrairement à l’affaire Mac Cann où des militaires, qui étaient entraînés à tirer jusqu’à ce que mort s’en suive, le recours à ce types d’agents pour l’opération du présent cas était prudent. En revanche, rien ne semble avoir été fait afin de savoir dans quelles conditions l’attentat allait avoir lieu : on ne connaissait ni le mode opératoire, ni le lieu, ni la cible. En outre, les autorités ont été informées de cette menace d’attentat par une simple lettre anonyme, source peu fiable, qui aurait du être confirmée par des actes d’investigation plus poussés. Ensuite, M. Smirnoff était le dirigeant d’une association protectrice des droits de l’homme, et considéré à ce titre comme un traitre pour ses convictions personnelles. La dangerosité de ce personnage n’avait pas été véritablement confirmée : il semble avoir été victime d’un délit de facies comme cela est souvent le cas pour les défenseurs des droits de l’homme, qui sont considérés comme des opposants au pouvoir. Or, le seul fait d’être hostile au pouvoir ne peut permettre à lui seul de déterminer la dangerosité d’un individu. Enfin, il eut été probablement plus prudent de préciser aux agents de l’OMON qu’ils ne devraient ouvrir le feu que si la menace était confirmée, ce qui ne semble pas avoir été le cas ici.

En conclusion, Mme SMIRNOFF aurait de grande chance de voir son recours aboutir devant la Cour européenne des droits de l’homme, si elle arguait de ce que le décès de son époux n’était pas justifié par un recours à la force rendu absolument nécessaire, au sens du § 2 de l’article 2, en cela que l’usage de la force n’était probablement pas proportionné au but recherché, et surtout que la force meurtrière a été employée en l’absence du respect du principe de précaution.

II. L’absence d’enquête sur le décès de M. SMIRNOFF :

Après avoir déterminé et envisagé les règles droit applicables relativement au défaut d’enquête sur le décès de M. Smirnoff (A), il conviendra d’examiner les faits à leur lumière et déterminer si l’Etat russe a violé ou non ses obligations (B).

A. Le droit applicable relativement au défaut d’enquête sur le décès de M. SMIRNOFF

En sus de son obligation substantielle de protéger la vie des personnes se trouvant sous sa juridiction, l’Etat partie à la Convention européenne des droits de l’homme a une obligation procédurale de mener une enquête effective, qui trouve son fondement dans la combinaison des articles 2 §1 (1ère phrase) avec le devoir général inscrit dans l’article 1er.
Dans plusieurs affaires, la Cour a pu préciser que cette obligation existait dès lors qu’une personne se trouvant sous sa juridiction décédait (Tanrikulu c. Turquie, 1999, par exemple) ou disparaissait dans des circonstances où l’on pouvait penser qu’il y avait un risque pour sa vie (Cakici c. Turquie,1999). Cette obligation est à la charge de l’Etat que la mort soit due à des agents de l’Etat ou dans le cadre de relations interindividuelles (Tanrikulu, préc.).
Le cas échéant, une enquête impartiale, complète, approfondie et publique (Edwards) doit être menée. La Cour a précisé que l’Etat devait y consacrer un temps raisonnable, effectuer divers actes d’investigation et recueillir la plainte de la victime dans un délai suffisant. Cette enquête doit avoir pour finalité d’identifier et de punir les responsables.

B. L’examen des faits à la lumière des règles applicables au cas de M. SMIRNOFF :

Dans le présent cas, M. Smirnoff est décédé du fait des agents étatiques, alors qu’il était sous la juridiction de l’Etat russe.
Les autorités russes auraient donc du diligenter une enquête sur le décès de Monsieur Smirnoff, or, rien n’a été fait dans ce sens.

Il y a donc de grandes chances qu’un recours de Mme Smirnoff aboutisse devant la Cour européenne des droits de l’homme, sur le fondement d’une violation de l’article 2 combiné avec l’article 1er de la CEDH, pour absence d’enquête.


Pour conclure, l’Etat russe a violé ses obligations découlant de l’article 2 de la CEDH, relatif au droit à la vie, pour recours à la force excessif, et de l’article 2 combiné avec l’article 1er de la CEDH, pour défaut d’enquête à propos de l’atteinte au droit à la vie, d’une personne placée sous sa juridiction.

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